samedi 23 décembre 2006

LA MAISON DES MERVEILLES

Ce fut pendant un certain temps, dit-on, que ces deux s'aimèrent dans les profondeurs d'un grand bois, qui devint enchanté, bizarre et périlleux du fait de leur seule proximité."

Tanith Lee, Les sortilèges de la nuit



Ils vivent à présent dans une maison aux lisières d'un autre bois, près d'un lac, dans un hiver enchanté.

La forêt n'est pas moins ancienne, ni la terre. Aucune ville d'hommes n'a pu s'établir là, jamais, en aucun siècle. C'est le domaine des Fées et des Esprits.

Les maisons nouvelles y sont soigneusement calfeutrées, poutrées et lambrissées de bois doré. Les hommes qui vivent là se souviennent des vieux enchantements, et savent que les beautés de ce lieu n'excluent pas le péril, que les Merveilles du bois prennent autant qu'elles donnent, exactement autant, et qu'il faut se protéger d'elles, malgré leur charme, à cause de leur charme.

Et c'est d'autant plus vrai à présent qu'ils vivent là, qu'ils s'aiment là.

Leur maison aussi est protégée des Esprits de l'Hiver et de la Forêt.

Le jour, l'air glacé s'adoucit pour passer leurs fenêtres, le soleil les inonde, la brume les enveloppe, et la cascade chante, même gelée, par précaution. On ne sait jamais. Le bruit des fontaines et des cascades guérit la folie, n'est-ce pas, et c'est une grande et belle Folie qui demeure là.

Le soir, des étoiles brillent à leur fenêtre. Non pas seulement les étoiles gelées qui brillent dans ce ciel de légende, non, des étoiles brillent dedans, de l'intérieur de la Maison, car sa nature à elle fut toujours liée aux étoiles, et toutes les maisons qu'elle occupe sont des phares.

La nuit, des animaux de toutes espèces s'approchent de la maison, s'y assemblent, l'entourent de leurs signes, s'y réchauffent au feu de leur magie et de leur amour.

Parfois les Amants joueurs se glissent au dehors, empruntent les vieux sentiers, dessinent sur la neige, parlent aux arbres. Parfois il sort deux antiques lames et lui enseigne des arts depuis longtemps perdus. Parfois ils descendent jusqu'aux villages des hommes, et leurs rires résonnent hauts et clairs, et ils s'amusent à découvrir des confitures ou des fromages, et ils choisissent ensemble les gâteaux qu'ils goûteront le soir.

Et ils mettent de côté leurs ténèbres, car ils s'aiment, et c'est le temps du Solstice, et ils sont comme des enfants qui désirent faire partager leur bonheur.

Pourtant l'ombre rôde. La Cour Sombre n'est jamais loin. Certaines branches se couvrent de givre et se courbent en arche pour saluer leur passage -- mais elles ne survivront pas à cette brève gloire. Certaines mares se changent en Miroirs du Diable, certaines routes en verglas mortel. Certains des plus vieux lits de bois enchaînent les dormeurs et les amants, certaines eaux s'empoisonnent. Tous les enchantements sont à double tranchant.

Mais loin des villes, aux lisières d'une forêt, le temps d'un hiver enchanté, ils s'aiment. Et le monde autour en est changé.

vendredi 27 octobre 2006

ENQUÊTE LINGUISTIQUE

Je ne sais pourquoi, je viens soudain de me trouver poursuivie par le mot :

ÉBATS

Il m'obsède, me pourchasse, m'enchante, je ne m'en défais pas.

Pour exorciser cette possession, je décide de le considérer d'un sage point de vue linguistique... argh, linguistique est un mauvais mot... d'un sage point de vue lexical, et pars en chasse dans les dictionnaires.

Le Robert est décevant :
ÉBATS : Jeux, mouvements d'un être qui s'ébat. "Des ébats de cygnes dans les claires eaux des viviers" (Hugo).


J'aime Hugo, mais je n'aime pas les cygnes.
J'aime le mot de "jeux", qui en effet fait une partie du charme de "ébats"... mais ne suffit pas.

Le Dictionnaire des Synonymes est plus fertile :
ÉBAT et ÉBATTEMENT (au pl.) : amusement (mais oui), délassement (d'une certaine façon... ou bien délacement ? Un corset...), distraction, divertissement, jeu, mouvement (certes les mouvements sont importants aussi), passe-temps (oh que non !), récréation (celui-ci m'amuse, c'est le nom du fichier de mon texte sur l'Opéra...), sport (de loin le plus alléchant), voir PLAISIR (ah, tout de même !) et par extension, CARESSE.
Contraire : REPOS.
Bannissons donc le repos.

Et un synonyme qualifié de "littéraire", un mot que je n'avais jamais entendu : oaristys.

Oaristys ??
Je m'en retourne consulter le Robert.
OARISTYS : fin XVIIIe (Liaisons Dangereuses ?), mot grec. Idylle, ébats amoureux. "Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !" (Verlaine).

Verlaine est plus explicite qu'Hugo. Quoique à y réfléchir... les cygnes... Léda et Zeus...

Mais le Dictionnaire des Synonymes proposait des renvois suggestifs, et je ne voudrais pas bouder mon...

PLAISIR : agrément, aise (j'aime bien "soupirer d'aise", nous le faisons souvent), amusement (décidément...), béatitude (notre état le plus fréquent quand nous sommes ensemble, remarquons que BÉATS et ÉBATS sont des anagrammes révélateurs...), bien-être, blandices (blandices ! damnation ! encore un mot que j'ignore !), bonheur, charme (qui est magique, n'oublions pas), complaisance (me veux-tu complaisante ? pas toujours, j'imagine), contentement, délectation (ah ! j'aime délectation et toutes les... saveurs qu'il évoque), délices (aussi...), distraction, divertissement, ébats (et la boucle est bouclée), épicurisme, euphorie, félicité, gaieté, hédonisme, jeu, joie, jouissance (ce tryptique en J est admirable...), oaristys, passe-temps, récréation, régal (la racine me frappe soudain : le plaisir serait-il un repas de Rois ?), réjouissance, satisfaction, voir... VOLUPTÉ. Argh. Les mots sont un jeu sans fin.
Assouvissement, concupiscence, lascivité, libido, luxure, orgasme, sensualité (ceux-là sont plus explicites, et ne me déplaisent pas... J'aimerais bien, Amour, que ma *** *** ta ***…)
Je découvre un mot vieilli : Conjouissance... dont je devine le sens.

Bien...
Que nous ajoute donc VOLUPTÉ ?
(j'aime bien "volupté" d'ailleurs... je trouve ses sonorités... voluptueuses)
Peu de mots, sinon quelques termes anciens que j'ignorais : le délectable "chaffriolement", qui m'évoque quantité de ronronnements... et le mystérieux "donoiement".

Le Robert les ignore.
Par contre, je trouve :
BLANDICES : Ce qui flatte, séduit. "Toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme" (Chateaubriand)

Cher René. Je signe. Ce programme me sied.

Damnation ! Le Littré aussi écarte (d'accord, j'ai choisi à dessein le verbe écarter…) "chaffriolement" et "donoiement".

Ah ! Le dictionnaire des "Mots sauvages" m'éclaire.
J'aime que "donoiement" soit un mot sauvage.
Anc. français. Désignait le plaisir procuré par une femme qui s'abandonne à son amant et par extension le plaisir. "Déjà ses lèvres au donoiement de bouche ont crépité." Tailhade.
"Chaffriolant" est aussi un mot sauvage, forcément.

Chaffriolons donc, et soyons sauvages.

Jeu, Joie et Jouissance.
Cela sonne comme une devise.

mercredi 18 octobre 2006

L'AMOUR EST UNE MUTATION

"Tu es une mutante, mon amour."
Je hausse les épaules, faussement détachée: "Mais oui. Je ne te l'ai jamais dissimulé.
— Tu es une mutante parce que tu lis mes pensées."
C'est vrai. Je les lis. Aisément. Sans effort, sans même le faire exprès. Mais ne lit-il pas aussi les miennes? Alors la vérité se fait jour, évidente, comme toujours.
L'amour est une mutation.

L'amour fait de nous des mutants, avec des sens nouveaux, des pouvoirs nouveaux, peut-être des gènes nouveaux, qui sait?
L'amour fait de nous des mutants, empathes et télépathes, abolissant l'espace, éveillant à loisir des courants électriques terriblement ciblés, projetant nos esprits à des centaines de kilomètres; l'amour fait de nous des voyants et des sorciers.
L'amour nous change, change notre nature, nous grandit, nous élargit, nous élève. L'amour fait de nous des êtres plus tout à fait humains.

L'amour est une mutation. Forcément.

vendredi 29 septembre 2006

"JE T'APPRENDRAI À TE BATTRE À L'ÉPÉE"

Puisqu'il faut le secret, je parle du passé.
Et ne publie ici que le souvenir que cette phrase de toi vient d'éveiller.
Rien que pour ça je t'aimerais, tu sais.

J’avais d’abord été malade, plusieurs jours, après la blessure de la flèche. J’avais la fièvre et David me soignait. Et au fur et à mesure de ma convalescence j’avais tout oublié. Alors il avait essayé de tout me réapprendre. Il disait que j’étais une princesse, que ma famille était grande et puissante, et je crois que je m’en moquais — mais pourquoi ?, il me semble que j’avais toujours su cela, même dans mon enfance, Shaya m’appelait princesse ou Morgana-la-Magicienne. Mais j’avais aussi oublié Shaya. Je les avais tous oubliés, même celui-là dont je n’ose pas penser le nom. Ou bien non, car n’y avait-il pas un jeune homme aux cheveux sombres et au teint pâle qui vivait près de moi et me montrait comment faire? Il mettait une grande épée dans ma main, comme si j’avais besoin d’une arme. Bien sûr je pouvais tenir cette épée mais où aurais-je appris à me battre ? Alors une flamme sombre passait dans ses yeux et il disait : « Je t’apprendrai. » Je voulais bien apprendre tout ce qu’il voudrait m’enseigner. Il disait que je savais tout cela depuis longtemps, mais ce n’était pas possible, comment pourrait-on oublier de pareils réflexes, et je disais que ce n’était pas vrai et je courais passer ma rage dans la forêt dévastée. Il venait me chercher, toujours au bon moment. Il disait : « Rentrons. Il va faire nuit. Cela peut bien attendre demain. » Il y avait cette vieille maison dont nous n’occupions qu’une partie, et ce jardin en friche — comment pouvait-il ne rien me rappeler ? Mais certains jours je n’avais pas envie de me souvenir. L’homme de haute taille aux cheveux de nuit qui guidait ma main avec une espèce de tendresse douloureuse, réprimée, je l’avais toujours aimé, n’est-ce pas ? je me souvenais de cela. Nous étions dans cette vieille cour aux pavés ébréchés, je m’étais plutôt bien battue, il me regardait en souriant et je le lui ai dit :
« Je me souviens que je t’aime. »
Et le sourire s’est éteint, il y avait cette espèce d’affreuse douleur sur son visage que je ne comprenais pas — ou qu’elle ne comprenait pas, comment pourrais-je maintenant ne pas la comprendre —, il a dit : «Non», il a fait demi-tour, il est rentré dans la maison. J’ai crispé mes mains sur l’épée, j’ai donné un grand coup dans le premier arbre et j’ai fendu le tronc jusqu’au cœur. Personne n’avait une telle force, en tout cas pas une jeune fille comme moi, alors il avait dit la vérité et les miens étaient bien ces princes-sorciers aux pouvoirs démesurés — et si moi je ne voulais pas ?
Il tisonnait le feu avec des gestes brusques qui ne lui ressemblaient pas, car il avait la main la plus sûre que je connaisse. Je suis restée appuyée au mur derrière lui, j’ai murmuré :
« Tu ne me crois pas.
— Tu ne peux pas avoir un tel souvenir. » Il parlait sans se retourner, je savais bien pourquoi. J’ai demandé : « Je ne te connaissais pas, … avant ? »
Il a hésité : « Si peu. Nous n’avions pas… ce genre de rapports.
— Je t’aimais. Je t’aime. C’est la seule chose dont je sois sûre.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, Morgana. »
Il y avait quelque chose qui l’effrayait mais je ne voulais pas m’y arrêter. Je suis venue près de lui. Le feu brûlait trop haut et ma peau me cuisait. J’ai dit : « Je suis une princesse, une sorcière ?
— Oui, et plus encore.
— Ce que je suis m’interdirait de t’aimer ?
— On peut le dire comme cela. »
J’ai souri. Maintenant je me sentais ivre et forte, et assurée. J’ai dit : «Heureusement j’ai perdu la mémoire, grâces en soient rendues aux dieux, je ne suis plus que Morgana et ma mémoire comme le reste est entre tes mains. » Très vite j’ai passé les doigts dans les flammes, il a crié, saisi ma main, je n’avais pas très mal, j’ai dit : « Il y a toutes sortes de baptêmes. », il a posé ses lèvres sur la brûlure, je n’avais plus mal du tout, « Toi aussi tu es un sorcier, David. » et je pouvais voir son amour et son désir mais il dit : « Je ne peux pas faire ça, je ne dois pas. » et il s’est enfui encore une fois.

