vendredi 24 avril 2009

DES NOUVELLES DU MONDE

Celui de dehors. Celui qui bouge. Celui qui fâche, parfois, qui inquiète, parfois.
Celui qui nous fait, que nous voulions ou non.

Sur le blog de Claude-Marie Vadrot, dont je ne partage pas toujours les opinions, dont je désapprouve parfois (souvent ?) le ton provocateur et les jugements à l'emporte-pièce…

Au jardin des Plantes il est désormais interdit de penser et de parler: histoire d'un cours interdit
C'est l'histoire d'un prof de fac qui doit donner un cours sur la biodiversité et l’origine de la protection des espèces et des espaces en plein blocage des Universités et qui décide de le tenir au Jardin des Plantes, pour toutes sortes de raisons.
C'est l'histoire d'un prof à qui un vigile muni de sa photographie et peut-être embarrassé déclare : "Je suis chargé de vous signifier que l’accès du Jardin des Plantes vous est interdit."
C'est l'histoire de ce qui suit.
Mais ce n'est pas la partie qui importe, n'est-ce pas ? La partie qui importe est celle qui s'est passée avant et qui a conduit à cette décision.

La partie qui importe est toujours avant.
Comment en est-on arrivé là, déjà ?
A quel moment crie-t-on au loup, à quel moment a-t-on cessé de crier ?
A quel moment était-il encore temps ?

Sur le blog d'Eolas, découvert grâce à Lucie, un blog miracle que je ne saurais trop vous recommander, dont j'admire l'acuité, la pertinence, l'esprit, une analyse des récents propos du Président sur les droits comparés des criminels et des victimes et la législation anti-bandes.
Vous avez sûrement entendu ça. J'ai tout de suite pensé à Dolores Umbridge (Ombrage en VF) et à son Décret d'Education n°24.
Mais je ne suis pas juriste.
Eolas, si.
Et cela donne ces deux bijoux de précision, d'érudition et d'humour :

Va-t-on jeter les victimes en prison ?
Le président de la République annonce une spectaculaire indulgence à l'égard des bandes

dimanche 12 avril 2009

RETARD DE VOYAGE

Nous rentrons donc d'Istanbul.
Il a bien fallu le miracle de cette ville pour me décider à actualiser mon carnet de voyage précédent avant de pouvoir commencer celui-ci.

C'était en Bavière, l'hiver dernier, et cela commence ici.

L'EUROPE : UN PORTRAIT CHINOIS

A la demande de Lucie, un portrait chinois sur ce que nous évoque l'Europe.

Deux précautions pour commencer :
- J'aime l'Europe. Profondément. Depuis longtemps c'est par elle que je définis mon identité, en tout premier. C'est la fondation sur laquelle je me construis, la terre où vagabonde mon âme, que je le veuille ou non (et parfois je ne le veux pas, croyez-moi — chaque fois que je visite l'Afrique, en particulier).
- Je suis très, très mauvaise pour ce genre d'exercices. Je cherche toujours le comparant ultime, celui qui rendra compte de toute la complexité du sujet. Bien sûr un tel comparant n'existe pas. J'ai donc été très largement aidée par mon Amour, beaucoup plus doué que moi pour cela.

Si l'Europe était un animal…
Ce serait une vache.
A cause des amours de Zeus, d'Io l'errante, du Bosphore où finit le continent, de la princesse Europe emportée sur un taureau blanc.
Bien sûr, la vache n'est pas un animal noble et élégant. Mais elle est vieille. Elle accompagne l'humanité depuis si longtemps, sa silhouette dessinée sur des murs de cavernes, associée aux anciennes Déesses. La Vache est la Mère, à l'évidence. Elle nourrit les hommes de son lait.

Si l'Europe était une fleur…
Ce serait, à l'évidence, la rose des vents.
Astuce rhétorique ? Mais l'Europe est ainsi, c'est un vieux penseur retors, adepte des figures de style et des subtilités discursives.
Cependant il y a davantage que cette esquive dans la rose des vents. Depuis si longtemps l'Europe cherche le sens, non seulement son sens à elle mais le sens du monde — l'Europe voit grand. Depuis si longtemps elle explore, cartographie, répertorie le monde, lui donne sa forme — la projection de Mercator — et se place au milieu.

Si l'Europe était un tableau…
Ce serait, pourquoi pas, La Bataille d'Alexandre à Issus de Albrecht Altdorfer.

Parce que c'est une image démentielle et magnifique d'une Europe imaginaire, qui ne ressemblera jamais à la réalité : les Alpes autichiennes y rejoignent la Turquie dans un saisissant résumé géographique. Parce que l'horizon, où étonnamment le soleil se couche, est celui que l'Europe n'en finit pas de contempler : le Nil, la Mer Rouge, le Sinai, la Palestine. Parce qu'Alexandre s'y bat contre Darius de Perse, et qu'Alexandre est sans nul doute un symbole européen, celui d'une Grèce conquérante qui se reconnait dans l'Afrique du Nord davantage que dans la Scandinavie. Parce que le tableau et sa commande évoquent d'autres époques, d'autres Empires (saint, romain, germanique), d'autres batailles qui ot contribué à définir l'Europe et ses frontières (le siège de Vienne par les Turcs) — et les regrets qui accompagnent cette délimitation.
Parce que l'Europe est délimitée par son histoire et par ses guerres.
Ses guerres, oui. C'est un tableau où l'on se bat. On s'est tant battu en Europe. Le rêve d'Union est avant tour un rêve de paix.

