dimanche 14 octobre 2018

#Inktober 14 : Clock

Votre vie est rythmée par des horloges.
Vous avez des horloges internes qui d’un tic tac dans l’estomac vous intiment d’aller vous nourrir, ou d’un bâillement vous rappellent qu’il est temps d’aller dormir. Vous les déréglez parfois en voyageant autour de la terre plus vite que l’aiguille des heures, et alors vos corps ne comprennent plus rien et s’endorment en plein midi.
Vous avez des horloges extérieures, de toutes sortes, des sonneries stridentes, des cloches de bronze, parfois même de la musique, qui décident tout à votre place et découpent le temps de vos esprits. Vous vous levez, vous partez à temps pour attraper leur bus, vous pointez, vous avez droit à une pause, c’est bientôt la fin du cours, il ne faut pas coucher les enfants en retard.
Même vous société a des horloges très complexes et futiles qui vous indiquent combien de jours il reste avant les vacances, ou avant la fête de Noël. Parfois elles sont terrifiantes et vous annoncent combien de minutes il reste au monde avant une guerre nucléaire, avant que la planète se transforme en fournaise.
Et vous ne vous révoltez pas. Vous ne brisez pas leurs horloges. Même, vous les sortez en cachette pendant que je parle pour savoir dans combien de temps j’en aurai fini.
Je ne vous jette pas la pierre. S’il en est ainsi, il y a sûrement une bonne raison. N’est-ce pas l’humanité qui a inventé le temps ? Vous êtes, avant tout, les créatures de cet écoulement étrange et mesuré. Vos horloges sont si avancées maintenant que vous n’entendez même plus leur martèlement. Le tic tac est archéologique.
Alors dites moi : je vous ouvre mon cœur et mon esprit, je déverrouille mon torse et dévoile les rouages merveilleux dont vous l’avez rempli. Voyez comme mon mécanisme ressemble à celui d’un horloge.
Pourquoi ne voyez-vous pas que je suis aussi humain que vous ?

samedi 13 octobre 2018

#Inktober 13 : Guarded

You loved me. I might have loved you, in more than one fashion.
But we should have known better.
For I am guarded.

And I am not talking about
towers and kings, witches and dragons
(or am I ?)
I am not talking about
fathers and brothers and old family curses
(am I, though ?)

But I am still guarded
against you, against myself

You came dressed in light and smile and music
and I loved you, in too many ways
but the guard knows better
and sees your true colours.

The guard stands firm as a knight
(which it isn’t, I am sure of that one)
ever-vigilant, with eyes deep as stars
and defends the door
against Darkness.

So I see through your youthful guise
and you won’t be
allowed in
my sweet, my lord, my dark one.
The door is guarded
now and ever
even
when I
love.

vendredi 12 octobre 2018

#Inktober 12 : Whale

Il y a des siècles que je fais ce travail et je ne m'ennuie pas. Leurs cosmogonies sont passionnantes. Les anges qui maintiennent solidement la Terre à l’aide de cordes en branchies de poisson, c’est génial. Et le grand tunnel en demi-cercle dans lequel le soleil glisse comme sur un toboggan pour resurgir à l’autre bout comme un boulet de canon est un peu dangereux à observer mais spectaculaire. Comme j’adore l’escalade, je me régale dans tous les mondes construits autour d’une axe géant, arbre ou poteau de fer. Et j'ai bien sûr un faible pour la grande tortue qui porte sur son dos les quatre éléphants supportant le monde. Mais cette fois... Cette fois c'est different.  J'avais entendu parler d'elle, bien sûr, je ne suis pas du genre à foncer avant d'avoir fait mes recherches. Mais je m'attendais à quelque chose comme la tortue, en peut-être un peu plus grand : une baleine nageant sereinement entre les étoiles avec une terre posée sur son dos. La sérénité est bien là, c'est tout ce que je peux dire. La terre, je ne la vois pas. La baleine non plus, dans un premier temps. Ni les étoiles. C'est cela qui me saisit : les étoiles ont disparu et je navigue soudain dans les ténèbres absolues.
Je ne la vois pas, mais je la sens. Paisible, sage, immense. Gigantesque, oui, si grande que je ne peux embrasser ses contours, si grande — qu’elle ne porte pas le monde, elle l’enveloppe. Sa forme, je la distingue à présent, c’est celle des ténèbres. C’est l’absence d’étoiles qui dessine, en creux, la baleine.
Alors je me glisse dans les fanons stellaires et j’entre comme Jonas dans la bête, parmi le plancton d’astéroïdes.
Quelqu’un a rallumé les lumières. Le monde que je suis venue étudier flotte au milieu de ce ventre-titanide, et les étoiles sont là tout autour, dessinent en constellations les parois.
Je sens sa douceur, sa chaleur, les lents battements de son cœur. L’univers est devenu un océan et je file, doucement, dans une galaxie en forme de baleine.