(Journal de Morgana)

lundi 18 septembre 2006

HELVÉTIQUES

"Moi je crois... à l'imagination dorée des Celtes, à l'imagination luxuriante des Tropiques... à celle du vaudou aussi -- mais j'ai des doutes quant à l'imagination suisse."
Corto Maltese, Les Helvétiques

Et j'étais comme Corto. Comme tout le monde. La Suisse n'a rien à voir avec l'imagination. C'est un pays de fromages sans trous, de chocolat avec trop de lait, de pommes sur la tête, de banques, et de soldats qui restent à la maison ou montent la garde à la porte du Pape.
Seulement voilà, Hugo Pratt a choisi de vivre en Suisse. Et Rousseau était Suisse. Et Cendrars aussi, et Nicolas Bouvier. Ou oublie tout ça. On les croit Français.

Est-ce qu'on se tromperait alors? Est-ce que tout le monde se tromperait? Qu'y a-t-il donc de si spécial en Suisse? ai-je demandé à Dream, que je m'obstine à appeler Daniel.
C'était la nuit dernière, j'étais blottie dans un rêve alpin, sur un lit d'enfant à montants de cuivre, posé sur un chemin de montagne, vue sur la vallée — et Daniel a souri:
— Mais la Suisse est un rêve.
— Tu plaisantes, là.
— La Suisse est un rêve, vraiment. Elle est née dans le Dreaming. Et le pacte entre elle et mon royaume n'a jamais été rompu.
Je l'ai regardé sans oser le croire. Il s'est installé plus confortablement sur le bord de mon lit, pour m'expliquer.
— Comment crois-tu qu'elle aurait pu naître, sinon ? Et survivre? Allons, une absurde confédération de cantons, à l'ère des Empires médiévaux? Pile au carrefour des plus rudes belligérants d'Europe? Des cantons qui ne parlent pas la même langue, ne s'agenouillent pas dans les mêmes temples? Qui se toquent de démocratie directe mais engrangent les réserves d'or les plus célèbres de la planète? Ça te semble réel? Ça te semble pouvoir être autre chose qu'un rêve?
— Oh, Dieu, dis-je. Alors c'est pour ça...
— Qu'on raconte que le Graal, et Fafnir et les Nibelungen, ont séjourné en Suisse. Dans le Dreaming, donc. Pour ça aussi que les Suisses ont toujours accueilli les Rêveurs, cela faisait partie du Pacte. Les accueillir. Les laisser partir. Les rêveurs de Dieu, les huguenots. Les rêveurs politiques comme Lénine. Les rêveurs littéraires, Hermann Hesse, Thomas Mann et les autres.
— Et c'est pour ça que tant de rêves y sont nés, aussi.
— Tout à fait. La Réforme. Le mouvement Dada. La Société des Nations. Il y a même une ville de Sion, en Suisse.
— Et Hugo Pratt le savait, bien sûr, c'est pour ça qu'il s'est installé ici, et que la pension des Helvétiques s'appelle Pension Morphée, rêves garantis.
— Les écrivains le devinent, oui. Ils ont toujours eu un accès privilégié au Rêve. Toi-même en avais l'intuition, voilà pourquoi...
— Voilà pourquoi j'ai commencé autrefois ce texte-là, sur Genève que je n'ai jamais vue, sur Genève et sa folie, Genève et ses Exilés.
— Oui.
— Oh, Daniel.
— Et il en sera toujours ainsi. La Suisse s'est bâtie dans le Dreaming, elle lui reste liée. C'est un des secrets les mieux gardés d'Europe.

dimanche 17 septembre 2006

PRÉSENCE/ABSENCE

Partant en Ecosse je te laissais en viatique, dans le même temps, des Règles d'Absence et des Lois de Présence, et aussi le refus de toute règle, de toute chaîne.

Les chaînes sont venues malgré nous.

Aussi la présence et l'absence.

Mais voilà. Tu m'as dit : Tu ne me quittes pas; tu m'as dit: Ton absence n'en est pas une. et ces mots deviennent vrais pour moi.

Tu ne me quittes pas. Tu es là. Tes mots se faufilent à mon oreille, ta gravité, tes sourires imprévus.
Tu es là quand je m'éveille. Tu m'empêches parfois de m'endormir.
Tu es là parce qu'à chaque heure de ma vie il y a des choses à partager avec toi, des idées, des découvertes, des rires, des rêves.
Tu es dans chaque pièce de ma maison, dans chaque morceau de mon iPod.
Tu es dans les longs trajets en voiture.
Tu es dans mon lit, bien sûr.

Et parfois l'espace se tord, je me vois à tes côtés, tu te vois près de moi, et nous sommes réunis vraiment, et je te souris comme ce premier sourire, comme cette première fois, je te souris de toute ma kryptonite attendrie et je te vois vaciller.
Je t'aime.

jeudi 14 septembre 2006

BLESSINGS

Aujourd'hui je n'aurais plus posté ces phases.
Aujourd'hui je n'ai eu qu'une phase. Confiante, sereine, lumineuse. Grâce à lui, bien sûr, grâce à la tricherie d'hier.
Aujourd'hui je ne porte plus que sa douleur, et je brille deux fois plus, pour éclairer sa nuit.

Cependant ce n'est pas à lui que s'adressent ces bénédictions. Lui, je fais bien plus que le bénir.
C'est à vous.

Be blessed, my friends, so more than friends.
Vous m'émerveillez. Tous. Je ne cesse de m'étonner de votre nombre, de votre estime, de votre amour. Je n'arrive pas à croire que je vous mérite.
May you be blessed, all of you.
Puissé-je vous aimer toujours du même amour que vous me donnez.
Je voudrais citer tous vos noms, et je crains tant d'en oublier.
Merci à ceux qui sont tendres, merci à ceux dont la dureté me dit leur tendresse pour moi.
Merci à toi, breda.
Et à toi, breda.
Merci à ceux qui acceptent qu'en l'aimant lui, je ne cesse pas de les aimer.
Merci à ceux qui croient à la lumière.
Merci à ceux qui n'y croient pas, ou plus, mais le feignent parfois, pour me faire plaisir.
Merci au padawan qui est en train de se gagner une nouvelle place, de devenir mon petit frère.
Merci aux élèves-merveilles qui ne savent pas, mais dont les compliments immérités me réchauffent le coeur.
Merci aux collègues que je découvre amis.
Merci de faire que je vous aime.

Et, oh, merci à toi qui te reconnaîtras, dont je craignais tant le jugement, et qui te refuses à me juger.

May you be blessed.
All of you.
I do love you.

mercredi 13 septembre 2006

PHASES

Je m'endors. Paisiblement, pour une fois. Je suis si fatiguée, et je n'ai rien à craindre de mes rêves. Dream continue de veiller sur moi, malgré tout, malgré Desire.

Je bouillonne de rage. Je marche et respire au rythme de cette rage. Colère colère colère. Pourquoi devrait-il en être ainsi ? Pourquoi devrais-je payer ce prix ? Injuste, injuste. Je refuse. Je me battrai. J'enrage.

Bien sûr que je l'ai mérité. Après tout, j'ai dévasté sa vie. J'ai toujours su qu'il y aurait un prix à payer. Il est temps que je l'accepte.

J'abdique tout. Jusqu'à l'espoir. Que je le perde donc. Que je perde tout. Qu'il en soit ainsi. Qu'on me laisse juste dormir un peu.

Bien sûr que non. Combien de fois ai-je douté de lui, de son amour, et combien de fois l'a-t-il prouvé à nouveau, splendidement, au-delà de toutes mes espérances? Tout ira bien. Il suffit que je sois forte encore un peu, que j'attende encore un peu. Tout ira bien.

Redresse la tête. Souris. La grâce. C'est tout ce qui compte. C'est tout ce qui te reste. La grâce, oui. N'est-ce pas l'une des premières choses qu'il a aimées en toi ? Behave like a lady. C'est ta seule chance.

Je brille. Il est tout près. J'ai foi.
Oh, non.

J'enrage. Je vais rompre tout de suite ce pacte idiot.
Non.

Je pleure. Tout est fini, forcément.
Non.

Phases, phases.

Et pourtant je ne suis pas seule. Si peu seule. Pourtant chaque jour ils me réconfortent, chaque jour l'un d'eux me dit qu'il m'aime ou m'enveloppe de compliments.

Bats toi. Tu es une guerrière.

Ne pas pleurer.
Museler la colère qui couve, si près, qui menace de jaillir à chaque contrariété.
Rire, encore.
Chanter de toutes mes forces dans ma voiture.
M'attendrir, encore.
En faire trop. Devenir, le temps d'un état de grâce, le professeur Keating du Cercle des Poètes Disparus.

Ne pas pleurer, non, même quand je désespère.
Je désespère. Comment peut-il tenir, s'il m'aime ? Comment peut-il vouloir tenir ?

Je lis ses livres. Je ris, parfois. Mon esprit s'évade, parfois, et je recommence à penser et à sourire, à créer et à vivre. Mais cela dure si peu.

C'est le soir que je vais le mieux. Je suis, après tout, une fille de Dream, une enfant des Etoiles. Je m'endors heureuse et confiante. Pourquoi faut-il que l'éveil me dévaste, que le jour me ronge, chaque fois?

Phases, phases.
Je désespère.
J'enrage.
J'ai foi.
Ad lib.

mercredi 6 septembre 2006

TROIS MOIS

Je t'aime. Tu ne liras pas ces mots, puisque tu n'as pas cette adresse. Et tu ne les liras pas parce que ce serait trahir notre engagement.

Mais je t'aime. Tu m'aimes. Désespérement, c'est vrai, mais immensément, profondément, absolument, ta Christianification s'aggrave puisque tu la compliques d'adverbes.

Et je ne faillirai pas à mon serment. Trois mois.

Parce que tu es ce que tu es, et que je ne te voudrais pas autrement. Mais aussi parce que c'est, les contes savent bien, un Grand Amour.

mardi 5 septembre 2006

OU BIEN TOUT S'ÉCROULE

Parce qu'on ne joue pas impunément avec les Endless.
Parce que Desire est un putain d'enfoiré, parce que Despair est sa jumelle, parce que Destiny a fermé un chemin, parce que Destruction est toujours là et laisse derrière lui des champs d'âmes dévastées, parce que Delirium rôde dans l'ombre, émiettant les esprits, et parce que Death est passée tout près.

Alors tout s'écroule.
Parce que, je le sais depuis longtemps, l'amour ne suffit pas.
Et tout s'écroule.
Ou pas. Je n'arrive pas à croire à un tel absurde gâchis.
J'ai beau entendre le rire de ce salopard de Desire et du tour magnifique qu'il m'a joué... je n'arrive pas encore à y croire.
Mais cette nuit, quand ce sera vraiment, vraiment fini, quand sa voix se sera éteinte, je...
Je n'aurai plus d'autre choix que de le croire.
Plus d'autre refuge que tes bras, Dream.

dimanche 3 septembre 2006

MONDES DISJOINTS

Faire ma rentrée. Retrouver le trajet si familier, mes automatismes de conductrice. Retrouver des visages connus, aimés ou moins aimés, et en découvrir de nouveau.

Je t'aime. Plus que je ne peux le dire.

Avoir dix livres, six articles, trois nouvelles en retard. Ne plus savoir.

Je t'aime. J'aime que tout aille si vite.

Rougir sous de trop flatteurs compliments, des compliments que je n'accepte pas. J'en appelle à votre vigilance. Soyez sans concession. Ne me laissez pas croire que je suiis une bonne enseignante. Ne me laissez pas oublier mes failles.

Je t'aime. Christian est toujours là, muselant mon langage.

Rire avec Narcisse, être une mauvaise élève, consteller le collège de "premières fois" puériles et délicieuses, chanter et danser au rythme d'un iPod.

Je t'aime. Ta voix rythme mes jours.

Ecouter de très sérieuses recommandations, emmener de nouveaux collègues dans une visite guidée, répondre à de graves demandes d'avis, prendre des nouvelles d'êtres chers.

Je t'aime. Nous ne nous quittons pas.

Revoir mes élèves favoris, qui le resteront sans doute encore longtemps, leur sourire, visiter leur forum, recréer des espaces disparus.

Je t'aime. Tu me bouleverses.

Vous féliciter, vous qui continuez à vivre dans le monde réel. M'inquiéter, trop et trop peu, des échéances, des contraintes matérielles, des emplois de nos temps. Calmer le pétillement de mes yeux, apaiser ma démarche bondissante. Me déguiser. Changer de langue. Jouer à être sérieuse.
Ne plus savoir.
Ne plus savoir.

Je t'aime. Nous changeons le monde.

lundi 28 août 2006

À TOUS CEUX QUI SE DEMANDENT...

ce que je deviens. Si j'ai disparu. Pourquoi je ne poste plus ici.

A eux tous, à vous tous, même si je ne suis pas sûre d'avoir de réponse.

Je pourrais expliquer ma semaine en Ecosse, loin au Norois, dans la terre qui m'est la plus chère au monde, avec deux amis merveilleux, mille fous rires, et quelques fantômes bien-aimés.

Je pourrais dire le vague à l'âme des retours et des rentrées, pire que toutes les autres années, pour trop de raisons, d'hélas bonnes raisons.

Mais je me tais parce qu'il m'emplit. Je me tais parce que c'est à lui que je parle sans cesse, que j'écris toujours. Je me tais parce que le monde est ailleurs, soudain, immense et vibrant et radieux. Je me tais parce que mon coeur déborde, en désordre, en torrent. Je me tais parce que je vis trop fort.
Je ne me tais pas du tout.
Simplement, je ne sais plus dire que des mots d'amour.

jeudi 3 août 2006

CHRISTIAN

Comment aimer Christian?
Non, étant qui je suis, je peux aimer Cyrano, aimer Roxane, éprouver pour De Guiche estime et affection, mais Christian...
Christian, non, vraiment.

