samedi 23 décembre 2006

LA MAISON DES MERVEILLES

Ce fut pendant un certain temps, dit-on, que ces deux s'aimèrent dans les profondeurs d'un grand bois, qui devint enchanté, bizarre et périlleux du fait de leur seule proximité."

Tanith Lee, Les sortilèges de la nuit



Ils vivent à présent dans une maison aux lisières d'un autre bois, près d'un lac, dans un hiver enchanté.

La forêt n'est pas moins ancienne, ni la terre. Aucune ville d'hommes n'a pu s'établir là, jamais, en aucun siècle. C'est le domaine des Fées et des Esprits.

Les maisons nouvelles y sont soigneusement calfeutrées, poutrées et lambrissées de bois doré. Les hommes qui vivent là se souviennent des vieux enchantements, et savent que les beautés de ce lieu n'excluent pas le péril, que les Merveilles du bois prennent autant qu'elles donnent, exactement autant, et qu'il faut se protéger d'elles, malgré leur charme, à cause de leur charme.

Et c'est d'autant plus vrai à présent qu'ils vivent là, qu'ils s'aiment là.

Leur maison aussi est protégée des Esprits de l'Hiver et de la Forêt.

Le jour, l'air glacé s'adoucit pour passer leurs fenêtres, le soleil les inonde, la brume les enveloppe, et la cascade chante, même gelée, par précaution. On ne sait jamais. Le bruit des fontaines et des cascades guérit la folie, n'est-ce pas, et c'est une grande et belle Folie qui demeure là.

Le soir, des étoiles brillent à leur fenêtre. Non pas seulement les étoiles gelées qui brillent dans ce ciel de légende, non, des étoiles brillent dedans, de l'intérieur de la Maison, car sa nature à elle fut toujours liée aux étoiles, et toutes les maisons qu'elle occupe sont des phares.

La nuit, des animaux de toutes espèces s'approchent de la maison, s'y assemblent, l'entourent de leurs signes, s'y réchauffent au feu de leur magie et de leur amour.

Parfois les Amants joueurs se glissent au dehors, empruntent les vieux sentiers, dessinent sur la neige, parlent aux arbres. Parfois il sort deux antiques lames et lui enseigne des arts depuis longtemps perdus. Parfois ils descendent jusqu'aux villages des hommes, et leurs rires résonnent hauts et clairs, et ils s'amusent à découvrir des confitures ou des fromages, et ils choisissent ensemble les gâteaux qu'ils goûteront le soir.

Et ils mettent de côté leurs ténèbres, car ils s'aiment, et c'est le temps du Solstice, et ils sont comme des enfants qui désirent faire partager leur bonheur.

Pourtant l'ombre rôde. La Cour Sombre n'est jamais loin. Certaines branches se couvrent de givre et se courbent en arche pour saluer leur passage -- mais elles ne survivront pas à cette brève gloire. Certaines mares se changent en Miroirs du Diable, certaines routes en verglas mortel. Certains des plus vieux lits de bois enchaînent les dormeurs et les amants, certaines eaux s'empoisonnent. Tous les enchantements sont à double tranchant.

Mais loin des villes, aux lisières d'une forêt, le temps d'un hiver enchanté, ils s'aiment. Et le monde autour en est changé.