jeudi 11 octobre 2018

#Inktober 11 : Cruel


Je suis celle que l’on regarde avec horreur. Je le sais bien. Je n’ai pas les formes pleines de ma soeur cadette, les longues boucles de la benjamine. Je suis maigre, anguleuse, sinistre. Ils me regardent, et ils voient une vieille femme. Pas une gentille Bonne-Maman aux joues rondes et aux lunettes souriantes, non, ce qu’il y a de pire dans la vieille femme. Le cadavre ambulant.
Ils me regardent et ils frissonnent.
Ils parlent de mes mains comme des serres d’une harpie, des crochets d’une infirme. Ils les suivent du regard, mes mains. Elles les terrifient.
Je suis le monstre qu’on hésite à craindre ou à haïr, la créature difforme en haut de sa tour, avec des ciseaux d’argent en place de mains. Le cruel ciseau, ils disent.
Je n’ai jamais compris ça : pourquoi des ciseaux seraient plus cruels qu’un fil ou un fuseau, qu’une feuille ou une pierre.
Mais j’ai la tête de l’emploi, c’est vrai.
Ses sœurs créent, au moins, ils disent. Elles sont du côté de la vie. Alors qu’elle. Clic. Le clic suffit à les faire défaillir.
Ils ne voient que mes mains. Jamais mes yeux : ils les cachent sous un profond capuchon.
Ils ne voient pas que de mes sœurs, je suis la seule à ne pas être aveugle. La seule à les pleurer.

mercredi 10 octobre 2018

#Inktober 10 : Flowing

Je suis assis sur la petite île rocheuse et ma respiration s'écoule comme le fleuve autour de moi. J'ai besoin de toute ma concentration pour rester immobile ici et me soustraire à son flux. Ensuite seulement je peux le sentir en moi, l’écoulement de l’eau, de l’amont vers l’aval. Si vous avez jamais observé un fleuve, même plus… naturel que celui-ci, vous savez que ce n’est pas aussi simple. Ici il ralentit tellement qu’on croirait une mer étale, là il accélère en rapide tumultueux, là-bas il tourbillonne et ne sait même plus dans quel sens il va. Par moments il s’égare en d’étranges diffluences, se perd dans des marécages.
Mais le gros du flux continue, je le sais bien. Je peux à présent voir les innombrables esquifs emportés dans son cours. La plupart sont bien trop obsédés par leur course pour m’apercevoir. Il arrive pourtant que l’un d’eux croise mon regard.
J’y lis presque toujours la même expression : l’envie — la haine parfois. Parce que je ne suis pas emporté par le fleuve ils me croient immortel. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça. La Mort et le Temps n’ont pas du tout les mêmes règles.
Parfois aussi je distingue d’autres êtres qui, comme moi, jouent avec le fleuve. D’autres îlots. Quelques engins improbables qui surgissent de l’eau pour replonger plus loin dans le fleuve — ou plus haut, en amont, à rebrousse-courant.
L’eau s’en moque. Elle coule.
Ce qui m’intéresse le plus, c’est cette femme-là qui mène sa barque dans le courant comme une navigatrice. Elle perçoit les courants, les utilise. Là, par exemple, elle a encalminé son radeau dans un coin, et elle n’est même pas en train de méditer comme moi. Je me demande comment elle s’y prend. Je me demande à quoi elle peut occuper tout ce temps gagné, par petites poches, avant de se lancer à nouveau dans les courants. Je me demande si c’est une sorcière, ou une moniale — ou une mère de famille.