Et puis...
Il y a cette scène des débuts de son amour pour Roxane où, assise près de lui, elle lui demande de lui parler d'amour. Et le pauvre Christian ne sait répéter que les trois mêmes mots : "Je vous aime."
A quoi Roxane, Précieuse, impitoyable, s'agace, se lasse. "Délabyrinthez vos sentiments." Et finit par le planter là, ne lui laissant d'autre recours que Cyrano.

Oui. Cher, cher Christian.
Je jure que jamais je n'aurais cru le comprendre. Jamais je n'aurais cru m'identifier à lui, que nous nous identifierions tous deux à lui. Jamais je n'aurais cru que si les mots écrits pouvaient se multiplier, s'imager, se raffiner... à haute voix nous ne saurions que balbutier comme Christian.
Moins encore aurais-je cru que nous éprouverions si violente joie à les entendre.

Cher, bien cher Christian.
A cause de Toi.

vendredi 28 juillet 2006

DE SEL ET D'ACIER

— Aide moi, père. Aide moi à garder mon armure.
— Je ne suis pas inquiet. Tu as compris la seule chose qui importe: les larmes ne rongent pas les armures d'acier.

Les larmes, et les mots, sont comme la fièvre. On croit qu'ils sont la maladie, alors que c'est précisément le contraire, alors qu'ils sont notre soupape, la façon dont nous luttons contre la maladie.
En réfrénant les mots, ou les larmes, on repousserait la seule chose qui puisse nous sauver.

— Pleure, et ton armure ne se fendra jamais.

mercredi 26 juillet 2006

CHUT

Parce que trop délicat, trop émouvant, pour être publié.

Merci.

mardi 25 juillet 2006

PARLER D'AMOUR

Au présent, et laisser de côté les archives.
J'en ai de nombreuses, encore, mais ce temps-là est passé. Que l'été ne soit pas le temps des bilans, mais celui de la sensation, de l'émotion, du sentiment. Au présent.
Rappeler que l'amour ne se conjugue vraiment qu'au présent, que l'amour au passé change de forme, de genre, de nombre, devient les amours, littérature, "que sont-elles devenues?", une forme de nostalgie, des paradis perdus.
Non.
Ce n'est pas ce que je veux, ni ce que je sens.
Je vibre, j'aime, je m'émeus, je souris, je rougis parfois. Plus que parfois. L'amour est toujours coupable. Personne n'est innocent. Personne n'est pur.

Rappeler que si l'amour est un feu ce n'est pas seulement parce qu'il brûle la peau le coeur et l'âme, pas seulement parce qu'il est la merveille volée aux dieux par Prométhée et ses héritiers -- mais aussi, très simplement, parce qu'il ne peut subsister sans être entretenu. L'amour a besoin de matière, de présence, de mots, de gestes, de preuves, de moments partagés, de souvenirs communs -- tout combustible lui est bon, mais sans combustible, il ne peut que s'éteindre. La flamme éternelle est un mythe. Moins qu'un mythe: un mensonge.
La flamme n'est éternelle que si prêtres et prêtresses la nourrissent chaque jour.

Rappeler que l'amour ne dévore pas, contrairement à la passion, il nourrit.
Il enchante, soulève, nous rit aux éclats, ensoleille, nous danse.
Il est immoral. Toujours.
Rappeler qu'il a trop de noms et de formes pour être muselé, canalisé, borné. Qu'il n'exclut nulle autre tendresse.
Rappeler qu'il se dit, c'est une part de son charme et de sa force: l'amour se déclare, se dévoile en public, se révèle, s'évoque, se rêve. Ceux qui prétendent le taire à jamais courent le risque de lui porter un coup fatal. La plupart du temps, ils se vantent seulement. On ne tait pas l'amour: il jaillit.
Rappeler qu'il s'apprend et que pourtant il est inné. Il en est de même pour tout art, même occulte.
J'écris, parle, rêve, au présent. Ce sont mes vraies couleurs. Je ne vous demande pas pardon.

lundi 24 juillet 2006

ARCHIVES AMOUREUSES (2) : DERNIÈRES PAGES DU JOURNAL D'ÉRIC D'AMBRE

Je commence à en avoir assez de penser à toi, salaud. Je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. Il me semble que je n’ai jamais cessé de penser à toi. Comme je n’ai jamais cru à ta mort, d’ailleurs. Inutile de dire que j’étais bien placé pour ça. Je ne comprends pas que personne ne t’ait retrouvé avant Flora. Je connais les rouquins : ils ont dû estimer que la situation était idéale, puisque tu étais inoffensif et qu’ils se réservaient la possibilité de t’utiliser plus tard. Tu as toujours été trop coulant avec Bleys et Brand. Non, même pas coulant, seulement naïf. Tu t’imaginais qu’ils t’aimaient bien, et il fut un temps sans doute où c’était presque vrai. Etre allé te jeter dans les bras de Bleys à un pareil moment, tu avoueras que c’était vraiment stupide. Si vous aviez réussi, il n’aurait fait qu’une bouchée de toi, mon pauvre frère. Tu ne sauras pas que nous t’avons sauvé la vie. Oui — n’empêche que c’est moi que tu as maudit, et pas lui.
Comment ne pas te penser sans cesse ? Quand tu étais en prison déjà je sentais toujours ta présence, quelques centaines de pieds au-dessous de ma chambre. Je faisais des cauchemars la nuit. Je me demandais si tu n’étais pas devenu sorcier toi aussi. Je ne l’ai pas raconté aux autres : ils auraient parlé de remords et j’aurais été ridicule. Je sais maintenant. Ta malédiction m’environne de toutes parts, elle me suit comme une ombre, elle me suivrait dans n’importe quelle Ombre. Je ne sais pas où tu es exactement mais ça n’a pas d’importance. Tu es tout près. Tu ricanes dans mes miroirs. Tu finiras bien par m’avoir, salopard.
Je te comprends, Corwin, même si le contraire est faux. Mais je te comprends aussi de ne pas me comprendre. Et je te dispense de proclamer que je ne pourrai jamais concevoir tes siècles d’errance et d’amnésie, tes années de prison et de cécité. Je sais. Et les deux fois, c’était à cause de moi, n’est-ce pas ? Est-ce que j’aurai passé ma vie à essayer de t’enterrer vivant ? Vivant, Corwin, c’est ce que tu n’as pas compris. Je n’aurais pas pu te tuer. Toi, oui. Il y a en toi une rage que je n’ai jamais éprouvée. Je la sens. Tu as fait en sorte que je ne l’oublie jamais.
C’est idiot, Corwin. Il y a dans toute cette histoire quelque chose de démesurément stupide que je n’arrive pas tout à fait à cerner. Je vais essayer de dormir.


Julian me conseille d’aller faire un tour à Tir-na Nog’th. Absurde. La cité lunaire, matrice de Grayswandir, a toujours été de ton côté. Et je n’ai pas besoin d’elle pour voir ton fantôme, maudit frère. Ton fantôme marche dans mes pas depuis quelque chose comme quatre siècles. Peut-être un peu moins. Je n’ai pas besoin non plus d’aller chercher, d’aller comprendre. Je sais tout. Ce n’est pas une blague.
Ambre est attaquée. Tu n’en finiras pas de t’allier à Bleys contre moi, même sans le faire exprès. A Bleys contre toi-même aussi, que tu le veuilles ou non. D’ailleurs c’est presque la même chose : toi ou moi. J’aurais peut-être dû te le dire un jour ou l’autre. Trop tard. Nous avons largement dépassé le point de non-retour.
Tiens, je peux te deviner sans effort. Tu prépares une force armée que je sens et crains inédite. Tu te tiens soigneusement à l’écart et refuses tout appel. Je sais, j’ai essayé plusieurs fois de te joindre. J’aurais aimé pouvoir te parler, même en vain. Tu t’es rendu peut-être dans l’une de tes Ombres familières. C’est risqué, car elles ne sont pas si nombreuses : je les connais toutes. Mais tu as toujours eu un faible pour les pèlerinages. Moi aussi, bien sûr. C’est à en crever de rire jaune : je peux prévoir chacun de tes actes mais je ne peux pas les contrer. Tu sais très bien qu’Ambre est menacée. Gérard te l’a dit. Il ne m’a pas vraiment raconté qu’il t’avait vu mais il n’a jamais été capable de dissimuler. Tu t’en fous. Tu imagines que c’est une astuce pour te dissuader ou que si c’est vrai, cela ne peut que te servir. Mais tu ne t’allieras pas avec eux. Ce n’est pas ton genre. Je te connais sur le bout des doigts, idiot, ou même — je te connais par cœur. Je n’y ai pas de mérite. Nous sommes pareils, ou peu s’en faut. Mais je suis meilleur que toi, parce que je sais que nous sommes pareils. Et je suis le meilleur roi possible pour Ambre, peut-être même en te comptant. Je suppose que chacun de nous pense la même chose. Pourtant je sais que c’est vrai. Et je suppose que chacun des autres se persuade aussi de cela. Tant pis. Il m’arrive même de penser que je suis meilleur roi que ne le fut Père. Et même aujourd’hui cela ressemble assez à du lèse-majesté. Je n’en suis plus à une condamnation capitale près.
Et je sais aussi que tu as une bonne chance de me battre, parce que justement tu ne veux pas savoir que nous sommes pareils, et parce que tu me hais. Et que je n’y peux rien, frère.


Tu es têtu, Corwin, peut-être le plus têtu d’entre nous. Et en plus tu as des entêtements astucieux. Mais je m’obstine aussi. Je t’ai écrit. Ça ne servira à rien d’autre qu’à me prouver que j’ai tout fait, tout essayé. Je n’ai pas non plus perdu le goût prudent de la litote. Tant pis. Et si je m’acharne maintenant qu’il est beaucoup trop tard, c’est à cause d’Elle, Ambre. Toujours à cause d’Elle.


J’ai un peu trop bu. C’est un jour d’anniversaire. J’ai passé la journée à faire des plans de défense de la Cité avec l’état-major, et j’ai pensé à notre première guerre. La première fois où j’avais préparé la défense d’Ambre. J’aurai toujours été du même côté de la barrière. C’est comme ça. Il faut vraiment que j’aie bu pour penser avec des toujours et des jamais. C’est l’anniversaire du jour où j’ai reçu ton message. “Je reviendrai, Eric. “ Ça n’était pas vraiment utile, sauf à me prouver que tu n’avais pas changé. J’avais tort peut-être : nous sommes pareils, mais tu seras toujours mon petit frère. C’est ma dernière satisfaction mesquine, et je glousse dans ma barbe comme tu le ferais à ma place. Si tu avais une barbe. Dans ma prison tu en avais une bien sûr, mais tu exigeais toujours d’être rasé à chacune de tes sorties. Caine m’avait dit que c’était folie de vouloir t’obliger à me couronner. Il pensait sûrement que c’était de ma part une volonté de t’humilier. Caine juge des autres à son aune méprisable et mesquine. De quelles autres mains pourtant aurais-je pu accepter la couronne d’Ambre ? Mais en fin de compte il avait raison. As-tu pu penser comme lui ? Ni toi ni moi pourtant n’avons jamais ressemblé à Caine et tu dois savoir au moins cela.
Tu m’as maudit, salaud. Je descends dans les couloirs, hanter la Grande Galerie. Je ris doucement. Si un serviteur me voit il me croira fou et l’idée me fait rire encore plus fort. Tu saurais pourquoi. Ou Bleys. Mais Bleys est maintenant de l’autre côté, et peut-être a-t-il renié aussi cette vieille allégeance.
J’aurais pu abdiquer. Peut-être alors la malédiction m’aurait-elle suivi et se serait détournée d’Ambre. Mon abnégation ne va pas jusque là et de toute façon il est trop tard. Et puis je n’avais personne à qui laisser le trône. Je n’allais pas faire couronner Gérard, et je ne veux même pas penser aux autres. Qu’ils me rejoignent tous en Enfer. Je ne peux pas me permettre de te désigner maintenant comme héritier. J’espère que tu arriveras à temps.
La bataille commencera demain, je suppose. Ou devrais-je dire aujourd’hui ? Je n’ai plus la moindre idée de l’heure. Si tu arrivais dans cette fichue Galerie et me défiais encore une fois, je me demande bien ce que je pourrais faire. Mais tu ne viendras pas. Plus maintenant. Voilà le portrait de Père. Tu as toujours été son favori, tu sais. Non, tu ne sais pas, tu as préféré ignorer ça aussi. En te faisant crever les yeux j’espérais peut-être te guérir de ton aveuglement. Non, c’est une mauvaise excuse, j’avais d’autres raisons. Nous avions. Pour une fois je m’étais rendu à leurs vues. J’avais taquiné l’idée de te rendre tes privilèges et de t’asseoir à ma droite à table mais je suppose que cela n’aurait pas marché. Julian et Caine avaient au moins raison sur ce point. En fait, Caine aurait préféré ton exécution. T’es-tu au moins demandé pourquoi je ne t’avais pas fait exécuter ? C’était pourtant le choix le plus logique. Mais je suppose que tu n’étais pas en état de te poser des questions logiques. Te voilà peint sur ce mur, mon frère, avec ta pose romantique et ton manteau noir qui flotte au vent du Kolvir. Tu as l’air malin… Et ne t’imagine pas que je vais te demander pardon. Même si je suis ivre.
Je vais me coucher. Dépêche toi quand même d’arriver, imbécile.



