mardi 19 avril 2011

Saveurs et Couleurs

Un texte très, très imparfait, pour la deuxième consigne de l'atelier d'écriture qui m'a donné beaucoup de mal…

Je suis en charge du gâteau. Il en a toujours été ainsi, d’aussi loin que je me souvienne. Après tout, la pâtisserie est une de mes spécialités.
J’aime regarder d’abord mes ingrédients, les ranger en arc de cercle devant moi, sentinelles du plat à venir. Les pots de terre granuleuse où je conserve mes farines, le papier épais, crissant, qui enveloppe les tablettes de chocolat, les cerises qui macèrent à l’abri de leur bocal de verre, l’or brun du sucre, la blancheur de la crème.
Et les œufs. D’ordinaire je ne prends pas le temps de réfléchir à ce qu’ils représentent, j’enchaîne des gestes presque mécaniques : un coup sec, précis, sur le bord du saladier, pour obtenir cette brisure nette de la coquille sans abîmer le jaune, que l’on transvase adroitement dans une moitié, puis l’autre, et encore, jusqu’à ce que tout le blanc ait coulé dans le saladier. Mais aujourd’hui les symboles importent. La vie, les cycles, ce qui palpite en secret derrière la coquille. Je m’accorde un instant pour cela, pour sentir la fraicheur de l’œuf, sa rondeur dans ma paume, et je reprends mon ballet.
La cuisine est tout entière un art de métamorphose, bien sûr, mais il est peu d’aliments dont la transformation soit aussi spectaculaire que celle des œufs. Les blancs ne sont pas même blancs, pour l’instant, seulement un fluide translucide et glaireux. Je les bats, je les fouette, et voilà qu’ils se changent en neige. C’est un de mes moments préférés. Je guette les stades de leur métamorphose, la seconde où ils blanchissent, s’opacifient, se dilatent, deviennent cette neige plus douce, plus blanche, plus belle que la véritable neige.
Le chocolat aussi a sa magie. Tous les enfants la connaissent. Lui aussi change de texture en tournant doucement sur le feu : froid et craquant, il se fait onctueux et chaud, libérant ses arômes, adhérant à la cuillère en bois. Tout à l’heure je pourrai lécher cette crème sur les parois de la casserole, y passer mon doigt, trois fois, pour le plaisir, pour la force, pour la plénitude qui tapisse le palais et repousse la nuit.
Le plus difficile est toujours de mêler les blancs en neige au reste de la pâte. Toutes les pâtissières connaissent le mouvement, pourtant, ce geste tournant du poignet, enveloppant, presque tendre. On craint toujours de briser les blancs. On les brisera, d’une façon ou d’une autre, ils disparaîtront, engloutis dans la pâte. C’est cela qu’il faut accepter. C’est cela qui importe, ce soir. Le chocolat recouvre la neige, l’absorbe, la fond en lui.
Puis je m’octroie une petite tricherie et répartis la pâte dans trois plats circulaires identiques. Les gens croient qu’on ne peut pas tricher, en pâtisserie, et c’est vrai, on ne peut pas plaisanter avec les mesures, avec l’équilibre. Mais on peut faire cela, à condition d’avoir un four assez grand. Le mien ne pose pas problème, évidemment : il est assez grand pour qu’une femme adulte puisse s’y faufiler, ou pour y faire cuire cent pains d’épices. C’est étonnant que les gens se souviennent de ça.
Après quoi ce n’est plus qu’une question de patience, de strates, de vérités posées l’une sur l’autre jusqu’à ne plus savoir laquelle est vraiment cachée. Un tiers du gâteau. La crème. Les cerises. Et encore : le gâteau, chaud et odorant ; la crème, bien battue, légère, onctueuse ; les cerises, rondes et luisantes de sirop. Noir. Blanc. Rouge. Les alchimistes ont deviné tant de choses, pourquoi diable ne se sont-ils jamais intéressés à la pâtisserie ? Une dernière fois. Noir. La terre fertile, l’ombre dense des sapins. Blanc. La neige qui recouvre le monde. Rouge. Mais je ne suis pas obligée de me couper le doigt pendant la confection du gâteau.
Je recouvre la dernière couche de crème, délicatement je la saupoudre de copeaux de chocolat. Je n’ai jamais été très douée pour cette étape : les copeaux sont si fragiles entre mes doigts. Il faudrait des mains d’enfants, mais les enfants sont loin, au chaud dans leurs propres foyers. Pourtant c’est terriblement important : c’est le chocolat qui doit l’emporter sur la neige.
La nuit tombe déjà, la plus précoce de l’année, et mes sœurs frappent à la porte juste quand le gâteau est prêt. Forêt Noire.