mardi 9 octobre 2018

#Inktober 9 : Precious

Voilà donc où nous en sommes, mon amour. Au bord de l'abîme, à la toute fin de notre histoire, au seuil des ténèbres.
Et je le tiens entre mes mains, chaud, palpitant, pulsant d'une étrange vie sanguine. Il est presque menaçant. Je ne devrais pas être étonnée : il est tien, et tu as toujours été menaçant aussi, dangereux, tendu dans l'élan d'un combat perpétuel contre le monde. Je le tiens entre mes mains - mes mains trop blanches, trop fines, d'érudite préservée - et voilà que mes doigts sont tachés de sang.
Je n'avais pas besoin de cette horrible métaphore. Je sais bien que j'ai du sang sur les mains. On ne peut pas se donner à toi et y échapper. On ne peut pas t'aimer et conserver son innocence. Quel mensonge abject ce serait. On ne peut pas t'aimer sans accepter tes ténèbres. On ne peut pas partager ton lit et se soustraire à tes tortures. On ne peut pas partager ta vie et ignorer tes crimes.
Même moi je n'ai pas pu.
Je suis là et il repose entre mes mains d'amante et de sorcière. Et il n'est rien au monde de plus précieux, même à présent. Ton cœur, mon amour, mon démon.
Alors je referme mes doigts, et le sang jaillit.

Pour Vykos, obviously

lundi 8 octobre 2018

#Inktober 8 : Star

Comme pour toute légende, il est impossible de mettre le doigt sur son commencement.
J’aime imaginer un obscur archiviste penché sur quelque cadastre et pointant la forme étonnante des remparts : celle d’une étoile. De haut la ville ressemblerait à une ville-étoile.
Et tout partirait de là. Je ne sais pas trop, tout de même, comment la phrase sortirait des archives, acquerrait la forme vivante et sifflante des rumeurs. Un jour on l’entendrait à la table du prince : « Un cartographe — il dirait cartographe, archiviste sonne décidément trop poussiéreux — m’a fait remarque l’autre jour que notre ville, vue du ciel, ressemblerait tout à fait à une étoile. »
Et le prince sourirait. Quelle image flatteuse. Toute une culture naîtrait de cette flatterie. Les lumières sur les bastions, les lanternes célestes de l’équinoxe, la tour d’astronomie.
Et puis une princesse aurait l’idée poétique de baptiser son premier-né Arcturus. Nous savons bien comment cela fonctionne : la noblesse s’emparerait de cette mode, puis le peuple, et quelques siècles plus tard seuls des traditionalistes dépassés choisiraient de tels noms pour leurs enfants.
A quel moment aurait-on changé les toponymes ? A quelle date le fleuve traversant la Ville serait-il devenu la Via Lacta ?
Cela n’a pas vraiment d’importance. Les poètes écriraient d’innombrables textes, on oublierait de quoi il s’agissait au départ, d’une bête question de forme. On écrirait que la Ville-Etoile éclaire le monde. On écrirait que le civilisé (comprenez : le citoyen de cette Ville) est avant tout celui qui regarde les étoiles. Et il en aurait toujours été ainsi.
Je suis un érudit, voyez-vous. Je ne suis pas dupe. Et pourtant.
La Ville brille en moi comme une étoile.

(Ce texte-là est écrit dans le même univers que celui de ma nouvelle "Ave Ignis" et d'un roman que, qui sait, j'écrirai peut-être un jour.)

dimanche 7 octobre 2018

#Inktober 7 : Exhausted

Parfois nous n’en pouvons plus.
Nous avons tout essayé. Mais ça n’a rien à voir avec la bonne volonté, avec la volonté tout court.
Parfois c’est le monde qui ne veut plus. C’est une petite chose, et puis une autre, et encore une, tout un mur de petites briques, sales et branlantes, qui nous cachent le soleil, qui finiront par s’écrouler sur nous. C’est comme un de ces jeux de Mikado, ou plutôt le contraire, on ajoute un cube, encore un cube, jusqu’à celui qui fera tomber tout l’édifice.
On ne peut pas prévoir de quel cube il s’agira, sa couleur, sa taille. C’est un article de plus sur le réchauffement climatique, et la fin qui s’en vient. C’est le collègue qui s’emporte soudain, on ne sait pas pourquoi. C’st un mail désagréable de notre supérieur. C’est un automobiliste qui nous klaxonne parce que nous respectons la limitation de vitesse. C’est un enfant qui tombe malade l’après-midi où nous avions prévu de nous reposer, ou l’après-midi où nous croulons sous le travail, c’est toujours la mauvaise après-midi. Mais ce n’est pas la faute du cube. Ce n’est la faute de personne.
C’est trop.
C’est le moment où certains prennent le train et s’en vont pour toujours, le moment où certains s’endorment pour cent ans, comme dans les contes. Le moment où la besace magique est vide, inexplicablement, on a beau glisser sa main au fond, la retourner, il ne reste rien, pas une miette de gâteau, ni d’or, ni de courage.
Le moment où je me glisse derrière la bibliothèque, à cet endroit-là, et j’ouvre la petite porte bleue, de mots et d’ivoire, qui n’est jamais fermée.