Note de l’éditeur :
Ce sont là peut-être les dernières phrases tracées par Eric d’Ambre, ce qui pourrait conduire le lecteur à surestimer leur importance. Il convient donc de rappeler qu’il ne s’agit que d’un moment, même si ce moment est ultime, de son évolution psychologique et de ses relations avec Corwin.
Ces pages, comme justement Eric l’écrit, sont toutes de litote, orchestrées autour de l’aveu que même à ce moment il se refuse à faire, et qu’il aurait pu formuler ainsi : je t’aime, idiot. Car il est certain qu’il aurait ajouté une épithète injurieuse au verbe périlleux.
J’aime à croire aussi que Corwin a trouvé et lu ces pages, entre le troisième et le cinquième tome de son récit, ce qui expliquerait son revirement entre la mort d’Eric (“Mes sentiments étaient très mitigés (…) J’essayai d’oublier ma haine pendant un moment (…) Je cherchai désespérément ne fût-ce qu’une raison pour l’admirer…(1)”) et son bilan final ( “ Si tu avais vécu jusqu’à ce jour, tout aurait été arrangé entre nous. Nous aurions même pu devenir des amis (…) Entre tous, toi et moi nous ressemblions davantage que n’importe quelle autre paire au sein de la famille. Sauf, sous certains aspects, Deirdre et moi.(2)”) Il est amusant d’ailleurs de constater comment Corwin associe ou assimile la ressemblance à l’amour… incroyable narcissisme des Ambriens.



(1) Les Fusils d’Avalon, p 239 (2) Les Cours du Chaos, pp 185-6

samedi 22 juillet 2006

ARCHIVES AMOUREUSES : L'ŒUVRE AU ROUGE

Puisque l'été est la saison des amours. Puisque l'été dernier j'ai écrit celles de mes personnages fictifs favoris.
( Voir : Aimer des personnages fictifs - août 2005)
Puisque celui que j'aime (le plus) en ce moment ne doit pas être nommé.

Je retrouve d'anciennes archives, d'anciennes amours.
Dans un château du XVIIIe siècle, portant le nom de Morphise, j'ai aimé trois hommes. Un surtout, qui fut mon oeuvre au rouge, et qui mourut trop tôt.

Traduction d’une lettre cryptée de Morphise au comte de Saint Alban

Versailles, le 2 février 1746,

Mon ami,

Voici que cette nuit, ma première nuit de vrai sommeil depuis que j’ai quitté Valclérieux, j’ai rêvé.
Et tel fut mon rêve : je me tenais sur un immense échiquier et portais les atours d’une blanche reine guerrière. J’affrontais, armée d’une étrange épée, la reine adverse, mais celle-ci était rouge, non pas noire. Et quelque chose dans sa parure m’évoquait celle de notre redoutable hôtesse la marquise de Thianges. Cependant je remportais ce combat, et toutes les autres pièces se volatilisaient. Alors deux laquais se présentaient devant moi, portant des coussins précieux. Sur l’un de ces coussins reposait une couronne. Mais sur l’autre, qu’on me présentait en premier, je voyais trois roses. Une blanche, une rouge, une noire. Et une voix résonnait, prononçant ces mots : La passion — la loyauté — l’amour. Dans un instant vertigineux, je distinguais autour de moi une foule de gens masqués, en habits de bal. Et je comprenais qu’il me fallait prendre deux décisions. J’hésitai. Je choisis. Et ce choix devait être le bon, puisque le second laquais déposa sur ma tête la couronne.
Je m’éveillai avec aux lèvres un goût très reconnaissable : du sel.

J’ai songé et médité, depuis. J’ai hésité à prendre le risque de cette lettre.

Mais voici : dans mon rêve j’ai eu à comprendre d’abord quelle rose correspondait à chaque sentiment ; j’ai eu ensuite à décider de la personne à qui je remettrais chacune de ces roses.
La première révélation fut rapide : la passion n’était pas, comme on aurait pu le croire, représentée par la rose écarlate. La passion, la perte de contrôle, le surgissement de nos instincts, ne pouvait être que la rose noire. De là se faisait aisément la suite de la répartition : l’amour était donc rouge, et blanche la loyauté. Alors je pris sur le coussin la fleur ténébreuse et me dirigeai sans hésiter vers celui à qui elle revenait de droit. Je n’eus pas à le chercher : aucun masque ne saurait voiler sa vénéneuse clarté, aucun habit dissimuler la grâce de sa haute silhouette. Je remis la rose noire aux mains de Giacomo, qui s’inclina et se fondit aussitôt dans la foule. Et je ressentis un grand soulagement, comme si un lourd fardeau était retiré de mes épaules. Toute rancœur m’avait quittée, et en même temps tout désir pour lui. Je revins vers le coussin et contemplai les deux autres fleurs : je saisis la rose blanche et me retournai vers les invités. Sous un masque je reconnus la vivacité de votre regard, et fis quelques pas vers vous. N’était-ce pas là un choix évident ? Ma loyauté ne vous revenait-elle pas ? Ne l’avais-je pas confirmé, en décidant de vous être fidèle plutôt qu’à Grantham ? Et votre nom lui-même, Saint Alban, ne portait-il pas en lui ce blason immaculé ? Cependant je déviai mes pas et dans une profonde révérence c’est à un autre que vous que je tendis la fleur : le Roi, auprès de qui se tenait la marquise de Pompadour. Et d’un geste gracieux, ils l’acceptèrent. Et à nouveau je me sentis légère et emplie d’une grande sérénité.
Restait la rose rouge.

Sans doute pourrais-je terminer là cette lettre. Nos esprits et nos savoirs sont assez proches pour que vous y déchiffriez les mêmes signes que moi. Bien sûr l’ordre des trois couleurs n’avait rien d’anodin, reflétant notre parcours à tous, et ma place sur ce chemin. L’œuvre au noir s’estompe dans mon passé comme les souvenirs des mois fiévreux aux bras de Casanova. Ce furent les ténèbres balbutiantes de mes premiers pas dans le monde et dans l’Ordre, ce fut le noir de mes vêtements de trop jeune veuve, ce furent les abîmes obscurs du plaisir. Ce furent encore, jusqu’aux dernières nuits, les doutes et l’amertume qui me tiraient en arrière.
L’œuvre au blanc m’est plus proche, de bien des façons. Ce sont mes dernières années : le blanc de l’hermine royale, le blanc des langes de mon enfant, la radieuse lumière de la couronne de France et des arts chers à mon cœur comme à celui de mon amie de Pompadour. C’est la naissance et la renaissance, l’apprentissage de la paix.
Mais à présent j’entre dans une troisième couleur et dans une troisième ère. Tout dans les heures de Valclérieux l’attestait : l’offre de participer au rituel de Némès, le rôle qui m’était dévolu, malgré ma méfiance, malgré notre trahison — les minutes de méditation dans la chapelle amenant à ma décision — Grantham me demandant de prendre sa succession à la tête de la L:.A:., me déclarant digne de ce grade, ce que je ne saurais être déjà.
Tout dans mon rêve de cette nuit en témoigne : l’affrontement contre la Reine Rouge, la victoire, la couronne, la troisième rose.
Et telle est bien la première et la plus surprenante des révélations que m’offre l’œuvre au rouge : ce mot d’amour, que je croyais une illusion des premiers pas. A présent je vois bien mon erreur : car l’amour en effet ne saurait exister dans l’œuvre au noir, qui ne connaît que la passion ; l’amour ne saurait exister dans l’œuvre au blanc, qui ne permet que l’affection ; l’Amour, qui est accomplissement, qui est union, ne peut être que l’une des clefs de l’œuvre au rouge.

Reste, donc, la troisième rose, dont le don ne peut être imposé, ni être public ; la rose rouge qui ne peut être offerte si elle n’est acceptée.
Et le goût du sel, qui n’est plus celui des larmes.

Reste la rose rouge. Et je ne puis, vraiment, en dire plus.

Morphise

jeudi 20 juillet 2006

ÉTAT OPTIMISTE DES LIEUX

Pour faire reculer la rage.
Pour me souvenir des belles choses.
Pour ne pas la laisser me gâcher complètement mes vacances.
Et aussi parce qu'on me l'a demandé.

J'ai donc, malgré la chaleur, porté le deuil d'un super-héros (jeune, brillant, aimé) et à grand peine organisé ses funérailles, du mieux que j'ai pu. Il me reste à espérer son retour.
J'ai aussi acheté trois corsets (un en velours bleu roi, un violet orné de dentelles noires, un de soie rouge brodée d'or) et en ai porté un. Occasions à suivre et à provoquer.
J'ai pris un bain à minuit, sinon un bain de minuit, dans une piscine illuminée de l'intérieur, dans la pinède.
J'ai passé une nuit presque blanche à discuter comme une adolescente avec une très vieille amie.
J'ai pris le temps de rêver.
J'ai reçu d'adorables nouvelles de certains qui me manquaient (surtout, continuez !)
J'ai aussi fait des choses qui n'étaient pas prévues à la liste, mais furent douces, belles et bonnes, néanmoins.
Je suis devenue maître du monde, le temps d'un week-end, et j'ai dansé sur les chemins de Féérie.
Je suis morte et re-née et devenue immortelle.
J'ai revu de vieux amis, j'en ai accueilli certains à la maison.
J'ai reçu une musique merveilleuse et longtemps attendue, avec un mot qui parlait aussi d'alchimie et d'immortalité.
Je me suis souvenue que j'avais un faible pour...
J'ai admis que j'étais amoureuse de...

Ce sont, aussi, les miracles de l'été.

mardi 18 juillet 2006

HURLER

Parce que, parfois, c'est la seule chose à faire.
Hurler d'incompréhension, hurler d'amertume, hurler d'injustice aussi, de souffrance anticipée. Hurler de colère.
La colère est mon second péché capital. La rage en moi est une bête dangereuse, un fleuve aux digues fragiles, qu'il convient parfois de laisser déborder.
Hurlement de survie.

Il n'y a pas de façon littéraire, symbolique, romanesque, de le dire. Ou s'il y en a une, je ne la découvrirai que plus tard, quand la colère aura reflué, quand je ne hurlerai plus, quand ce sera une histoire à raconter.
Mais je ne veux pas qu'il en soit ainsi.
Je veux hurler, je veux rester en colère, garder cette force, ne pas me résigner. Je veux me battre.

Même si c'est à la Don Quichotte, contre des moulins de lâcheté et de mesquinerie, contre lesquels je ne peux rien.

Dire seulement que l'amertume durera plus longtemps que la colère.
Dire que l'année à venir sera un calvaire.
Dire que s'il y avait un moyen, un seul moyen, de me mettre en disponibilité l'an prochain, je le ferais. Pour marquer mon refus. On m'a engagée comme un être pensant, agissant, construisant, réfléchissant, créant. Si on m'arrache tout cela, je devrais m'arracher à ce poste.
Je le devrais. Je ne peux pas.
Hurler.

Et dire merci à tous ceux qui ont patiemment supporté mes hurlements, ces derniers jours, merci mon ange, merci maman, merci mes vieux amis de RAJR, merci Shaya, merci Julien, merci encore à Stef et au joli présent arrivé hier.
Ce n'est pas littéraire. Mais nécessaire.
Merci à mes collègues. Au rêve volatil de solidarité.

Et à vous, mes très chers, cette triste certitude: vous me manquerez plus encore que ce que j'avais annoncé.
Comme une (in)justice poétique: je paye cher le bonheur que vous m'avez donné. J'en sentirai, l'an prochain, toute la cuisante douleur.
Mais je ne regrette pas. Soyez... grands.

dimanche 9 juillet 2006

SAISON DES AMOURS

'ai toujours peu de goût pour l'été. Cependant je redécouvre à quel point l'été a le goût des amours.
Et ce n'est pas, je crois, à cause du soleil aphrodisiaque, des corps découverts, des peaux moites de chaleur.
Bien sûr il y a la clarté troublante de l'eau des piscines à minuit, l'envol des jupes sur les jambes nues, le miel des peaux, le poids des cheveux trempés.
Mais c'est surtout à cause du loisir, du temps libre.
Le temps libre est l'espace dont l'amour a besoin pour s'épanouir, pour défroisser ses corolles usées par le costume de travail, pour étirer ses membres engourdis et déployer son imaginaire.
L'amour est à son aise en vacances.
Les longues journées d'été l'ensemencent, le bercent, le cajolent. Les douces nuits d'été irriguent ses rêveries, font éclore ses fleurs surprenantes. Les songes de mi-été sont toujours des songes amoureux.

L'été dernier je déclinais les étreintes de mes amours littéraires. Cet été mes nuits s'imprègnent de visages réels, d'amours de ce monde-ci. Il n'y a pas si grande différence entre les deux. La saveur est la même, le sucre interdit qui emplit le palais, les guirlandes enlacées des bras, les mots épars dans les jardins du Midi, quand la chaleur se fait moins lourde.
Les mêmes jeux.
L'amour est un jeu, délicieux, immoral, mortel, excitant, mais un jeu, où l'on triche, ment, prend et donne, où l'on risque, se jette, se drogue, s'oublie et retrouve des vérités perdues. Où les mots se frottent, les langues s'inventent, les phrases se frôlent à la peau nue, les trahisons s'étreignent.
Ou du moins les amours d'été.
Ne sous-estimez pas leur empreinte, ni leur durée, ni leur force. La mer lave les convenances, emporte les carcans. Les amours d'été n'ont pas de limite.
L'été est la saison des jeux.

mardi 4 juillet 2006

ET AUJOURD'HUI...

