jeudi 2 avril 2009

10 LIVRES… DE PLUS

Terminer par une tricherie.
Je n'aime pas faire d'injustice — aux êtres ni aux livres.

Carson McCullers, Frankie Adams.

Je pourrais citer tous les autres. Carson McCullers fait partie des auteurs dont j'ai tout lu. Plus rare encore : dont j'ai même lu une biographie.
Mais Frankie Adams fut le premier.
Je ne savais rien de la littérature américaine. J'en sais toujours bien peu. Les écoles françaises la négligent. Je ne savais rien du Sud que les clichés : Guerre de Sécession, Autant en emporte le vent, Le Nord et le Sud, et La Nouvelle Orléans aux couleurs des vampires d'Anne Rice.
Et puis j'ai lu Carson McCullers.
Pour un temps, je suis devenue américaine. Pour un temps, j'ai été une adolescente du Sud des Etats-Unis. Et la Terre s'est doucement infléchie sur son axe — oh, juste un peu, imperceptiblement. Les livres ont aussi ce pouvoir-là.
Toutes les adolescentes devraient lire Carson McCullers. Et tous leurs parents, et tous les directeurs de collection ou de magazines qui prétendent comprendre ce public-là. Alors peut-être arrêteraient-ils de les rêver à leur façon, à leurs couleurs. Rien de moins culcul que Carson McCullers.

Jane Austen, Orgueil & Préjugés.
Encore une femme, et encore un auteur lu en entier.
Ils disent que ce sont des livres pour jeunes filles et femmes rêveuses, mariages, incertitudes du coeur, chassé-croisés des sentiments, bals et salons. Peut-être, peut-être.
Mais la finesse. Mais le style. Mais l'humour. Mais l'impitoyable miroir renvoyé aux folies humaines de tous âges et tous sexes, aux petites cruautés, aux petites vanités, aux petites sottises. Mais la profondeur des âmes et la foudre cinglante des mots.
Si infime la matière et si grande l'oeuvre. Je tiens Jane Austen pour la première des romancières modernes (et tant pis pour Mme de Lafayette).

Virginia Woolf, Mrs Dalloway.
Et de trois.
Qui n'aime pas Virgina Woolf? Qui, au moins, peut ne pas être fascinée par elle?
D'elle je prends tout, accepte et conserve tout. Ses rêves, sa fin, ses personnages, ses doutes, ses amis et ses amours, Bloomsbury, ses facéties, ses gravités, ses révoltes, son féminsme ambigu — comme tout en elle est ambigu. Et son écriture. Le grand flux de son écriture. Que nul n'égale, à mes yeux. Pas Joyce, non plus. On me huera, mais… Virgina Woolf réussit ce qu'il échoue, change l'exercice de style en évidence limpide. Toujours sur le fil par un miracle d'équilibre.
Oui, je la garde en moi. J'ai même créé, joué un personnage qui portait son nom et une moitié de son héritage. Juste assez près de la folie pour ouvrir grand les yeux.

Umberto Eco, Le Nom de la Rose.
J'aime Eco. son érudition, son esprit, la grande modestie de ce grand intellectuel qui ne craint pas de parler à la fois de Superman et de sémiologie.
Mais j'aime, surtout, Le Nom de la Rose. Et n'en finis pas de rêver d'abbayes, de livres empoisonnés, du rythme des heures monastiques, de saints qui sont peut-être hérétiques et de meurtriers qui sont peut-être saints, de codes, de plans, de bibliothèques labyrinthiques, et d'un Moyen-Age d'ombre violente et de lumière infinie.

Michel Tournier, Le Roi des Aulnes.
J'étudiais l'allemand depuis de longues années et je n'avais jamais compris encore le goût de l'Allemagne, l'attrait de cette cette culture-là, de ces paysages-là. Je l'avais deviné parfois, dans les burgs rêvés par Hugo, les châteaux rêvés par Ludwig… mais rien de plus.
Alors vint ce livre. J'en garde au coeur une forêt à la Dürer, la silhouette d'un cavalier qui est peut-être la Mort et peut-être le Sauveur. Et une autre leçon (qu'ont complétée Les Damnés de Visconti — était-ce avant? était-ce après?) Une sombre, terrible, essentielle leçon. Regarder en face ce qui a fasciné l'Allemagne et une bonne partie de l'Europe à l'heure la plus sombre. Fasciné, oui, comme un serpent, beau et répugnant et pervers, dont on ne peut détourner le regard. Le regarder en face, et regarder en face les ombres de notre propre coeur qui lui donnent son pouvoir. Accepter cette lucidité insupportable parce qu'elle est notre seule sauvegarde possible.

Guy Gavriel Kay, Tigane.
Il y a des livres qu'on voudrait violemment avoir écrits soi-même. Tigane est de ceux-là. Tout en lui fait écho, et avant tout le thème qui lui donne naissance, le plus absolu des exils, celui d'un royaume dont tout souvenir a été effacé, dont le nom même a été occulté — un pays qui n'a plus d'existence que dans notre âme, un exil que rien ne peut adoucir.
Et tout le reste: la richesse des personnages, le refus de tout manichéisme, le tissage de la narration, l'ampleur du récit. De la fantasy et beaucoup plus que de la fantasy. Un vrai, grand roman. Un de ceux qui vous font croire au roman, justement, et vous donnent envie d'en écrire.
Depuis, j'ai eu la chance de rencontrer (un peu) Guy Gavriel Kay, et c'est une grâce supplémentaire — ce qui n'avait rien d'évident.

Michel Rio, Merlin, Morgane, Arthur.
Mes mots s'épuisent.
Je cite les siens.
Des phrases que j'ai affichées partout, gravées au fronton de mon esprit.
Que je voudrais graver dans le monde.
Il faut essayer de construire avec son esprit et ses mains un rempart contre le froid et la nuit, un édifice dans le vide. Il faut essayer, sans relâche. C’est le devoir absolu de l’être qui a reçu en partage la conscience, l’imagination et la prévision. Si cette tentative engendre sottise ou folie, qu’importe. Et il faut vaincre la peur. C’est une question de dignité.

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