mercredi 13 avril 2011

Comment faire entrer quarante heures d’occupations dans des journées de vingt-quatre

Oubliez les conseils sur l’optimisation du temps, les plannings à afficher, les aspirateurs qui aspirent tout seuls, les couteaux qui découpent tout seuls, les enfants qui s’occupent tout seuls. Rien de tout cela n’est suffisant et vous le savez bien.
C’est qu’aucun de ces moyens ne prend le problème à la source.
Il ne s’agit pas de tricher avec vos occupations. Il s’agit de tricher avec le temps.

Lisez les écrivains de SF, tous ceux qui parlent de voyages dans le temps, de Chronogardes, de retourneurs de temps, de Déchronologie, de temps en conserve. Le temps en conserve est une bonne idée. Jetez rageusement tous les plans de machines à remonter le temps : ils vous sont inutiles. Il vous faut une machine à agrandir le temps.
Lisez les physiciens. Au besoin, commencez par la vulgarisation pour enfants. Allez plus loin : assimilez la théorie de la relativité, la physique quantique, la théorie des cordes, l’antimatière, la théorie du dédoublement des temps.
Quand vous en serez à vous demander si le temps s’écoule, et dans quel sens, voire si le temps existe, félicitez-vous, vous êtes sur la bonne voie ! Si nécessaire, passez quelques années en thérapie.
Fréquentez les savants fous. Dressez vos plans. Rassemblez du matériel. Hantez les décharges, les brocantes, les ateliers d’horlogerie.
Ne vous inquiétez pas des délais. Vous saurez quand le temps est venu : vos collègues se rassembleront pour saluer vos réussites et organiseront une fête en votre honneur.

Vous aurez réussi : à présent, vous pouvez jouir de votre retraite.
Les journées ont beaucoup plus de vingt-quatre heures, vos occupations beaucoup moins de quarante. Vous pouvez même construire votre machine, si vous en avez envie.

(Pour me remettre le pied à l'étrier de l'écriture, et pour explorer d'autres registres, je me suis inscrite à un atelier d'écriture… Il s'agissait de la première contrainte.)
(ponctuation modifiée après le retour de l'animatrice de l'atelier)

mardi 12 avril 2011

Comment Se Souvenir de Ses Rêves

Vous êtes las de toujours oublier vos rêves. Chaque matin, votre conjoint vous raconte les siens, farfelus, inquiétants, parfois même érotiques. « Et toi ? » Vous, rien.
Vous avez tout essayé. Vous avez posé un beau carnet neuf sur votre table de chevet pour y tenir le journal de rêves qui ne s’écrivent pas. Vous avez acheté l’un de ces fétiches que les Indiens appellent attrapeurs-de-rêves pour voir quels songes seraient pris au filet le matin. Vous l’avez jeté, pour qu’il ne retienne pas vos rêves à l’entrée de vos nuits. Vous avez peut-être même consulté quelque spécialiste en interprétation de rêves absents.
Toujours rien.

Voici pourtant comment vous souvenir de vos rêves, à coup sûr.
Préférez un souper tardif. Choisissez avec soin les mets qui le composent. Des pâtes à l’encre de seiche sont très recommandées. Buvez beaucoup, buvez chaud. L’alcool est permis.
Chauffez bien votre chambre, que l’air y soit lourd et moite. Habillez votre lit de draps unis et blancs, de draps vierges : les rêves sont une licorne à capturer.
Dormez nu. Vous sentiez mieux, sur votre peau, l’étreinte de Morphée.

Et au matin, vous lirez l’empreinte de vos rêves sur les pages trempées de vos draps.

(Pour me remettre le pied à l'étrier de l'écriture, et pour explorer d'autres registres, je me suis inscrite à un atelier d'écriture… Il s'agissait de la première contrainte.)

mardi 5 avril 2011

Identité : (Non)-Universitaire

Il y a des non-anniversaires, il pourrait y avoir des non-universitaires. Pas seulement pour la rime.
S'il en existait, je serais de ceux-là.

