Cependant les membres de cette Maison ne se bornent pas à un rôle de préservation et de transmission, si important soit-il. Les Serpentards ne sont pas tout entiers tournés vers le passé. Il nous faut à présent aborder l’ultime facette de cette Maison, sans doute la plus difficile à cerner et la plus précieuse.
Le Choixpeau magique la rappelle pourtant chaque année aux élèves de Poudlard : contrairement à l’opinion communément admise, le trait de caractère qui place les élèves dans cette maison n’est pas l’orgueil, mais la ruse. «Vous finirez à Serpentard / Si vous êtes plutôt malin / Car ceux-là sont de vrais roublards / Qui parviennent toujours à leurs fins.»(1) On peut même se demander s’il n’y a pas eu là une forme d’amalgame historique, de malentendu dans la transmission, tant les deux qualités exigées par Serpentard alternent : « Ainsi Serpentard voulait un sang pur / Chez les sorciers de son académie / Et qu'ils aient comme lui ruse et rouerie.» Laquelle de ces deux caractéristiques domine l’autre? En quoi peuvent-elles être liées? On regrette l’absence d’une autre statistique, jamais mesurée par le Ministère : le nombre d’élèves de Serpentard qui n’étaient pas issus de familles au «sang pur». Ceux-là auront bien été choisis pour cette autre qualité, la ruse, que le Choixpeau (encore de parti pris?) rebaptise parfois du terme péjoratif de rouerie, mais qui consiste, explique-t-il, à parvenir à ses fins.
La Maison Serpentard a-t-elle donc, depuis ses origines, un double visage ? Ou n’est-ce pas plutôt le regard que nous portons sur elle qui est double, comme en témoigne à nouveau le Choixpeau dans cette autre description : «Serpentard, assoiffé de pouvoir et d'action, / Recherchait en chacun le feu de l'ambition.» Le qualificatif assoiffé de pouvoir est non seulement peu flatteur mais aussi dangereux, évoquant la plus célèbre des tentations de la magie noire. Mais le feu de l’ambition n’est-il pas une noble passion, une de celles qui permettent au monde et aux êtres de progresser? N’est-ce pas la part essentielle que les Serpentard sont chargés d’apporter au monde des sorciers?
Ces caractéristiques ont fait des élèves de Serpentard, génération après génération, les meilleurs diplomates, les plus retors des négociateurs, doués de la plus charmeuse des langues, des diplomates capables de faire signer la paix à des Géants, de contraindre les Anciens Dragons par des pactes enchantés, de mettre au point patiemment les chartes de la Confédération Internationale des Mages et Sorciers malgré les susceptibilités et intérêts contradictoires de chaque Etat.(2)
On parle souvent du mage noir Clivedden et de son cercle, des Serpentards anglais qui se sont ralliés à Gellert Grindelwald. Mais on oublie que le groupe secret des Défenseurs de la Terre, qui ont lancé et maintenu pendant de longs mois le sortilège d’ancienne magie empêchant l’invasion de la Grande-Bretagne, était composé pour moitié d’anciens élèves de Serpentard. On parle des héroïques Brigades à Balais et de leurs capitaines, presque tous Gryffondors ; on parle d’Alan Rungit, le brillant sorcier de Serdaigle qui a mis au point le sortilège de Décryptage pour intercepter les messages ennemis ; on ne dit pas assez que le Ministre de la Magie de l’époque était un Serpentard, et que seul un Serpentard, sans doute, était à même d’accomplir ce qu’il a accompli. Il ne s’agit plus ici de rouerie ni d’ambition, mais bien d’être capable de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre une fin, même quand ces moyens sont durs, et sombres. Il s’agit d’être capable de sacrifier un village et ses douze familles de sorciers quand le sort de la guerre est en jeu. Ce n’est pas une décision facile à prendre. Ce n’est pas beau, ni noble. Ce n’est pas quelque chose qui attirera remerciements ni médailles, ni notre amour. Mais c’est nécessaire, quelquefois. Et seuls les Serpentards sont capables de répondre à cette nécessité.
Ils en payent le prix : l’opinion les regarde avec horreur, et sans doute en sera-t-il toujours ainsi. Mais ils atteignent le but, et c’est ce qu’il fallait.
