samedi 14 janvier 2012

Au Secours, Mères Allaitantes En Vue

J'ai allaité mon fils pendant huit mois. C'était l'an dernier seulement, et c'est une expérience qui laisse des traces. J'en ai parlé en détail sur Geekmom (en anglais).
Une fois n'est pas coutume, je vais laisser les mots s'effacer derrière les images. Parce qu'il s'agit bien d'image, ici. Pas de savoir si l'allaitement asservit les femmes ou s'il est le devoir sacré de toute mère, pas même de savoir ce qu'il nous apprend sur notre espèce et sur nous-mêmes.
Il s'agit de savoir si l'on peut montrer une mère allaitante.
Si l'on peut la regarder.
Si c'est indécent.
Si c'est provocateur.

Il s'agit de savoir ce que ces récents débats disent de nos sociétés et du regard qu'elles portent sur le corps féminins.
Il s'agit d'images.
En voici deux.

La couverture du premier épisode d'un comic book américain qui a suscité la violente réaction d'un autre illustrateur et un débat qui s'est répandu comme le Web le permet désormais, de tweets en blogs et retour, à l'infini.
Vous pouvez lire par exemple la réaction initiale de l'auteur offensé, et la réponse de l'illustratrice mise en cause, Fiona Staples, sur Comics Alliance.
Pour ma part, je ne saurais dire combien je suis heureuse de voir enfin une super-héroïne allaiter, moi qui déplorais que les littératures de l'imaginaire fassent si peu usage des possibilités offertes par le lait maternel et ses mystères. J'ai même le vague projet d'une histoire de fantasy dont l'héroïne serait une nourrice.

Par hasard, les hasards du calendrier des expositions d'art, je suis tombée quelques jours plus tard sur ce tableau attribué à Léonard de Vinci ou l'un de ses élèves, La Madonna Litta.

Je n'en suis pas venue à comparer l'iconographie de notre temps à celle de la Renaissance. Je me suis simplement émue du visage de Marie, tendre, émerveillé, concentré sur l'enfant et comme illuminé par lui — et qu'on peut lire de manière profane, tant cette lumière de l'acte, de l'intimité du lien, ne dépend pas de la nature divine de l'enfant.
Et je me suis amusée, aussi, de constater que Marie porte sur ce tableau une robe d'allaitement, fort réaliste, avec des fentes verticales fermées de points lâches qui s'écartent pour permettre l'accès au sein. Moderne ?

Pour le reste, je vous laisse juges.


dimanche 8 janvier 2012

Atelier d'Ecriture: Un Nom, un Destin

La consigne suivante de mon atelier d'écriture imposait d'écrire un début de nouvelle mettant en scène un personnage au nom prédestiné, en jouant justement sur les possibilités, connotations, sonorités de ce nom.

Avez-vous déjà rencontré de ces obsessions poursuivies jusqu'à la folie ? Elles peuvent naître d'un rien, d'une rencontre trop prometteuse en un moment trop solitaire, d'un pas de côté qui nous laisse entrevoir un instant l'Autre Monde dont nous rêverons toujours de retrouver le chemin, parfois d'un livre trop mystérieux, ou d'une absence inexpliquée.
Parfois la folie naît d'un simple nom.
Encore qu'il soit difficile de qualifier de simple le nom de Dragomira Chaudezembre.

Bien des femmes de sa famille avaient été prénommées Hestia. Hestia Chaudezembre, voilà un nom qui, pour être dense, avait l'avantage d'être cohérent, d'annoncer un univers de certitudes. Une Hestia Chaudezembre savait quel monde serait le sien, celui des magies riches et tranquilles du foyer. Elle serait mère puis grand-mère, porterait des jupes amples ornées de guirlandes d'enfants, sa maison serait un phare dont on verrait de loin la lueur rougeoyante, accueillante, et sa cuisine un havre plus précieux encore. Les hommes l'aimeraient d'autant plus qu'elle ne leur semblerait pas menaçante, que jamais ils ne comprendraient vraiment quelle puissance ronflait dans sa cheminée et mijotait dans ses marmites. La grand-tante de Dragomira se nommait ainsi, et elle était telle que son nom l'annonçait.
Mais voilà : à cause d'un oncle trop beau, trop tendrement aimé, trop téméraire, qui avait eu la sottise de mourir dans quelque guerre un mois avant sa naissance, la fillette hérita de son prénom à peine féminisé. Comme s'il était possible de féminiser un prénom pareil, comme s'il était possible d'avoir une taille fine et des boucles soyeuses, quand votre mère vous avait baptisée Dragomira ! De fait, elle devint une adolescente aux grands pieds, aux épaules carrées, la mâchoire en avant, butée sur une révolte permanente et pour ainsi dire innée. Elle n’avait pas même hérité la chevelure cuivrée de son père : ses cheveux étaient raides et châtains, mais dans ses yeux noirs brûlait parfois une étonnante flamme qu’il était peut-être trop facile d’attribuer à la colère.

Le statut de notables des Chaudezembre avait épargné aux filles de la famille les déclinaisons grivoises que permettait leur patronyme. Mais Dragomira manquait tant de prestance qu’elle fut la première à les subir — encore qu’on se demandât bien d’où elle pouvait être chaude, ricanaient les garçons du village. Elle n’imagina pas d’autre recours que la bagarre : elle rendit coup pour coup, et pour une fois sa carrure la servit, à cet âge où les filles dépassent souvent d’une tête les garçons. Les plaisanteries cessèrent : on ne ricanait plus que dans son dos, et sur un air différent. Ce fut sans doute à ce moment que l’association naquit, pas auparavant : « Dragomira est un dragon, Dragomira est un dragon ! » Et de mimer la bête avec sa démarche pataude, ses ailes gigantesques traînant derrière elle sur le sol. Les plus hardis l’accompagnaient de grondements féroces — alors la jeune fille se retournait et leur cassait la figure, presque rituellement.
Il y avait pourtant bien un grondement dans ce nom-là, dans cette gorge-là, qui commençait de se faire entendre. Si Chaudezembre était un félin, le ronflement inquiétant mais contrôlé d’un feu, la sauvagerie ronronnante et madrée d’un chat, Dragomira grondait comme un tonnerre, révélant le roc sous la fourrure, la Bête sous la jeune fille.
Bientôt elle partirait en chasse : puisqu’on le voulait ainsi, elle irait au Dragon et le combattrait. Que l’existence d’une telle créature soit improbable n’entrait pas en ligne de compte, et sa réflexion ne manquait pas d’une certaine logique : s’il existait des jeunes filles appelées Dragomira Chaudezembre, il devait bien exister des Dragons.