Bien sûr, c'est parce qu'ils se sont tous mis à parler d'identité nationale. Pourtant ce ne fut pas le début.
Le début, ce fut la question de T***. "Tu te sens Française, toi?"
Sa curiosité était sincère. T*** est mi-Turc, mi-Kurde, expatrié en Suisse, marié à une Franco-Anglaise. Il a du mal à se trouver une identité nationale, quelle qu'elle soit.
Et j'ai cherché une réponse à sa question, avec la même curiosité et la même sincérité. Et je cherche toujours.
Je me suis toujours rêvée Exilée et Frontalière, et par un tour imprévu du destin, je serai bientôt telle en pratique.
Je me suis toujours reconnue Européenne, je porte cet immense héritage-là, que je le veuille ou non, je suis du Vieux Monde et de cette vieille culture arrogante d'Occident. Je porte en moi la littérature d'Europe, l'histoire d'Europe, la fichue sensibilité et la vision du monde de l'Europe. Je porte Hugo et Shakespeare, Austen et Dumas, Rimbaud et Woolf, je porte les Brigands de Schiller et les rêves de Ludwig, les songes enfiévrés de Dante et les constructions ludiques de Calvino, je porte les sagas du Nord, les pièces de Synge et de Yeats, le Golem des ombres de Prague, l'odeur des steppes d'Ukraine et la lumière des côtes dalmates, OEdipe et les massacres de Chios, l'attentat de Sarajevo et l'assassinat de Lorca, et toutes ces guerres civiles. Ma mémoire est pleine de guerres civiles. Je suis d'Europe. Ces racines-là sont profondes, sombres, solides.
Mais en quoi suis-je Française?
Je me retrouve à trier des lieux communs. Cartésianisme, non, Révolution Française, pas plus que les mille autres révolutions d'Europe, Voltaire, non, l'esprit, le bel esprit, non non.
En quoi suis-je Française?
Et voici qu'il me semble que les seules traditions enracinées en moi qui soient spécifiquement de France sont les traditions sociales. L'attachement au service public. Front Populaire, congés payés, grèves dures, Sécurité sociale, crier haut ces valeurs, les vieux piliers de la République.
Enfin je pense à Lucie, à Amin Maalouf, aux identités meurtrières.
Peut-être ne suis-je Française que lorsque ces valeurs-là, ces traditions sociales-là, sont menacées. Peut-être ne suis-je de France que lorsque sa devise est meurtrie.
Peut-être serai-je très Française, finalement, dans les années à venir.
3 commentaires:
Voilà qui est parlé, et de fort belle manière
Maintenant j'ai un doute atroce et je m'en remets à ta science. "Voilà qui est parlé" ou "Voilà qui est parler" ?
Gasp !
En effet, c'est dans l'exil, volontaire ou non, que tu te sentiras le plus "française". C'est à distance que j'ai acquis une certaine idée de l'histoire de ce lieu, des peuples qui y sont passés.
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