J'écris des articles, participe à des colloques — bien peu, quand le temps m'en est donné — mais je n'enseigne pas à l'université.

C'est un choix que j'ai fait, il y a des années, et que je commence seulement de regretter.
Il y a des années, j'ai choisi de passer l'agrégation plutôt qu'un doctorat. Puis d'enseigner sans attendre. C'est une de ces bifurcations significatives d'une vie, peut-être. Pourtant le choix n'a pas été difficile. Certes, je voulais être indépendante financièrement. Mais surtout, la perspective d'un doctorat de lettres ne m'enthousiasmait pas. Je doutais, à vrai dire, de l'intérêt profond de la recherche en littérature. Pas seulement de son intérêt pour moi, non, de son intérêt tout court.
La recherche apportait-elle vraiment quelque chose à la littérature ? N'était-elle pas vaine spéculation, jeu de miroirs souvent auto-réferentiel et auto-satisfait, interminables arguties, méticuleuses et pour tout dire fastidieuses interpolations ?
Ce qui importait, n'était-ce pas d'écrire la littérature, et de la lire, sans besoin de l'analyser si avant ?

Finalement, l'entreprise d'un doctorat de lettres n'avait rien pour me séduire. Je ne m'y amuserais pas. Et quand bien même je le mènerais à terme, il me faudrait encore entrer dans le ballet complexe des relations universitaires. Je ne m'en sentais pas la force.

Pourquoi regretter, à présent ?
Parce que la recherche littéraire, en France, est en train de bouger. De devenir passionnante. D'aborder, en tout cas, des domaines qui me passionnent.
Les littératures de l'imaginaire.
La littérature jeunesse.
Les frontières entre les genres, entre les arts.
Fan-fiction.
Creative writing.
Interactive storytelling.


Etre un non-universitaire ne suffit pas pour explorer toutes ces pistes.
Un non-universitaire, il faut bien l'avouer, n'est qu'un dilettante de la recherche.

Je me retourne et regarde ce carrefour, cette bifurcation manquée. Mais : si j'avais fait ce choix, je n'aurais pu venir m'établir aussi facilement près de Genève. Vivre avec le Bien-Aimé. Fonder une vie nouvelle.
Et voilà qu'en fin de compte je ne regrette plus.

lundi 4 avril 2011

IDENTITE : MÈRE AU FOYER

C'est une de mes découvertes de ces derniers mois. Une humilité nouvelle.
En jeune femme active et indépendante, en bonne fille de soixante-huitarde, j'avais quelque mépris pour la mère au foyer.

Femme à l'ancienne, sans élan, sans passion, sans vie hors de sa famille, à jamais dépendante de l'homme pour sa subsistance, Pénélope immobile attendant chaque soir le retour de l'aventureux, uniquement préoccupée des tâches de ménage et pouponnage, et quand du loisir lui advient, une fois la marmaille à l'école, livrée à la paresse intellectuelle des magazines féminins et des programmes télé ciblant les "ménagères de moins de cinquante ans".

C'était mon cliché.
C'était un cliché.

Depuis sept mois, je suis moi-même une mère au foyer, même si c'est pour la durée réglée et limitée d'un congé parental.
Et je réalise combien l'image était absurde.

D'abord parce que toutes leurs protestations sont vraies: leur occupation est bien un travail, au plein sens du terme. Certainement le plus exigeant de tous ceux que j'ai connus.

Ensuite parce que cet état ne change rien à la vie intérieure, à l'intense activité d'un esprit, à la nature profonde d'un caractère. Du moins pas en sept mois. Au contraire, il réclame énergie et adaptabilité au plus haut degré. C'est un état où il convient de faire fructifier chaque instant. Un état où l'on se sent éminemment vivant.

Enfin parce que le Web change tout. La femme au foyer n'est plus seule dans son cocon, sans autre contact que les voisines qu'elle visite. Elle est citoyenne du village global, comme chacun, plus que d'autres peut-être, comme tous les travailleurs à domicile. Elle dialogue avec ses amis proches ou lointains, avec des gens du monde entier, elle blogue, elle suit l'actualité… en fin de compte, elle n'est plus au foyer. Ou alors au sens mathématique du terme: elle occupe un foyer au sein de la grande ellipse du monde.