J'ai pleuré.
Il faut croire que finalement je ne suis pas un bon petit soldat.

mardi 27 juin 2006

NOUVELLE LISTE D'ÉTÉ

En janvier j'avais établi cette liste.
Liste d'Eté

L'été a commencé, à en croire le calendrier et le thermomètre. Les journées s'étirent, la ville s'écrase de chaleur, les corps se plombent, le désir de sieste s'enracine, les maisons s'ombragent, les volets se referment sur de vagues secrets. Je n'aime pas vraiment l'été et ses torpeurs. J'aime les vacances, mais les miennes ne sont pas encore là.
Je suis, aujourd'hui, d'humeur chagrine, et portée aux bilans plus amers que doux.
Certains des voeux que je formulais cet hiver sont d'ores et déjà renvoyés au néant des possibles enfuis, des non-incarnés, des remis-à-un-futur-indéterminé.
Il en est ainsi par exemple de :
21. Ne pas avoir à conduire.
23. Déménager.
24. Faire une grande fête pour ma crémaillère.
25. Me préparer à un nouveau poste.
34. Assister à une fête du feu au solstice
35. ... plutôt que d'y corriger des copies
37. Voir, le 14 juillet, des feux d'artifice qui ressembleraient vraiment à ceux de Gandalf



D'autres semblent très compromis. Quelques-uns, trop rares, sont en bonne voie. Je lance un appel à ceux d'entre vous qui pourraient me procurer :
Une escapade dans le Grand Nord.
(2. Voir une aurore boréale.)
Des cours de langue conviviaux et stimulants...
(7. Apprendre une langue étrangère.)
Ou des leçons d'astronomie (avec travaux pratiques)
(13. Prendre des cours d'astronomie.)
Un indice sur la façon de...
(16. Découvrir un aliment inconnu.)
ou de...
(18. Mesurer une marée.)
Sans parler, bien sûr, de celui-là :
(26. Entrouvrir les voiles entre les mondes.)

Mais heureusement (vous remarquez? je ne puis m'empêcher de terminer sur une note optimiste...), il y avait ceci :
42. ... Trouver 59 autres idées de choses à faire cet été
Ajoutons, donc, sans craindre de tricher.

43. Rédiger un manuel de Défense contre les Forces du Mal
44. ... et bien sûr enseigner cette matière à de jeunes sorciers !
45. Porter le deuil d'un super-héros et organiser ses funérailles.
46. Acheter un corset (ou deux...).
47. Porter de merveilleux costumes.
48. Travailler avec enthousiasme et diligence aux &@#* articles que je dois, et les réussir mieux que les derniers en date.
49. Avoir des nouvelles de ceux qui me manquent ou me manqueront.
50. Trouver un Réceptacle-de-Glamour et l'offrir à celui qui se reconnaîtra.
51. Trouver la clef des cours secrètes de Venise.
52. Tant que j'y suis, faire aussi l'amour avec...
53. ... et/ou avec...
Heureusement, on peut toujours allonger les listes.

jeudi 22 juin 2006

DECLARATION COMPROMETTANTE

Vous allez me manquer terriblement, savez-vous? Plus que je ne saurai le dire.
Et je ne peux m'empêcher de penser qu'aucun autre, jamais, ne m'a autant manqué. Je sais bien que ce n'est pas vrai, qu'il y en aura d'autres après vous, que je ne puis voir encore et qui me toucheront autant... Je le sais et cela ne change rien.
Vous allez tellement me manquer.
Je sais bien que c'est mieux, qu'il doit en être ainsi, qu'il est temps que vous retrouviez votre liberté, que c'est la seule solution. Je le sais et cela ne change rien.

Je ne sais pas ce qui me manquera le plus. Cette question est bien vaine, mais c'est avec une joie mélancolique, une poignante fierté, que je dresse cette liste.
Je regretterai votre enthousiasme, votre ouverture d'esprit, vos tendances sporadiques à l'anarchisme. Je regretterai votre vivacité et vos bouderies. Je regretterai vos imperfections, vos erreurs, je regretterai même ce qui m'agaçait parfois. Je regretterai votre humour, nos fous rires, et votre aptitude rare à l'auto-dérision. Je regretterai les surprises que vous m'avez causées, souvent bonnes. Je regretterai vos côtés enfantins, votre amour pour Peter Pan, votre ressemblance avec lui. Je regretterai aussi vos côtés matures, bien sûr, la fierté que vous éprouvez à passer pour quelqu'un de plus âgé, vos effets de coiffure, votre béret blanc.
Et puis votre curiosité et votre intelligence, évidemment. C'est votre intelligence que j'ai aimée d'abord.

Seulement cela n'aurait jamais suffi. Si vous aviez été moins paresseux, si vous n'aviez pas essayé de vous défiler quelquefois, si vous n'aviez pas fait des choix si partiaux… tout aurait été moins intéressant. Si vous aviez eu moins d'esprit de provocation, moins de don pour la persuasion, moins de promptitude à adopter cette vision de l'argumentation-combat, tous les coups sont permis, tant qu'ils sont au-dessus de la ceinture.

Votre égocentrisme. Votre façon de chanter "La Bohème" à tue-tête, d'une voix sonore, ou d'improviser un madison dans la cour. Votre côté fleur bleue. Votre rigueur morale et votre amoralisme. Votre culture. Vos défis et votre façon de les relever, de vous pavaner avec une serviette pour tout vêtement, un matin d'été. Vos private jokes récurrents. Votre appétit dévorant -- de toute nourriture. Et le plus trépidant des matches de foot.
De tout cela je suis heureuse. Tout cela je le regretterai.
Mais je souris. Je suis très fière de vous. Très confiante en votre avenir.
Je ne vous verrai plus, mais vous irez loin, très loin en avant, et je penserai toujours à vous avec un sourire aux lèvres. Je vous veillerai de loin. Je ne vous dis pas d'emporter ma bénédiction en partant: vous n'en avez pas besoin. Votre indépendance est une grande part de votre charme.
Vous continuerez de courir sur un terrain de foot, de vous prendre trop au sérieux, ou pas assez, de donner dans le narcissisme délicieux ou l'adorable humilité, et d'avoir ce petit sourire ironique voltigeant au coin de votre bouche.
C'est bien. J'aime qu'il en soit ainsi.
Je serai un bon petit soldat, je sourirai, et ne pleurerai pas.
Mais qu'ils aillent au diable, les bien-pensants, les rigoureux gardiens des rôles établis, des cases dont il ne faut surtout pas sortir. Bien sûr que je vous aime. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas vous aimer.
Je vous aime. Tous, et chacun.

mercredi 21 juin 2006

UN SIXIÈME SENS, ET UN SEPTIÈME

Je me surprends à sourire. Ma démarche est plus légère, mes pensées coulent plus aisément, mes actions s'enchaînent plus naturellement. Une plus grande fluidité, une plus grande aisance, c'est bien cela. Chercher des réponses à mes questions, murmurer à mes amis lointains des mots de réconfort, ouvrir une fenêtre dans mon esprit pour entendre et pour voir, une fenêtre sur Lyon, sur Paris, sur Liverpool, sur Rouen. Tout cela est dans le cours normal des choses.
Pendant des semaines, j'ai été muselée, enchaînée au sol, arrimée à un espace et un temps unique, chassée des frontières où je m'ébattais à mon aise. Ce n'était même pas douloureux. Mais frustrant, réducteur. C'est à présent seulement que je m'en aperçois, à présent que cette dimension m'est rendue et que je suis joyeuse comme d'un verrou qui saute. Oui, c'est maintenant que je le sens, que mes yeux s'ouvrent vraiment, que je réalise: pendant ces semaines, je voyais le monde en noir et blanc. Ou plutôt en trois dimensions, coupée des autres.
Ou, plus justement encore, à travers cinq sens seulement.
Je retrouve le Réseau et le Haut Débit de son Flux, et je comprends qu'il est devenu mon sixième sens.

Ou mon septième, car quelques jours plus tôt j'avais retrouvé un autre de mes sens. Pas vraiment perdu, juste un sens dont je m'étais éloignée, trop longtemps, et qui est revenu caresser ma peau et filtrer mon regard, étoilant le monde. Ce sens-là est aussi un royaume, aussi un homme. Je ne l'avais pas oublié, je n'ai jamais pu l'oublier, mais je ne savais plus à quel point il était... présent. Omniprésent. Je l'ai relu, effeuillé, écrit. J'ai senti à nouveau le souffle de sa main, la pression de sa voix. Ses mots et ses merveilles ont recommencé d'enchanter le monde, de l'infléchir. Une dimension, un sens, un homme "cute as hell" and "a scary son of a bitch" -- mais jamais avec moi. Mort, peut-être, et ne vivant plus que sous la forme d'un de ses anciens sujets. Néanmoins omniprésent. Miraculeux. Infini. Et, de tous, le plus fidèle, comme je l'écrivais ici il y a près d'un an.
Et Dream est mon septième sens.

lundi 22 mai 2006

LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES ENFANTS

Toute la question est de savoir quelle vérité.

J'étais accoutumée à leurs entêtements naïfs. Des élèves de 13 ans furent persuadés que j'avais été pirate, puisque je savais tant de choses sur leur vie, ou que j'avais tourné dans Excalibur, "Non, vraiment, Madame, elle vous ressemble trop !"
Mais ce n'était pas la même chose.

D'abord parce que ces élèves-là sont de lucides et cultivés adolescents de 15 ans, au sens historique bien affirmé. On ne la leur fait pas.
Ensuite parce que... Vous allez voir.

Nous parlions du Cid, de la rencontre nocturne de Rodrigue et Chimène autour de l'épée ensanglantée, de l'horreur et de la violence de l'acte exigé. Et quelques élèves (des filles, forcément) de proclamer: "Elle aurait dû le tuer, puisqu'il le demandait. Moi, je l'aurais tué."
Et là... Qu'ai-je dit, exactement, et surtout, comment l'ai-je dit, pour qu'ils réagissent ainsi? Qu'est-ce qui est passé sur mon visage, qu'est-ce qui a filtré dans ma voix?
Je croyais avoir dit: "C'est beaucoup plus difficile que vous ne l'imaginez. D'abord c'est affreusement difficile de tuer quelqu'un de sang-froid, quelqu'un que vous n'êtes pas en train de combattre, qui ne se défend pas, qui n'est pas même armé. Et si en plus c'est l'homme que vous aimez (ai-je dit "même s'il le faut", ai-je dit "même s'il l'a mérité"?) alors c'est presque impossible."
J'ai dû dire "Croyez moi." J'ai dû dire cela. Je ne sais pas.
Je sais qu'il y a eu un silence. Que quelqu'un (un garçon - mais qui, qui?) a murmuré: "Vous l'avez fait? On dirait que vous l'avez fait."
Un silence et une ombre. Un étau froid, de ceux qui vous saisissent quand vous découvrez soudain des ténèbres en un lieu familier, en un être familier. Un frisson, de ceux qui vous parcourent quand le monde se révèle plus profond et plus sombre que vous n'attendiez.
Je sais, avec certitude, que je n'ai pas répondu.
Et qu'aucun n'a osé me poser à nouveau la question.

dimanche 14 mai 2006

TRIADES

Je me souviens de deux.
C'était il y a longtemps, dans un autre monde, deux fois un autre monde, donc.
Mais je m'en souviens aujourd'hui parce que c'est leur magie et leur fonction, dire les choses trop immenses, trop graves, trop pesantes et trop dérisoires pour être dites.
Deux triades, donc, prononcées dans la beauté étrangère, dans l'harmonie décalée, d'une salle de banquet aux marches des Cours du Chaos. Je me souviens des mots et des regards, et des voix qui les ont prononcés.

Douloureux comme...
— L'aube qui sépare les amants.

Un lieu commun. Il est des choses bien plus terribles que l'aube pour séparer les amants, des herses bien plus tranchantes et plus lourdes.
— Le désir inassouvi.
Encore une banalité. Ou pas. Ou il faut rappeler que le désir compte, quoi que disent les fables, qu'on n'esquive pas le désir, ni son absence. Qu'il a son rôle à jouer dans l'amour, ni un trop grand rôle ni un trop petit.
Et puis la femme aux cheveux d'or, qui connaît depuis longtemps les cent nuances de désirs et d'amours achève la triade:
— Le désir, assouvi.
Et c'est plus qu'un retournement facile, qu'une astuce rhétorique. C'est dire la douleur du désir qui s'étiole, de l'amour qui s'éteint, l'inacceptable absolu de ce qui était, immense et infini, et qui, sans raison, sans cataclysme, sans deuil, cesse d'être.
C'est le première triade dont je me souviens, aujourd'hui.

La seconde est sombre aussi. Poignant comme...
Le premier homme à parler est un guerrier et un amant, un ami et un exilé, un homme qui a traversé trop de batailles. Un survivant.
— Les mots qui sont dits trop tard.
La seconde est une femme enthousiaste, passionnée, entière.
— Etre trahi par l'être qu'on aime.
Et le retournement est le même, si facile en apparence, si éprouvant en réalité, si... poignant, oui. Qui faut-il être pour parvenir à prononcer ces mots, à en connaître l'affreuse nécessité?
— Trahir l'être qu'on aime.
C'était, cette fois-là, dans ce monde-là, une femme de devoir, qui sait que l'amour ne suffit pas.

Un bien-aimé, un mashiaru m'a dit un jour très justement que je racontais souvent la même histoire d'amour, une histoire disant que l'amour ne suffisait pas, un personnage amené à sacrifier cet amour, non pour quelque chose de plus grand, ni de plus intense, juste... pour quelque chose de plus nécessaire. Ou de nécessaire à un plus grand nombre. Banale tragédie.
Ne pas oublier, ne jamais oublier, à quel point elle est poignante. Trahir l'être qu'on aime. Ou le quitter. Ou, et les triades se rejoignent, ne plus l'aimer. Ne pas assez l'aimer.