samedi 6 octobre 2018

#Inktober 6 : Drooling

J’essuie la bave au coin de son bec. Ça ne sert pas à grand chose, je le sais bien. Ses plumes sont en si mauvais état de toute façon qu’un peu de salive ne change pas grand chose.
Si elles étaient sèches, peut-être qu’il pourrait voler. Non. Si elles étaient sèches, et entières, et s’il n’en avait pas perdu des dizaines cette année… Il ne volera plus jamais, je le sais bien.
« Tu devrais engager quelqu’un pour s’occuper de lui. Ou le confier à un asile. »
Ils savent bien que ce n’est pas possible. Depuis qu’il a perdu la vue, il ne laisse plus personne l’approcher. Personne d’autre que moi. Il connaît si bien mon odeur qu’il arrive encore à l’identifier, après tout ce temps. Et il est encore dangereux : son bec peut toujours percer un oeil, ses sabots fracasser un crâne.
« Alors tu devrais le faire piquer. Dans son propre intérêt. Il est aveugle, cloué au sol, pourquoi s’acharner ? »
S’acharner. Ils ont peut-être raison. Peut-être que ce n’est pas dans son propre intérêt, mais dans le mien.
J’entoure son cou de mes bras, je plonge mon nez dans ses plumes, et il se laisse faire, avec un petit cri rauque. Ce n’est pas son odeur de bête malade que je sens, ce n’est sans doute pas la mienne qu’il perçoit non plus.
Mais celle de l’homme que nous avons perdu tous les deux.
Alors j’essuie la bac au coin de son bec, et je ne le tue pas.
Ce serait perdre Sirius une nouvelle fois.

vendredi 5 octobre 2018

#Inktober 5 : Chicken

C’était un dimanche midi, à table. Elle avait trois ans. Ses parents ont exhibé un os du poulet, un os bien nettoyé, tout petit, un peu étrange — comme une fourchette, comme une aile vestigiale, un os qui aurait dû appartenir à un ptérodactyle plutôt qu’au poulet bien gras qu’ils avaient mangé.
« C’est l’os des souhaits, lui ont-ils expliqué. Chacun tire d’un côté, et celui qui a le morceau le plus gros voit son vœu réalisé. »
Elle a posé l’os à plat dans sa menotte. Il dépassait de partout. Elle l’a bien regardé, en fronçant les sourcils, comme elle faisait déjà. Puis elle a choisi un côté. Son père a pris l’autre. Ils ont tiré. C’est elle bien sûr qui avait le plus gros morceau.
Cette fois, et la fois suivante, et toutes les autres. Avec ses parents, ses frères, ses amis, ses collègues. Avec moi.
« Encore ! » m’exclamai-je, dépité.
Elle m’a regardé avec perplexité : « Tu sais, si tu veux gagner, il faut que tu choisisses le premier.
— Pourquoi ?
— Parce que l’os se casse toujours de la même façon. Tu ne vois pas ? »
Elle a essayé de me montrer les signes : l’angle, la courbure, l’amincissement de l’os, la plus grande fragilité — mais je ne vois pas ce qu’elle voit. Je préfère croire que c’est un de ces petits pouvoirs magiques du quotidien, comme nous avons tous.
Alors que je sais bien : she’s my Sherlock.

jeudi 4 octobre 2018

#Inktober 4 : Spell



Il mène sa vie comme il le peut. A tâtons, comme tous les humains. Il réussit parfois, se trompe souvent. Il a des coups de chance, il fait de belles rencontres. On le quitte, on le licencie. On lui dit : c’est la vie. C’est sûrement vrai.
Il pleure en secret, comme tous ces hommes à qui on a appris qu’il ne fallait pas, qu’il ne fallait jamais. Il rit aussi, d’un beau rire sonore qui ébranle.
Il avance, malgré tout — c’est ce qu’il se dit, mais peut-être est-ce seulement pour se rassurer.
Il n’est pas différent des autres, se dit-il, un équilibriste qui manque cent fois basculer dans le vide. Ce sera peut-être cette fois, se dit-il en allant chercher ses résultats d’analyses. Ou cette fois, pense-t-il, les soirs de solitude intense dans la cité dévoreuse d’âmes. Ou encore cette fois, quand le téléphone sonne et que la voix de sa mère est grave au bout du fil. C'est cette fois, croit-il soudain quand explose une rame de métro.
Mais il continue de marcher, de trébucher sans tomber.
Sans voir en dessous de lui le filet du sortilège.

