samedi 13 janvier 2007

LAMBEAUX & FRONTIÈRES

La route serpente entre les Mondes. A quel moment traverse-t-on?
Nous passons la Forêt du Massacre, échappant à l'étreinte spectrale des soldats de François Ier. Ils n'en finissent pas de marcher, inlassablement, dans la même direction que nous, s'efforçant toujours d'apporter leur secours à la Cité. Mais les siècles les freinent, les ombres les alourdissent, et nous les dépassons.

C'est un voyage périlleux, qui déchire la trame du monde et déchire mon ventre, mais nous montons, montons, et nous sommes au Col, et la vallée apparaît.
Sauf qu'il n'y a pas de vallée. La route descend vers les nuages, vers la brume, le sol s'est aboli, il n'y a plus de terre. C'est la frontière. Et je ne sais toujours pas de quel côté du Monde nous sommes, si nous allons quitter le Pays des Rêves ou y pénétrer.

Descendre sans peur vers cette brume, accepter de s'enfoncer, prendre le risque de disparaître. Les rochers sont encapuchonnés de neige, la Plus-Haute Cime se voile, pudique, d'écharpes de nuages. Accepter de sombrer. Accepter que les zones frontières, les villes portes, les crêtes entre les mondes, nous ôtent tous nos repères.

Accrocher nos yeux aux cimes des sapins, aux rayons qui traversent les brumes, accrocher nos yeux au jet triomphal qui jaillit haut dans le ciel, bien visible, à des kilomètres de là, et qui nous appelle, qui nous guide. Sourire enfin, savoir que nous passerons, encore cette fois-là, que les brumes ne nous absorberont pas à jamais, que la lumière brillera encore. Et faire taire la petite voix qui demande si nous ne serions pas plus heureux dans les Brumes, qui demande quel monde éclaire cette lumière, de quel côté est le Monde Réel.

Et s'engouffrer enfin dans la Cité, sauvée malgré le massacre des soldats, à sauver à nouveau chaque jour, la Cité qui est une citadelle du Rêve et qui l'a oublié.
Loin des Brumes, loin de l'Ombre des Monts, loin des Forêts, savoir enfin qu'il n'est qu'une seule réponse à ma question: le Monde Réel est celui où nous sommes réunis.
M'enfoncer alors dans les limbes qui nous séparent, et attendre que la Réalité renaisse avec nos retrouvailles.