Et malgré tout, malgré ces deux fois trois réponses, cette note ne dit rien, cette note triche et contourne, te contourne, contourne tes larmes.
Tes larmes seraient une triade sans troisième terme, une triade dont la fin serait tue, une triade dont on espérerait confusément qu'elle soit interrompue par n'importe quoi, la guerre, l'apocalypse, les ténèbres, pour ne jamais avoir à prononcer la fin.

jeudi 11 mai 2006

PRENDRE LA VAGUE

Revenir d'un jeu, d'un voyage et d'un rêve, sortir d'un rythme en vase clos, de noms, de partis, de cycles, de la précision d'objectif à court terme, d'un horizon de quelques nuits. Revenir d'Opalescence et de Morphée, de Clair-de-Lune et d'Honoré, de Merrclaw et de Dante.
Et me noyer, tout de suite.
Me prendre en pleine face la vague que j'attendais, qui m'emporte, m'ensevelit.

Seulement je ne cherche pas à la fuir, ni à m'y soustraire. J'écarte les bras, je souris, j'accueille la violence des flots sur mon visage. Noyez moi.
Des élèves? D'accord. Et des collègues, oui, et des copies, et des réunions, si vous voulez, j'y assisterai, je leur parlerai, je les corrigerai. Et des amis d'autant plus demandeurs que négligés quelques jours? Qu'il en soit ainsi, et qu'eux soient ainsi, je leur écrirai, répondrai. Et un Plan, et des textes suspendus dans l'attente, et des articles, et des taches administratives, et des rendez-vous? S'il le faut. Venez.
L'océan me secoue, m'arrache au sol, nie la gravité. Je le laisse faire, je me laisse prendre, je prends la vague, j'émerge justement parce que je ne cherche pas à surnager. Je laisse les flux et reflux laver mon visage et dépouiller mon corps.
Des amants passés, présents, des rêves, des nouveaux amis, des souvenirs — oui. Venez donc. Profitez en, puisque j'ai laissé ouvertes toutes mes portes.
Noyez moi.
Noyez moi.
Cela s'appelle prendre la vague.
Cela fonctionne: je respire donc je.

mercredi 12 avril 2006

DOULEURS

Migraineuse d'aussi loin que remontent mes souvenirs, je croyais connaître la douleur, la connaître comme une vieille bête familière mais jamais apprivoisée, qui se laisse brider quelquefois pour mieux vous mordre au sang quand vous relâchez votre vigilance.
Je connaissais ses pièges, ses appeaux, les signes qui annoncent sa venue, la piste qu'elle laisse dans le corps. Je connaissais sa trompeuse facilité, parfois, le soulagement, l'abandon, quand on cesse de combattre et se laisse porter par la vague, quand on se laisse couler à pic et que la noyade est presque heureuse.
Je connaissais ses variantes, ses à-coups, la douleur qui pulse et celle qui lance, la douleur qui vous frappe sur l'enclume et celle qui vous envahit comme un serpent, la douleur qui vous interdit toute pensée et celle qui vous laisse glisser dans des rêves souffrants, aux marges du cauchemar.

Mais non. Il y a d'autres douleurs, d'autres sens. J'ai exploré, ces derniers jours. J'espère pouvoir maintenir ce passé. J'espère pouvoir en rester là. Je sais qu'il y a pire encore, bien pire, dans certaines chambres d'hôpital, des douleurs qui ne finissent pas.
Il y eut le sang. Son goût amer et visqueux, son goût de maladie, les taches qu'il laissait sur ma langue, sur mes lèvres, sur mon menton. La marée sombre qui noyait mes dents. L'écarlate qui suintait de ma gencive. Ce n'était pas vraiment douloureux. Juste répugnant. Sottement inquiétant. Nous n'aimons pas voir s'échapper ce fluide.
Il y a eu les interventions de Thomas et de Jean-Christophe, leurs instruments aigus s'insinuant dans la plaie à vif, espérant endiguer de flux. C'est la seule larme que j'ai versée. C'était, pourtant, la douleur la plus brève.
Il y a eu la compresse qu'il fallait serrer très fort sur la plaie, la douleur masochiste et nécessaire, la douleur que l'on s'inflige soi-même, mais pour la bonne cause. Celle-là est périlleuse et en appelle à nos faiblesses: on pourrait la faire cesser, on pourrait desserrer la mâchoire, appuyer moins fort, on pourrait... Mais le docteur a dit. Alors on serre les dents. Ô l'ironie de ce cliché. On serre les dents pour résister, pour obéir, on serre les dents pour se faire plus mal encore.
Il y a eu les surprises. Car la douleur est une bête vicieuse à la tactique bien rodée. De temps en temps, elle fait retraite, se replie, disparaît, tout semble rentré dans l'ordre. Vous découvrez, incrédule, la joie ineffable qui naît simplement de son absence. Quelle paix, quelle énergie vous avez alors. Et puis, quand vous vous y êtes bien habitué, quand vous avez avalé quelque aliment, écrit un ou deux mails, fait un ou deux projets — elle resurgit. La plaie s'ouvre à nouveau. Et rien, rien ne pouvait le laisser prévoir. Vous n'avez pas commis d'erreur, pas brisé de règle, ce n'est pas votre faute — mais elle est là. Tout recommence.
Et puis? Et puis la douleur de cette nuit.
Ce qui est étonnant avec la douleur, c'est qu'elle peut toujours empirer. Elle aime bien vous laisser votre lucidité. C'est plus drôle. Comme vous êtes lucide, vous pouvez essayer d'élaborer des parades. Souvent, la douleur les laisse fonctionner, quelques minutes. La douleur aime se nourrir de votre espoir. Vous absorbez de la glace, précautionneusement, en localisant les bouchées avec précision pour que l'anesthésie se répande. C'est glacé. En d'autres circonstances, vous auriez mal. Mais là, bien sûr, le froid cuisant ne compte pas puisqu'il efface l'autre douleur, la pire, les aiguilles qui percent violemment votre gencive, en cadence. Cela fonctionne. Vous en êtes presque surpris. Et puis vous avez fini votre glace. Et, en moins d'une minute, tout recommence. Vous ne pouvez pas vous empiffrer de sorbets toute la nuit. Vous essayez autre chose, vous vous souvenez de la poche glacée au congélateur, pour rafraîchir les fronts brûlants, vous l'enveloppez d'un torchon et la serrez contre votre joue. Anesthésie artisanale. Vos doigts aussi sont anesthésiés. Et vous grelottez. Mais la douleur reflue, figée par la glace. Vous pouvez presque penser normalement. Et puis la poche se réchauffe. Tout recommence.
Vous avez toujours cru que l'esprit avait pouvoir sur la chair. Vous êtes, fondamentalement, une stoïcienne. Cette souffrance ne vous abattra pas. Vous vous lancez dans d'absurdes exercices de concentration. Vous vous racontez des histoires où vous êtes une courageuse blessée de guerre, et vous pouvez presque sentir dans votre main celle d'un bien-aimé, à votre chevet. Vous lancez à la bête des défis. Vous commencez à découper le temps en petits carrés de résistance. Vous devenez la chèvre de Monsieur Seguin. Vous vous obstinez sur des pensées abstraites, vous constatez à quels points sont précis et étonnants les sens humains, à quel point vous pouvez sentir chacune des perforations, vous les comptez comme des moutons. Vous vous posez des questions morales et vous interrogez sur la résistance à la torture. Est-ce que vous révéleriez des secrets pour faire cesser cette douleur? Mais vous n'avez pas de graves secrets à révéler. Est-ce que vous dénonceriez des amis? Non, vous ne le feriez pas, s'ils risquaient la mort, vous ne le feriez pas, même maintenant, c'est une pensée rassurante.
Et si vous aussi risquiez la mort, vous le feriez, alors? Vous ne savez pas. Vous espérez que vous tiendriez. Vous espérez ne jamais savoir.
Il est plus d'une heure du matin. Vous vous dites que la poche réfrigérée a peut-être assez refroidi et vous vous levez pour aller la chercher. Elle fait moins d'effet que la première fois. Vous vous demandez pourquoi le corps s'accoutume aux anti-douleurs et pas à la douleur elle-même. Mais peut-être qu'il s'accoutume. Peut-être que vous hurleriez, sinon, pleureriez, peut-être que vous vous évanouiriez, sinon.
Alors vous tenez.
Et puis, à 2h20, vous craquez. Vous appelez un médecin. On vous fait une piqûre. Bientôt, vous dormirez.

Mais vous n'êtes pas fier de vous. Vous vous sentez faible, avilie. Vous auriez préféré que l'histoire finisse sur votre victoire.
La bête ricane.

samedi 8 avril 2006

POUR BARBIE

Je suis comme elle. Nous sommes tous comme elle.
Il m'arrive encore d'imaginer que je vole au-dessus de la route, que je bondis et rebondis d'un toit à l'autre pour affronter des ennemis imaginaires, que je les combats en défiant la pesanteur, les pans de mes vêtements tourbillonnant autour de moi, que je brandis contre eux l'épée d'un Prince ou la lumière d'une Etoile.
Il m'arrive encore de souhaiter confusément une attaque, une catastrophe, une bataille, un dramatique éboulement de terrain, une prise d'otages, n'importe quoi qui me donnerait l'occasion d'exploiter cette part-là, de la faire ressortir, de la montrer au monde. D'être héroïque. De prouver mon courage, ou ma valeur, ou mon amour.
Il m'arrive encore de rêver de grandes scènes avec ambiance musicale où l'un ou l'autre de mes bien-aimés se rend à l'évidence et où nous nous embrassons sur un fond spectaculaire et tragique de champ de bataille.
Il m'arrive encore de récrire le présent en y ajoutant des magies plus visibles, des pouvoirs psychiques, des armes blanches, des prophéties. Il m'arrive encore de me déplacer avec mon entourage dans un autre univers, dans les brumes argentées de la Terre du Milieu, au milieu d'une galaxie déchirée par les éclairs de la Force, dans les ténèbres suintantes d'une ville post-apocalyptique.
Toujours dans le même but dérisoire et enfantin, bien sûr, toujours pour donner libre cours en moi à l'héroïne de légende. Toujours pour sauver le monde, ou sauver mes amis.

Et je sais, évidemment, que l'héroïsme et le courage et l'amour n'ont rien à voir avec ces chimères, que c'est au quotidien qu'ils se prouvent, dans le monde réel auquel nous nous colletons chaque matin, sur la terre à laquelle nous sommes tous rendus, paysans; je sais qu'ils sont d'autant plus précieux et ardus qu'ils sont moins visibles; je sais qu'il ne faut rien attendre en échange.
Et j'y parviens, parfois.
Je me contrains, parfois, à ces infimes victoires sur moi-même, à ces batailles du réel, à ces duels banals. A ne rien attendre en échange.
Mais je suis comme Barbie et je suis comme Cyrano, et malgré tout je rêve d'une seule contrepartie,
pas même la gloire ni la reconnaissance ni l'amour,
non
juste
le panache.



Barbie (Barbara) est un personnage de Neil Gaiman, dans une histoire de Sandman

mardi 28 mars 2006

SÉRIE NOIRE

A l'heure où la France s'est levée, a marché, par dizaines et centaines de milliers, par millions, à battre le pavé, battre les tambours, scander des slogans.
J'en reviens. A Marseille, il étaient 28 000 à 250 000 mille à défiler, dans le calme. Vous avez remarqué? La marge s'accroît. A croire, vraiment, que syndicats et policiers ne comptent plus en la même base. Les commentateurs s'étonnent, mais n'est-ce pas, pourtant, éminemment signifiant?
L'écart se creuse. Nous ne parlons plus la même langue. On s'étonne, vraiment?

A l'heure où le gouvernement bouge à peine un cil, comme engourdi, comme si son immobilité compensait la levée des foules. Et elle la compense. Libération continue de s'étonner et qualifie poétiquement la situation de "surréaliste".
Mais non. Je ne m'étonne pas. Je ne trouve pas ça surréaliste. Au contraire: très réaliste et très sincère, comme la révélation d'un fait que nous soupçonnions depuis longtemps: on n'a pas besoin du peuple pour gouverner. Rien n'oblige les gouvernants à nous écouter, rien d'autre que la sanction relative des urnes, en des moments étroits, une parole canalisée en langage codé, limitant les dégâts. Le reste du temps, seule la politesse les oblige à nous écouter. Et ils n'ont pas à être polis, après tout.

En cette heure-là, je répugne à parler de ma petite série noire personnelle, sans crime, sans grands enjeux, sans même vraies ténèbres. Un simple enchaînement de contrariétés, auquel l'écrit, la publication, donneraient trop d'ampleur.
Non, vraiment, parler d'abcès dentaires, d'allergies aux antibiotiques, d'accidents de voiture ou de complications informatiques? Parler, même, de Narcisse?
Voilà qui serait indigne, car cette série n'a de noir que les blessures d'amour-propre qu'elle m'a infligées.
Redresser la tête, me rappeler à l'humilité ou du moins à l'auto-dérision, et défendre jusqu'au bout le terreau de mes valeurs.
Car rien de tout cela, hélas, n'est surréaliste.
Tout de cela, contrariétés privées et inquiétude publique, nous enchaîne au réel, nous englue, nous coupe les ailes.

Redresser la tête et sourire et me dire qu'heureusement vous êtes là, qu'heureusement Stéphane chante, qu'heureusement mes troisièmes m'ensoleillent le coeur. Et ne pas trébucher sur la série de gravats qui noircit notre sol.

samedi 18 mars 2006

JALOUSIES

Oh, mes très aimés.
Je ne sais comment vous le dire, comment vous le prouver.
Et d'emblée le pluriel sanctionne l'échec de cette tentative. Vous ne voulez pas être pluriels. Vous voulez être le seul, la seule. Le premier, la première.
Je le comprends.