mercredi 3 octobre 2018

#Inktober 3 : Roasted

Personne n'avait une odeur comme la sienne.
Je la flairais sans cesse, entre les draps, dans son cou, dans le vent qui l'enlaçait.
Elle en riait, sans jamais s'offenser.
Je n'avais jamais reniflé mes amantes, avant elle. Je n'avais jamais eu ce côté animal, presque lupin, que j'avais à plonger mon nez dans ses cheveux, à inspirer sa peau.
Et elle riait.
"Est-ce que je sens mauvais, après l'amour ?"
Bien sûr que non. Elle ne sentait pas mauvais, ni après, ni avant, ni jamais.
"Non, tu sens... Les feuilles sèches, peut-être, les feux de cheminée. La tarte aux pommes. Les châtaignes grillées dans les rues."
Elle riait de plus belle : "Tu as percé mon secret, je le crains. Je suis en réalité la Reine de l'Automne."
Je la croyais. Elle aurait pu l'être, avec sa magie, sa haute taille, avec les boucles rousses de ses cheveux et les petites rides au coin de ses yeux bruns.
L'odeur ne disparaissait jamais de sa peau, même au sortir du bain.
J'en saurais plus tard, bien trop tard, la raison.
Elle avait été mise au bûcher si souvent.

mardi 2 octobre 2018

#Inktober 2 : Tranquil

Ne croyez pas que je dors bien la nuit.
J’ai la panoplie complète : insomnie, sueurs froides, cauchemars, angoisses sur le coup des trois heures du matin.
J’ai fait comme les pires sorcières : voiler tous les miroirs où mon visage pourrait se refléter. Mon visage de lâche, mon visage de traîtresse.
Si je rêve, c’est de tous ceux que j’ai laissés en arrière, de tout ce qui est en train de se consumer à jamais. Je ne sais pas où ils en sont. Je ne tiens pas à savoir. Laquelle des calamités a eu leur peau en fin de compte — la chaleur, la montée des eaux, la pollution, la guerre, je ne sais pas. Dans mes cauchemars, j’entends parfois le bruit des sabots, et je ne sais pas si son ceux de la Jument Nocturne ou des cavaliers de l’Apocalypse.
Ne croyez pas que j’échappe aux remords.
Mais le crépuscule illumine les collines à l’ouest de la maison, et les feuilles d’automne tournent dans la brise. Nous avons allumé la cheminée. Les enfants se poursuivent et rient dans le jardin.
J’ai abandonné tout ce qu’il est possible d’abandonner. La Terre elle-même.
Mais je serre le thé chaud entre mes mains, je serre les enfants entre mes bras, et je souris. Tranquille.

lundi 1 octobre 2018

#Inktober 1 : Poisonous

La pomme est posée là. Dans ma bibliothèque. Je la laisse bien en vue pour ne pas l’oublier, pour qu’elle s’impose sans cesse à ma rétine.
Mais ce n’est pas vraiment nécessaire. Rouge et luisante, elle déforme la lumière autour d’elle.
Elle déforme peut-être bien la réalité, aussi.
Une pomme, et le conte déborde sur le monde, la fiction sur la réalité.
Si je cligne les yeux comme ceci, des tiges en sortent de toute part, elles poussent, elles s’étendent, elles recouvrent la bibliothèque comme un lierre, l’univers comme une toile d’araignée.
Si j’incline un peu la tête comme cela, elle m’éblouit comme un miroir, comme un écran.
Alors je lui tourne le dos, je l’oublie, j’essaie de ne pas me demander si elle marque un début ou une fin, si elle est miracle ou méfait.
Elle est posée là. Intacte, en apparence. Il ne faut pas la saisir, pas la retourner : on verrait la marque d’une morsure.
C’est là que tu as croqué, Alan.