Il y a des siècles que je fais ce travail et je ne m'ennuie pas. Leurs cosmogonies sont passionnantes. Les anges qui maintiennent solidement la Terre à l’aide de cordes en branchies de poisson, c’est génial. Et le grand tunnel en demi-cercle dans lequel le soleil glisse comme sur un toboggan pour resurgir à l’autre bout comme un boulet de canon est un peu dangereux à observer mais spectaculaire. Comme j’adore l’escalade, je me régale dans tous les mondes construits autour d’une axe géant, arbre ou poteau de fer. Et j'ai bien sûr un faible pour la grande tortue qui porte sur son dos les quatre éléphants supportant le monde. Mais cette fois... Cette fois c'est different. J'avais entendu parler d'elle, bien sûr, je ne suis pas du genre à foncer avant d'avoir fait mes recherches. Mais je m'attendais à quelque chose comme la tortue, en peut-être un peu plus grand : une baleine nageant sereinement entre les étoiles avec une terre posée sur son dos. La sérénité est bien là, c'est tout ce que je peux dire. La terre, je ne la vois pas. La baleine non plus, dans un premier temps. Ni les étoiles. C'est cela qui me saisit : les étoiles ont disparu et je navigue soudain dans les ténèbres absolues.
Je ne la vois pas, mais je la sens. Paisible, sage, immense. Gigantesque, oui, si grande que je ne peux embrasser ses contours, si grande — qu’elle ne porte pas le monde, elle l’enveloppe. Sa forme, je la distingue à présent, c’est celle des ténèbres. C’est l’absence d’étoiles qui dessine, en creux, la baleine.
Alors je me glisse dans les fanons stellaires et j’entre comme Jonas dans la bête, parmi le plancton d’astéroïdes.
Quelqu’un a rallumé les lumières. Le monde que je suis venue étudier flotte au milieu de ce ventre-titanide, et les étoiles sont là tout autour, dessinent en constellations les parois.
Je sens sa douceur, sa chaleur, les lents battements de son cœur. L’univers est devenu un océan et je file, doucement, dans une galaxie en forme de baleine.
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