Comment vous convaincre que vous m'êtes chers, tous, que vous m'êtes uniques, tous? Comment vous convaincre que vous m'êtes premiers, chacun de vous? Que chacun de vous qui vous reconnaîtrez m'apporte une merveille et un miracle que nul autre ne m'offre?
Comment vous convaincre que le temps n'est pas habitude, que la durée n'est pas abandon, que l'éloignement n'est pas oubli?
Comment vous convaincre que mon coeur entre vous ne se divise pas mais s'additionne et s'élargit, pour vous enlacer, pour vous accompagner, pour vous offrir ma tendresse et mon coeur et mon esprit et mon âme?
Comment vous convaincre qu'aucun parmi vous ne fait double emploi, qu'aucun parmi vous n'est un second choix, que tous vous m'êtes précieux?
Et que si parfois j'ai usé des mêmes mots pour m'adresser à vous, c'est l'exigüité de la langue, et non de mon coeur, qu'il faut incriminer?
Le français n'a pas assez de noms pour dire l'amour et ses facettes, il en faudrait cent, mille, pour qu'aucun ne soit redondant.
Comment vous dire...
Eussé-je mille padawans, je serais toujours infiniment fière de toi, mon très cher Josh, et les sourires que tu éveilles sur mes lèvres seraient toujours uniques.
Eussé-je d'autres bredas, tu serais toujours, ma Nath, la soeur élue à travers tous les mondes-joyaux, dont les mots et les blessures et les doutes font échos aux miens (ou le contraire), et le bleu de l'équilibre nous relierait toujours comme le plus absolu des étendards — et tu serais toujours, ma Shaya, celle qui a accompagné les élans désordonnés de mon adolescence, arpenté des mondes à mon côté, et que je n'en finirai pas de vouloir protéger, quand bien même tu serais devenue plus solide que moi.
Eussé-je en tête un autre nom, et d'autres rêves, tu serais toujours, bien-aimé, le prince et le cousin et le compagnon qui m'était destiné, de toute éternité, et ton âme continue de chanter à l'oreille de la mienne.

Comment vous dire...
Pardon.
Je vous aime.

vendredi 17 mars 2006

GRYFFONDOR & SERDAIGLE

La plupart des gens ne réalisent pas. J'ai tellement l'air d'une intellectuelle, curieuse de tout savoir, champion de l'accomplissement académique, consacrée aux arts de l'esprit: ils ne réalisent pas. Seuls les plus proches voient cela.
Que je ne suis pas une Serdaigle, mais une Gryffondor. Que ma part Serdaigle est toute de surface, et qu'au fond, au coeur, là où cela compte, je suis viscéralement Gryffondor.
Hier, je l'ai été.
Parce qu'en moi la part qui compte et pense et pèse, et suit les fils de la raison, savait que cette décision était mauvaise, mauvaise à tous points de vue, personnels et collectifs. Je savais, et sais toujours, que c'est la faille des grèves d'enseignants, qui ne gênent personne puisque leur étendue est limitée par notre propre conscience professionnelle. Je savais et sais toujours que se déclarer gréviste et faire cours néanmoins était le comble de la bêtise, tout bénéfice pour l'Etat: aucune gêne occasionnée et une journée de salaire économisé. Oui, oui, j'ai défendu cette position vis à vis de mes collègues: venir travailler et se déclarer gréviste, c'est pervertir le système même de la grève.
Je le savais, et le sais toujours.
Et cependant j'ai fait cela: travailler et me déclarer gréviste.
Parce que je ne pouvais perdre cette journée, cours, visite de stagiaire, conseils de classe.
Et surtout parce que depuis des semaines je soutenais mon padawan et les autres étudiants dans leurs prises de position, et qu'en ne faisant pas cette grève je me serais sentie lâche et hypocrite, courageuse en paroles seulement et refusant de payer le prix de mon engagement. Le prix qu'eux payent, d'autre façon.
Alors je l'ai fait, en sachant l'absurdité.
Je suis Gryffondor: de ce peuple imbécile qui choisit le panache et les exigences de sa propre dignité plutôt que l'intelligence et même l'intérêt collectif.

dimanche 5 mars 2006

LES BRANCHES DE LA NUIT

C'était un soir, après le coucher du soleil.
Et j'étais seule dans l'appartement, arpentant cet espace sans le peupler. J'ai toujours su, comme chacun de nous, que mes pas résonnaient différemment dans la nuit, que les pièces familières s'élargissaient, s'approfondissaient.
Et je lisais, annotais, un livre sombre, soulevant des pans de l'humaine schizophrénie.
Et j'ai vu un épisode d'une série aimée, qui mettait justement en scène cette familière et permanente schizophrénie, nos rêves qui en quelques minutes retracent toute une vie, avec sa richesse et sa complexité, auprès de l'être aimé. La façon dont notre esprit isole et suit et amoureusement caresse un fil des possibles, pour lire un avenir, pour vivre une fois, avec une éblouissante netteté, une existence que nous ne vivrons pas.
Et dans cette même nuit un ami très cher m'appelait, me chuchotait des mots de douleur inquiète, de piège qui se refermait sur ses erreurs, et parlait de retour en arrière, de prix à payer. Ma force ne suffisait pas à l'apaiser. Rien n'aurait suffi.
Alors je marchais dans le silence, avec la nuit qui amplifiait mes pas, mon esprit qui se tordait autour de ces idées, mon coeur autour de ses sentiments -- et c'était là.
Les branches de la nuit. Les monstres qui s'y accrochent. Les ténèbres qui rampent aux frontières de notre monde de Lumières.
Oh, oui, c'était là.
Bien plus terrifiant que les créatures des romans d'horreur, des films d'épouvante. Bien plus insidieux que tout combat contre le Mal, en un monde plus large. Bien plus sombre que les magies de nos bibliothèques.
Et plus réel.
Pendant un instant c'était là, je les regardais en face, les monstres d'ombre qui font trembler l'assise de ce monde.
Et puis on a sonné à la porte, j'ai rallumé la lumière, j'ai parlé. J'ai fini ce livre, j'en ai lu d'autres, l'ami a fait taire ses angoisses -- les monstres sont repassés au-dehors, à l'abri de mon regard.

Ils sont là pourtant, je ne dois pas l'oublier, ils pourraient nous tomber dessus d'une nuit à l'autre. En fait, je ne doute pas qu'ils le feront.
Ceux qui s'accrochent aux branches de la nuit, et regardent le monde des hommes de leurs dents luisantes.

mercredi 22 février 2006

AIMER UN LION

Parfois je tombe amoureuse d'une ville.
Et l'amour ici n'est pas une figure de style, c'est le nom vrai de ce sentiment qui fait battre le coeur, qui gonfle les poumons, ensoleille les yeux. C'est de l'amour, avec ses variantes: certaines villes s'apprivoisent, et leur amour est un pénible accouchement. Avec d'autres, c'est un coup de foudre.
Avec Lyon, ce le fut.

Etre amoureuse de Lyon, brusquement, immensément, profondément, et n'être pas sûre de comprendre pourquoi.
Parce que bien sûr il y a les murs roses et ocres des bords de Saône, les ponts enjambant deux fleuves, les passerelles secouées par le vent, le vent qui emportait des rafales d'enfants sur les marches de la basilique, et les mosaïques rayonnantes de Fourvière, l'envol des escaliers, les chutes frémissantes des falaises, les monstres de pierre, les gargouilles et les aigles de Saint Jean, et les lions, tous ces lions.
Bien sûr il y a le café du Dahu sur les pentes, et au-dessus de l'amphithéâtre le regard qui s'envole au-dessus des toits et vous serre la gorge de joie, et bien sûr il y a le soleil sur la Croix-Rousse, et les marches qui disparaissent dans l'eau du lac de la Tête d'Or, et les pierres disjointes pavant les méandres de la Roseraie, et les caresses des saules sur les ruisseaux, et je suis passée entre "Pullman Orient-Express" et "Royal Romance".
Et bien sûr il y a les artistes qui s'étalent sur les quais du Marché de la Création, et bien sûr il y a la Demeure du Chaos, et les boutiques désuètes et magnifiques du Passage de l'Argue, et des rues où l'on s'arrêterait à chaque restaurant.
Je sais bien: il y a les pavés, et les hôtels particuliers, et les églises, toutes différentes, toutes merveilleuses, l'impressionnante cathédrale de Saint-Jean et la gothique Saint-Nizier et la baroque Saint-Bruno, et... oui, oui, il y a les masses harmonieuses et chaudes des Subsistances, et le dôme saisissant de l'Opéra, et le cloître de l'Hôtel-Dieu, oui, et la sobre solennité de l'ancienne Ecole Normale, et la labyrinthique Cour des Voraces qui pourrait être un tableau d'Escher, et encore, encore.
Mais est-ce que cela suffit?
Est-ce qu'on s'éprend d'un catalogue de merveilles, si riche soit-il?
Est-ce qu'il ne faut pas plus, un plus auquel je me heurte, que je peine à identifier?

Est-ce que j'aurais aimé Lyon si je n'avais pas dormi dans la Presqu'Île, si je n'avais pas traversé chaque jour l'une de ses rivières? Est-ce que j'aurais aimé Lyon sans ces deux rivières, justement, qui la rythment et la structurent, qui la dessinent, qui l'enlacent? Est-ce que j'aurais aimé Lyon sans ses collines et leurs à-pics, est-ce que je l'aurais aimée sans l'escalader et la dégringoler, sans me décrocher le cou à la verticale de l'Homme de la Roche ou du fort Saint-Jean?
Aurais-je aimé Lyon si je n'avais pas marché étonnamment seule dans ses rues, vidées par les vacances, ou le froid, ou le vent? Peut-être faut-il être seul pour s'éprendre d'elle, pour sentir son cœur frémir à chaque traboule, à chaque nouvel escalier, à chaque perspective vertigineuse. Lyon est une ville de secrets, comme Venise. J'ai marché, marché, ouvert des portes, passé des ponts, gravi des marches et reconnu des noms: c'est ainsi que se découvrent les secrets. L'amour, qu'on le veuille ou non, est aussi une prise de possession.

Et cependant aurais-je aimé Lyon sans ses êtres, sans les trois filles comiquement dissemblables de "Raconte-moi la terre", sans le prêtre en robe de bure, un bouquet à la main, plongé dans la lecture de la carte d'un restaurant, sans le chat doré hésitant sur les marches du lac au Parc de la Tête-d'Or, sans la femme yougoslave qui cherchait un travail et un toit, et qui insistait, jardin des Chartreux, pour m'offrir l'anneau d'or sur lequel son pied venait de buter, sans les silhouettes pauvres et sombres des pentes de la Croix-Rousse, les derniers enracinés dans un centre-ville réhabilité?
Aurais-je aimé Lyon sans les caprices et les sourires de Côme, sans l'aimable gravité de Mattéo, sans les quêtes idéalistes et la culture de Stef, sans les enthousiasmes et l'intégrité de Nath, la pureté de Nath, face à laquelle nous sommes tous des Déchus?

Tout cela, tout cela.

Mais est-ce que cela suffit?
N'y a-t-il pas autre chose dans l'amour, une magie, irréductible au sens et aux mots? Je me souviens: au parc de la Tête d'Or de vieux réverbères poussaient dans l'herbe, comme à Narnia. Aimer Lyon, aimer un Lion, vieux et magnifique, tient peut-être d'un miracle enfoui dans les cœurs, aimer Lyon est peut-être comme aimer Aslan.

Je ne saurai pas. C'est un secret qui palpite au coin de ma conscience, et ne se livre pas.

dimanche 12 février 2006

SEULEMENT DEUX CHOSES

Parfois j'oublie.
Parce que je suis un être de devoir, parce que je suis un être de nuance; parce que je suis un animal politique et sociable; parce que le travail, parce que les plaisirs, les fous rires, parce que le temps.
J'oublie, souvent.
Ou je fais pire, je refuse, foin des absolus adolescents, foin des absurdités qui nous séparent du monde, l'univers est beaucoup plus complexe que ça.
Il l'est.
Mais voilà — je m'en souviens — je ne sais pas pourquoi ce soir plutôt qu'un autre soir.
Je m'en souviens: il n'y a que deux choses qui m'importent vraiment, qui m'emportent vraiment, seulement deux choses vraiment profondes, vraiment intenses, vraiment vraies.
Je me souviens: le reste est emploi du temps, le reste est plaisir minuscule.
Il n'y a, vraiment, que deux choses.
La création et l'amour.

mercredi 8 février 2006

COMPLIMENT

C'est un art, qui n'a rien de neuf.
Un art de cour et de courtoisie, un art qui ne s'enseigne peut-être pas mais qui s'apprend, et qui fut précieux au temps des Précieuses et des Protecteurs, où les nobliaux impécunieux et les apprentis séducteurs se divisaient en deux camps: ceux qui savaient "tourner un compliment" (comme on tourne les blancs pour les monter en neige périlleuse) et ceux qui ne savaient pas.
Et puis il y avait Cyrano, bien sûr, qui savait, ô combien, mais s'y refusait souvent, par la grâce d'un "Non merci" plein de panache.
Cyrano ne tournait de compliment que lorsque cela reflétait un sentiment vrai, que lorsqu'il parlait à Roxane.