Souvent ils errent. Parfois ils cèdent à la tentation. Ils ne cherchent pas à être sympathiques. Parfois ils rêvent de vengeance, parfois ils s’agrippent désespérément au passé et nous tirent en arrière. La méfiance qu’ils inspirent est ancienne, comme est ancienne la division qu’ils incarnent dans le monde des sorciers.
Pourtant le Choixpeau de Poudlard sait lui aussi qu’en temps de guerre, quand tout nous pousse à la discorde, l’union est plus importante que jamais. Il n’a jamais manqué de le rappeler aux élèves, à chaque conflit : «Et depuis que les quatre fondateurs / Furent réduits à trois pour leur malheur / Jamais plus les maisons ne fur'nt unies / Commes elle's l'étaient au début de leur vie.»(1) Leur malheur, dit-il : notre malheur à tous, pour le passé, le présent et l’avenir. Ces dernières années, nous avons souffert plus que jamais peut-être, nos familles et nos vies ont été déchirées, et à présent tous cherchent des explications, des coupables, la justice ou la vengeance. Mais n’allons pas trop vite en besogne, n’abusons pas des simplifications. N’oublions pas le double rôle de la Maison Serpentard : elle veille sur notre passé, elle entretient la flamme de l’ambition future. Ne soyons pas trop prompts à proclamer que seuls les Serpentards et les faibles succombent à l’attrait des Arts Obscurs, car le prix à payer serait terrible. N’oublions pas que nous sommes tous responsables, et que pour la plupart, nous devons surtout bénir la chance qui nous a épargné la tentation.
A la surprise générale, lors du DésanonyMage des copies, ce devoir se révéla être écrit par une élève de Gryffondor…
1 : Histoire de Poudlard, Annexe II, Compendium des chansons de rentrée du Choixpeau Magique, op. cit.
2 : Histoire de la Magie Moderne et Les Grands Evénements de la Magie au XXe siècle
J'ai tellement aimé rédiger cette dissertation que je suis volontaire pour en composer d'autres. A vous donc de me proposer des sujets dans l'univers de Harry Potter, je choisirai celui qui m'inspire le plus.
6 commentaires:
Quelles surprises d'apprendre que les fameux "maîtres des phares" d'Ecosse étaient des sorciers ( ou très proches d'eux ), qu' Hipatia est morte dans l'incendie de la grande bibliothèque et que Jonathan Srrange faisait partie d'une importante famille de sorciers !
J'adore ces petits arrangements qui ne devraient pas déplaire à Jasper Fforde;
J'en redemande mais je n'ai pas de suggestions à proposer dans l'immédiat.
Piqué à Pierre Bayard, dans un essai consacré au chien de Baskerville : " C'est le lecteur qui vient achever l'œuvre et refermer, d'ailleurs temporairement, le monde qu'elle ouvre, et il le fait à chaque fois d'une manière différente. "
Oui, j'avais repéré aussi cette citation (et je crois même ajouté le livre à ma Liste d'Envies Cadeaux sur Amazon).
Mais s'agissait-il d'une proposition de sujet? Parce qu'il s'agit d'un sujet de littérature (que je pourrai peut-être même donner à des élèves), pas d'un sujet d'une matière de Poudlard/Hogwarts.
"De l'usage de pratiques illégales dans le combat contre les forces du Mal"... Good luck!
PS : un petit test en famille a donné un Serdaigle, un Serpentard très fier de lui, et deux Gryffindor.Quant à l'absente, le petit Serpentard a déclaré : "Elle ne peut être qu'à Hufflepuffle ... si jamais elle réussit à être acceptée à Hogwards!"
Oh non on me dit que ton adresse email n'est plus valide! Peux-tu me la renvoyer? je ne suis pas sûre que tu reçoives mes messages...
Très joli sujet :)
Je réalise que cela fait presque un an que je n'ai plus de nouvelles de toi autrement que par ce blog et j'espère que tout va bien, même si la qualité et la gaieté de ta prose semblent m'indiquer que oui :)
Bises d'un padawan...qui se demande bien où il irait :)
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