Parfois je tombe amoureuse d'une ville.
Et l'amour ici n'est pas une figure de style, c'est le nom vrai de ce sentiment qui fait battre le coeur, qui gonfle les poumons, ensoleille les yeux. C'est de l'amour, avec ses variantes: certaines villes s'apprivoisent, et leur amour est un pénible accouchement. Avec d'autres, c'est un coup de foudre.
Avec Lyon, ce le fut.
Etre amoureuse de Lyon, brusquement, immensément, profondément, et n'être pas sûre de comprendre pourquoi.
Parce que bien sûr il y a les murs roses et ocres des bords de Saône, les ponts enjambant deux fleuves, les passerelles secouées par le vent, le vent qui emportait des rafales d'enfants sur les marches de la basilique, et les mosaïques rayonnantes de Fourvière, l'envol des escaliers, les chutes frémissantes des falaises, les monstres de pierre, les gargouilles et les aigles de Saint Jean, et les lions, tous ces lions.
Bien sûr il y a le café du Dahu sur les pentes, et au-dessus de l'amphithéâtre le regard qui s'envole au-dessus des toits et vous serre la gorge de joie, et bien sûr il y a le soleil sur la Croix-Rousse, et les marches qui disparaissent dans l'eau du lac de la Tête d'Or, et les pierres disjointes pavant les méandres de la Roseraie, et les caresses des saules sur les ruisseaux, et je suis passée entre "Pullman Orient-Express" et "Royal Romance".
Et bien sûr il y a les artistes qui s'étalent sur les quais du Marché de la Création, et bien sûr il y a la Demeure du Chaos, et les boutiques désuètes et magnifiques du Passage de l'Argue, et des rues où l'on s'arrêterait à chaque restaurant.
Je sais bien: il y a les pavés, et les hôtels particuliers, et les églises, toutes différentes, toutes merveilleuses, l'impressionnante cathédrale de Saint-Jean et la gothique Saint-Nizier et la baroque Saint-Bruno, et... oui, oui, il y a les masses harmonieuses et chaudes des Subsistances, et le dôme saisissant de l'Opéra, et le cloître de l'Hôtel-Dieu, oui, et la sobre solennité de l'ancienne Ecole Normale, et la labyrinthique Cour des Voraces qui pourrait être un tableau d'Escher, et encore, encore.
Mais est-ce que cela suffit?
Est-ce qu'on s'éprend d'un catalogue de merveilles, si riche soit-il?
Est-ce qu'il ne faut pas plus, un plus auquel je me heurte, que je peine à identifier?
Est-ce que j'aurais aimé Lyon si je n'avais pas dormi dans la Presqu'Île, si je n'avais pas traversé chaque jour l'une de ses rivières? Est-ce que j'aurais aimé Lyon sans ces deux rivières, justement, qui la rythment et la structurent, qui la dessinent, qui l'enlacent? Est-ce que j'aurais aimé Lyon sans ses collines et leurs à-pics, est-ce que je l'aurais aimée sans l'escalader et la dégringoler, sans me décrocher le cou à la verticale de l'Homme de la Roche ou du fort Saint-Jean?
Aurais-je aimé Lyon si je n'avais pas marché étonnamment seule dans ses rues, vidées par les vacances, ou le froid, ou le vent? Peut-être faut-il être seul pour s'éprendre d'elle, pour sentir son cœur frémir à chaque traboule, à chaque nouvel escalier, à chaque perspective vertigineuse. Lyon est une ville de secrets, comme Venise. J'ai marché, marché, ouvert des portes, passé des ponts, gravi des marches et reconnu des noms: c'est ainsi que se découvrent les secrets. L'amour, qu'on le veuille ou non, est aussi une prise de possession.
Et cependant aurais-je aimé Lyon sans ses êtres, sans les trois filles comiquement dissemblables de "Raconte-moi la terre", sans le prêtre en robe de bure, un bouquet à la main, plongé dans la lecture de la carte d'un restaurant, sans le chat doré hésitant sur les marches du lac au Parc de la Tête-d'Or, sans la femme yougoslave qui cherchait un travail et un toit, et qui insistait, jardin des Chartreux, pour m'offrir l'anneau d'or sur lequel son pied venait de buter, sans les silhouettes pauvres et sombres des pentes de la Croix-Rousse, les derniers enracinés dans un centre-ville réhabilité?
Aurais-je aimé Lyon sans les caprices et les sourires de Côme, sans l'aimable gravité de Mattéo, sans les quêtes idéalistes et la culture de Stef, sans les enthousiasmes et l'intégrité de Nath, la pureté de Nath, face à laquelle nous sommes tous des Déchus?
Tout cela, tout cela.
Mais est-ce que cela suffit?
N'y a-t-il pas autre chose dans l'amour, une magie, irréductible au sens et aux mots? Je me souviens: au parc de la Tête d'Or de vieux réverbères poussaient dans l'herbe, comme à Narnia. Aimer Lyon, aimer un Lion, vieux et magnifique, tient peut-être d'un miracle enfoui dans les cœurs, aimer Lyon est peut-être comme aimer Aslan.
Je ne saurai pas. C'est un secret qui palpite au coin de ma conscience, et ne se livre pas.
4 commentaires:
Lyon?
Pourquoi je sens que les gens me harcélent juste pour que j'arrête de "draguer comme une tapette". Bref, je n'ai pas de Mentrice-signal mais il est temps que je te compte une drole d'histoire =)
Ca implique Lyon, d'où le "les gens me harcélent" ^^
Et comme d'habitude, ça implique une fille. Et ça tu ne t'en doutais pas car tu t'attendais à ce que ça implique DES files je suppose =)
Décidément, et si tout cela n'était pas hasard? Si tu avais dédié cet article à Brest et ses pluis diluviennes, aurais-je eu affaire à une Brestienne?
Décidément, je tourne ton blog en un dérivé de skyblog... Il n'y manque plus qu'une guerre de gangs que la BAC aura tôt fait de pister à deux groupes d'ados de cité qu'ils arrêteront sur un parking désert à 3h du matin...
Comme quoi, cet article aurait eu plus grand interêt s'il s'était intitulé "Je kiffe un lion, yo!".
Bises Mentrice =)
Et si mon jeune padawan m'envoyait un mail pour me raconter son histoire de fille-lion ? :p
Non en l'occurence je suis Lion.
Ce qui est problématique car normalement je suis Vierge.
Ainsi, la demoiselle est Vierge et moi Lion.
Et en fait je désapprouve le mail depuis que GMail est un compte mail que je ne cherche même pas à trier.
Et l'élève de la Mentrice n'est pas un padawan mais un ex-élève de 2nde.
Tout cela est bien compliqué décidément!
Voyons: un ex-élève de seconde désormais étudiant, et Lion pour les Etoiles, ne peut-il pas être aussi un padawan ?
La demoiselle Vierge... nous venons d'en parler.
Quant aux mails... change donc de compte.
Certaines choses sont vraiment complexes, ou compliquées. N'abuse pas de l'adjectif pour celles que tu joues à compliquer.
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