dimanche 1 juin 2008

BEYOND THE DEBATABLE HILLS

Croyez-vous aux Fées? En la réincarnation? Croyez-vous au génie? Croyez-vous aux êtres bénis, aux êtres maudits? Croyez-vous aux autres mondes? Aux absolus dont on ne revient pas, comme dans les contes? Croyez-vous aux contes?
Si vous croyez en quelque chose, vous croierez en elle, n'en doutez pas.
Vous l'aimerez.

Elle était parée de tous les dons, comme la jeune princesse de la Belle au Bois Dormant. De bien des façons elle deviendra l'héroïne du conte.
Elle avait la beauté, et aussi le charme qui peut-être importe davantage. Les yeux les plus bleus du monde — ou les plus gris? ou les plus verts? — les yeux les plus clairs et changeants et fascinants du monde, céruléens, des yeux portes vers un ciel différent. La voix la plus captivante, la plus mélodieuse. Aucun de ceux qui l'ont entendue ne l'a oubliée.
Elle savait que l'élégance des parures n'est pas une simple affeterie mondaine, que ce n'est pas un hasard si les princesses, les fées, les dames élues des chevaliers, ne sont pas seulement belles mais aussi bien vêtues. Elle avait cet art-là, le choix des coupes, l'harmonie des couleurs.
Elle portait l'un des prénoms les plus magiques au monde, l'un de ceux qui font sens, qui sont immenses, un nom de pouvoir capable de réduire un démon au silence.
Elle avait la richesse, et l'éducation, et l'intelligence, et le talent.
Elle avait des amis, et ceux-là étaient les esprits les plus riches, les plus subtils, les plus brillants, de son temps. Elle était membre d'un de ces cercles dont nous rêvons à présent, que nous contemplons avec une envie incrédule. Comment se peut-il qu'en un certain lieu, à un certain moment, se rassemblent de tels êtres? Cela se peut. C'est dans la nature du cercle, la nature de tous les cercles, avant même la Table Ronde.
Elle avait la chance. Ne méprisez pas ce don-là. De tous il est celui qui marque le mieux l'élection.

Elle écrivait. Elle parlait. Cinq langues, de l'anglais au zoulou. Elle savait que les langues recèlent l'une des plus anciennes et des plus pérennes magies de notre Terre.
Elle aimait. Elle jouait. Elle était assez secrète pour interdire au monde de voir la différence.

Elle savait où se trouvent les frontières : dans nos esprits. Elle savait, elle n'a pas cessé de le répéter, dans ses actes et dans ses livres. Nous sommes Grecs, Anglais, Zoulous, tout cela ensemble. L'amour aussi est tout cela ensemble, pour un homme ou une femme, pour une amante, une mère, une amie, quelle différence? Puisque le sang des Fées coule aussi dans les veines du marchand le plus terre à terre.

Elle savait où se trouve la plus importante des frontières, celle qui nous sépare du Peuple Silencieux des Morts. Cette frontière-là se passe à jamais.
Quand la Mort passe, et emporte votre Aimé, votre Aimée, le monde est changé à jamais.
Comme la Belle du conte, vous dormez, loin des hommes, séparée d'eux par les ronces épaisses du secret. Plus jamais vous ne serez des leurs, plus jamais vous ne marcherez parmi eux, ne parlerez leur langue.
Il y a bien des collines dont nous ne savons plus le nom ni la place, des collines qui peut-être n'existent pas en ce monde, mais que trouvent nos pas quand il le faut vraiment.

Et lorsque près de cent ans seront écoulés, elle laissera enfin son âme échapper, son corps se faner et s'éteindre.

Car sans doute était-elle bien une Fée, en fin de compte. C'est la seule explication possible. Ou la plus simple, de beaucoup. N'a-t-elle pas sans cesse répété cela? Que le sang des Fées coulait aussi dans les veines du marchand le plus terre à terre. Ses aïeux étaient des marchands.

Elle s'appelait Hope Mirrlees.
Et un jour, par jeu, avec un absolu sérieux, elle a publié Lud-in-the-Mist.

The Lady Who Wrote Lud-in-the-Mist
Hope Mirrlees sur Wikipedia
Lud-in-the-Mist sur Amazon

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Tiens elle te ressemble donc ? ;)
Je ne crois pas aux autres mondes où l'on se perd. Je SAIS qu'ils existent.
PS : Eleftheria devrait rester à Londres où l'un de ses pairs l'accueille sur son fief.

Alba a dit…

Tu m'honores, m'amie. Et me flattes. Trop.
Mais s'il est une chose à laquelle je ne crois pas, c'est bien la réincarnation. Et d'ailleurs, Hope Mirrlees est morte un an après ma naissance.
Lis la.

Ide Cyan a dit…

Elle a aussi écrit _Madeleine: One of Love's Jansenists_ (1919), qui se déroule à Paris au 17e siècle, et _The Counterplot_ (1924), qui fut traduit sous le tite _Le Choc en retour_ quelques années après sa publication, un long poème sur la ville de Paris, et beaucoup d'autres choses, pas juste _Lud-in-the-Mist_!

Alba a dit…

Eh oui, je sais cela : j'ai mis des notices biographiques en lien mais ma note n'était pas un compte-rendu biographique exhaustif, ce n'est pas l'objet ni l'esprit de ce blog. Il s'agissait d'une impression, d'une rêverie, à partir de la lecture de Lud-in-the-Mist et de certains aspects de la personnalité et de la vie d'Hope Mirrlees.
Néanmoins je serais ravie d'échanger sur d'autres aspects de son oeuvre ou de la littérature en général. Avez-vous un blog, Ide Cyan ?

Unknown a dit…

Lud-in-the-Mist vient d'être publié en français, sous le titre de Lud-en-Brume... un pur régal ! J'écume le net à la recherche d'autres fans: http://www.amazon.fr/Lud-en-Brume-Hope-Mirrlees/dp/2953944745/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1452068538&sr=8-1&keywords=Lud+en+brume