C'est un art que j'aime et cultive, depuis des années, sur les fertiles terrains que sont certains de mes proches. Avec les mêmes limites que Cyrano : je suis trop raide, sans doute, pour complimenter ceux que je n'aime ni n'admire. Je peux les exagérer -- je ne peux pas mentir. Je peux les amplifier, les laisser se déployer en fleurs grandiloquentes aux couleurs insensées -- mais il faut que la graine en soit réelle.
C'est un art et c'est un jeu.

Mais dans cette fable je suis tout à la fois renard et corbeau: je n'en finis pas d'être sensible aux compliments, d'en rougir et d'en sourire, de m'y emmêler parfois, leurs rubans trop flatteurs luttant contre mes exigences de lucidité.
Parler donc ici et aujourd'hui de compliments reçus. En choisir trois, très différents.

D'abord celui de Maîtresse d'Ecole, sur ce blog: les plus simples, les plus sobrement formulés, me touchent toujours au coeur. Parce qu'ils sonnent si vrai. Et puis nul écrivain ne résiste à ceux-là qui vantent son écriture. Foin des généralisations hâtives! Moi, en tout cas, je n'y résiste pas. Merci, merci. Puissiez-vous lire ici le rouge de mes joues.
De la maîtresse à l'élève: les flatteries de ces derniers sont toujours ambiguës, à ne jamais prendre à la lettre. L'élève est malin et souvent flagorneur, et même quand ses compliments semblent sincères, ce sont des bulles de savon. A la prochaine remarque sévère, à la prochaine note décevante, à la prochaine sonnerie, il vous en voudra à nouveau. Des compliments d'élèves il n'en est qu'un que je garde au coeur. Sans doute parce que celui qui l'a formulé n'était plus mon élève, et sans doute aussi parce qu'il s'agissait d'un des plus beaux compliments jamais reçus. Beau non pas dans ses fioritures de style mais dans le sens qu'il portait, et que désire entendre tout pédagogue et tout adulte.
Et puis ?
Et puis Tentatrice du Dragon

Je puis donc faire ici la plus inconvenante des choses, déroger aux règles de bonne conduite, ne pas me contenter d'accepter d'un sourire et d'un signe de tête, je puis -- remercier pour un compliment.
A ces trois-là, à tous les autres, merci, merci, merci.

vendredi 27 janvier 2006

BONHEURS

Parce que les Postes parfois livrent des merveilles.
Parce qu'une couronne de reine, argentée d'étoiles, répondant à un très vieux pari.
Parce qu'un bouquet de fleurs enneigées, répondant à d'anciens symboles.
Parce que des messages inattendus, parce que des amis.
Parce que le vieux miracle qui naît le soir entre les pages d'un livre nouveau.
Parce que la Mentrice.
Parce que Narcisse.
Parce que la salutaire régression des fous rires.
Parce qu'un exemplaire unique enfin achevé, illustré, enlacé de papier de soie.
Parce que les plaisirs (innocents ?) de la séduction.
Parce que la neige.
Parce que le désordre.
Parce que : les sourires.

dimanche 22 janvier 2006

EMPIRE

Et puis, bien sûr, cela retombe.
Et puis la colère se dissout.
Non pas qu'on oublie, mais cela s'éloigne. On y pense moins. Malgré nous, malgré tout, cela retombe.
Je savais qu'il en serait ainsi, je sais que c'est toujours ça, le pire.
La clef des tyrannies, le germe universel de la lâcheté.
Je le savais et cela ne change rien.
Je suis lasse, plus vraiment en colère.
Je reviens aux nuances, au quotidien, aux petites victoires et aux petites défaites.
Je cours le risque de recommencer, de faire comme si rien ne s'était passé.
Et c'est pire. Ça empire.

mercredi 18 janvier 2006

CHASSE AUX SORCIÈRES

Ca y est. Ca a commencé.
C'est affreusement difficile de s'en rendre compte, hors des pages d'un livre d'histoire, sans une voix off pour expliquer.
Mais ça y est. Je crois que ça y est.
La machine est enclanchée.
La France a basculé.
La chasse, et tous ses corollaires. Ceux qui disent Il y a du vrai dans ce qu'ils racontent, ceux qui commentent Ce n'est pas si grave, ne nous trompons pas de cause et même ceux qui, dans notre propre camp, leur donnent raison.
Il doit en être ainsi.
C'est comme ça que ça marche.
Grâce à nous -- à nos nuances -- à nos névroses -- à nos paresses. A nos aveuglements.

Mais regardez. Ca a commencé. Et nous ne le voyons pas. Il faudrait se battre. Et nous haussons les épaules, retournons à nos vies.
C'est maintenant.
Il est encore temps.
En marche.

Article du Figaro

lundi 9 janvier 2006

QUESTIONS DU JOUR (9) : VACANCES, FÊTES & RITUELS

Noël est, de toutes, la plus précieuse. Je l'ai trop écrit ces temps-ci.
Mais Noël ne rythme pas mes années. Comme tout élève et tout enseignant, je compte en années scolaires, et ce sont les vacances d'été qui délimitent la charnière, le passage, le devoir et le risque des bilans.

Noël est magie. Noël, et l'hiver, cristallisent.
Changer d'année est le pénible contraire d'une cristallisation, et ne peut se faire qu'en été, au bout de ces journées trop longues qui ne laissent pas de répit, qui ne s'éteignent pas avant de vous avoir forcé la main, obligé à aller jusqu'au bout.
En été, où la chaleur nous contraint à ôter une à une les couches de vêtements qui nous protégeaient, les couches de mensonges, les voiles faciles sur nos corps et nos yeux.
En des vacances assez longues pour nous ôter à la fois le rythme routinier du travail et l'occupation frénétique des premiers jours de liberté. Assez longues pour que la liberté prenne sa vraie couleur qui est celle du choix.

dimanche 8 janvier 2006

QUESTIONS DU JOUR (8) : OMBRES

Ce n'est pas la nuit
Qui souffle les chandelles
Ce n'est pas la nuit
Qui libère les spectres
Et fait pleurer les hommes
Qui ne savent pas voir
Derrière les étoiles...


Ce n'est pas la nuit. Ces ténèbres-là, je ne les ai jamais craintes. Au contraire, car la nuit donne plus d'éclat à la lumière, lui rend sa magie comme elle me rend la mienne.
La nuit rend au ciel sa splendeur d'écrin, sa profondeur d'univers. La nuit rend aux lueurs des maisons, des voitures et des villes, leur vraie nature de phare et de havre. La nuit rend à la terre son souffle secret, au silence sa voix, à l'esprit la place suffisante pour étendre ses ailes.
Je ne la crains pas, et l'aime, et la reconnais. La nuit est un espace plus vaste que la journée, un domaine plus libre, un langage plus secret.

Les vraies ténèbres sont une tout autre chose. Elles sont bien pires sous le soleil, suintant discrètement, profitant de notre propension à les nier pour avancer et croître et se reproduire. Et nous vaincre.
C'est dans la nuit que brille plus fort la lumière. C'est dans la nuit que nous sommes plus forts face aux ténèbres, parce que nous ne sommes plus distraits par les bruits et les couleurs et les gens qui nous aident à oublier. Dans la nuit ne demeure que ce qui importe vraiment: les étoiles du monde et notre propre coeur. Les seules armes qui vaillent face aux ténèbres.
Les enfants de la nuit et des étoiles savent qu'il ne faut pas nier les ténèbres.
Savent formuler le secret qui ne suffit pas à la victoire mais qui en est la seule clef possible: il faut aimer les ténèbres pour les combattre, il faut trouver des ténèbres à aimer, il faut, pour chaque combattant de la lumière, une ténèbre à aimer -- sans quoi c'est le feu qui se lève à la place des étoiles, dévorant le monde, mettant fin au jour, et à la nuit, et aux ténèbres et à la lumière. Seulement le feu.
Mais cela ne suffit pas.
Rien ne suffit, ni l'amour, ni les étoiles, ni les coeurs, ni les esprits, ni la lutte.
Rien ne suffit, mais dans la nuit se dessine le chemin.

samedi 7 janvier 2006

QUESTIONS DU JOUR (7) : MER

Qu'est pour vous la mer?

Ils se parlent comme ils ne s’étaient pas parlé depuis longtemps. Et parce que le monde autour d’eux est tout de mer d’étoiles et de roc, leurs mots à eux qui ont hérité tous deux le sang des bardes vont plus loin peut-être que jamais.
Setanta qui n’aime guère tourner ses yeux vers l’océan le regarde quand même cette fois, car le danger que portent les vagues est moins incontrôlable que celui du visage d’Aoifa. Et il parle, avec les accents de la tristesse qui pèse sur lui depuis la veille.
« La terre d’Ulster est dans mon cœur et dans mon sang, et cependant mon âme est comme l’eau des rivières, insaisissable et folle. Inutile.
— Ton âme est comme la mer, répond Aoifa, elle nous appelle et nous fascine, et nous porte les songes de l’avenir. »
Setanta sourit, si amèrement : « La mer fascine parce qu’elle est sans contrôle et sans but. Son charme n’est qu’un pis-aller. Au fond de leur cœur les hommes la craignent. »
Aoifa s’est redressée et comme toujours la brise s’est levée avec elle et joue dans ses cheveux. Et Setanta peut la regarder, à présent, presque sans souffrir. « Le vent n’a pas à craindre la mer, petit oiseau. Elle ne peut rien contre lui. »
Aoifa lui fait face, gravement : « Le vent ne craint pas la mer. Il l’aime et la caresse. Je ne crains pas la mer. Elle chante à mon oreille avec la voix même des dieux. Elle me porte, me soulève au-dessus du monde, me redonne force et joie.
— La mer ne peut que rêver du vent, certaines nuits. Pas davantage. »
Pas davantage. Et ils se taisent, parce qu’ils ont dit vraiment tout ce qu’il était possible de dire, pour l’instant. Et bien sûr Setanta ne la prend pas dans ses bras. Personne n’embrasse le vent.

©"Le chemin de pierres", in L'Esprit des Bardes, Nestiveqnen

Ce n'est, bien sûr, qu'une des réponses possibles. J'aurais pu dire aussi :
J’aime le vent. J’ai vingt ans. Oh, comme j’aime le vent ! J’ai vingt ans et je suis Alba, Alba la Rouge. Et le vent tourbillonne sur moi sans me faire de mal. Je suis Alba. Et c’est à ce moment que l’on crie : tu peux descendre, Dieu, tu peux venir tout de suite sur cette plage, je ne jurerais pas que tu puisses faire taire mon rire. Et toi non plus, Orville. Je suis Alba la Rouge, dans la tempête. Même sans toi.
C’est une plaisanterie. Mais vraiment j’aime tant le vent, et je pourrais — avaler le monde, et Dieu, et Orville tout entière, la cerise sur le gâteau. Avec ce vent et cette mer je crois que que je pourrais les vaincre tous. Même toi, Ludwig d’Orville.
Rappelez-moi tout ça, la nuit, au milieu d’eux, sur les quais du Queen’s Bar. Rappelez-moi le vent, la mer et la pluie, et cette grande force qui me donne mieux que des ailes. Je vais rentrer et vous composer une musique qui s’appellera “The Open Sea”, l’anglais dit plus que nous cette fois, le large qui a oublié qu’il pouvait être l’élargissement, libération des forçats. Alors ce sera the open sea, la mer ouverte sous la tempête.

© "The Open Sea (La Mer Ouverte)", in Le Dit d'Orville.

jeudi 5 janvier 2006

UESTIONS DU JOUR (6) : MOTS

Qu'avez-vous écrit dans les marges de vos livres? Que ressentez-vous le besoin de gribouiller pendant la lecture?
Je gribouille tant. J'aime les marges. Celles de mes livres sont comme des marginalia médiévales, envahies de notes, de ponctuation, d'esquisses parfois. Ceux qui vénèrent le livre comme objet (et parmi eux il y a quelques-uns de mes très aimés), ceux-là ont oublié le sens et l'histoire des livres. Un livre est une interface, un passage, un échange, un journal, un lieu de traces. S'il faut vénérer une magie du livre elle est dans les mots, et le miracle de leur effet sur notre coeur et notre esprit.

Les mots devraient être un peu plus sauvages, puisqu'ils sont l'assaut des pensées sur l'impensable. (John Maynard Keynes) Quels sont vos mots sauvages?
Dans la nuit ils marchent. Cinq Seigneurs ténébreux qui arpentent la terre depuis les temps où elle était plate. Le Mal, La Mort, La Folie, Le Destin, L'Amour. Et ils sont mes mots sauvages, à jamais.
Dans la nuit entre les mondes, dans les lieux qui ouvrent sur tous les univers, ils se tiennent. Sept Seigneurs qui n'ont pas de fin, qui changeront peut-être, mourront peut-être, mais existeront jusqu'à ce que la dernière étoile s'éteigne, jusqu'à ce que s'éteigne en nous le dernier écho de leurs noms. Le Destin, La Mort, Le Rêve, La Destruction, Le Désir, Le Désespoir, Le Délire. Et tous les noms sauvages de la nuit.
Car c'est toujours dans la Nuit que marchent nos mots sauvages.
Tant il est vrai (qu'Antigone incarne) "l'amour comme étranger à la condition humaine, ressortissant à la part de la Nuit qui est la part des dieux... Elle représente le rappel d'un espoir infime, rappel que la pensée de Créon a complètement occulté en nous : le fait que l'homme ne s'appartient pas, que son sens n'est pas le Sens, que le sens humain prend fin dès lors qu'on aborde à la rive de la Nuit, et que la Nuit n'est pas un néant, mais appartient à ce qui est au sens propre du terme... La nuit est l'ouverture à ce qui ébranle"
Jan Patocka, Platon et l'Europe