Si l'Europe était une ville…
Je serais tentée de répondre, comme Lucie : n'importe laquelle. Mais contrairement à elle, je le répondrais avec jubilation. L'Europe est une ville, oui, une Cité au sens fort du terme: bouillonnante, ancienne, vingt fois détruite et reconstruite, politique, commerçante, cosmopolite. Un creuset. Que seules les villes permettent.
N'importe laquelle de nos Cités anciennes et cosmopolites pourrait donc la représenter.
Mais parce que j'en reviens, j'opte pour Istanbul (et aussi par défi pour cette Union Européenne qui la refuse en son sein).
Tentaculaire, portant sur son visage les vestiges et les beautés de ses multiples passés, vieille et moderne en même temps, entretenant son passé et rêvant d'avenir, multi-culturelle, multi-confessionnelle, chrétienne, juive, musulmane, ancienne capitale d'Empire, éternel poste-frontière…

Si l'Europe était un personnage…
J'ai terriblement hésité. Je ne voulais pas d'un conquérant, ni d'un empereur — sans quoi j'aurais pu choisir Constantin, porté à l'Empire par les légions britanniques, reconquérant Rome, élisant Byzance pour capitale, chrétien par opportunisme et lucidité.
Je voulais un penseur — philosophe, poète, qu'importe — l'Europe est une idée, une culture, une tournure d'esprit, avant d'être une réalité administrative et politique.
Il fallait un penseur voyageur, ouvert sur l'Europe, d'une de ces époques où les idées circulaient, bouillonnaient, se souciaient peu des frontières, peut-être un humaniste comme Erasme, ou un Encyclopédiste comme Diderot.
Il fallait un homme (ou une femme, j'aurais tant aimé une femme) qui synthétiserait ces héritages européens, qui porterait l'influence de la pensée gréco-romaine et de la pensée germanique et nordique, un homme comme Goethe, peut-être, il faudrait quelqu'un qui soit à la fois Voltaire et Byron.
En fin de compte nous avons opté pour Umberto Eco. C'est un vieil homme, plusieurs fois âgé, un homme qui porte tous ces héritages et qui le sait, un érudit joueur, un écrivain polymorphe et labyrinthique, capable de rêver l'Europe des grands conflits théologiques du Moyen-Age, des Templiers, des modernes conspirations, l'Europe qui recycle et qui crée, qui parle de sémiologie et d'informatique, l'Europe des explorateurs qui n'en finit pas de se chercher en parcourant les terres qui lui sont étrangères…

Si l'Europe était une chanson…
Bien sûr, ce pourrait être l'Hymne à la Joie. D'ailleurs, c'est l'hymne européen, j'ai rarement été aussi en… accord avec le choix d'un hymne.
Mais c'était un peu facile, n'est-ce pas ?
Alors mon Amour m'a suggéré "Lili Marlene".
Pour ne pas oublier les années 30 et l'empreinte noire qu'elles ont laissée sur l'Europe.
Pour ne pas oublier non plus que malgré tout, comme pendant la Première Guerre, les chansons traversent les frontières et les guerres, sont traduites et chantées dans toutes les langues (y compris en anglais par une Allemande), et s'il le faut, émigrent aux Etats-Unis.


(Le principe voudrait que je "tagge" d'autres personnes en leur demandant de se livrer au même exercice. Comme plusieurs s'y sont déjà livrées… et d'autres n'ont pas de blog… je lirais volontiers les versions de Léonor — une Aixoise cosmopolite —, de Shaya — une Grecque en exil, ou peut-être le contraire ? — et du Gabian — une Helvète émigrée.)

jeudi 2 avril 2009

10 LIVRES… DE PLUS

Terminer par une tricherie.
Je n'aime pas faire d'injustice — aux êtres ni aux livres.

Carson McCullers, Frankie Adams.

Je pourrais citer tous les autres. Carson McCullers fait partie des auteurs dont j'ai tout lu. Plus rare encore : dont j'ai même lu une biographie.
Mais Frankie Adams fut le premier.
Je ne savais rien de la littérature américaine. J'en sais toujours bien peu. Les écoles françaises la négligent. Je ne savais rien du Sud que les clichés : Guerre de Sécession, Autant en emporte le vent, Le Nord et le Sud, et La Nouvelle Orléans aux couleurs des vampires d'Anne Rice.
Et puis j'ai lu Carson McCullers.
Pour un temps, je suis devenue américaine. Pour un temps, j'ai été une adolescente du Sud des Etats-Unis. Et la Terre s'est doucement infléchie sur son axe — oh, juste un peu, imperceptiblement. Les livres ont aussi ce pouvoir-là.
Toutes les adolescentes devraient lire Carson McCullers. Et tous leurs parents, et tous les directeurs de collection ou de magazines qui prétendent comprendre ce public-là. Alors peut-être arrêteraient-ils de les rêver à leur façon, à leurs couleurs. Rien de moins culcul que Carson McCullers.

Jane Austen, Orgueil & Préjugés.
Encore une femme, et encore un auteur lu en entier.
Ils disent que ce sont des livres pour jeunes filles et femmes rêveuses, mariages, incertitudes du coeur, chassé-croisés des sentiments, bals et salons. Peut-être, peut-être.
Mais la finesse. Mais le style. Mais l'humour. Mais l'impitoyable miroir renvoyé aux folies humaines de tous âges et tous sexes, aux petites cruautés, aux petites vanités, aux petites sottises. Mais la profondeur des âmes et la foudre cinglante des mots.
Si infime la matière et si grande l'oeuvre. Je tiens Jane Austen pour la première des romancières modernes (et tant pis pour Mme de Lafayette).

Virginia Woolf, Mrs Dalloway.
Et de trois.
Qui n'aime pas Virgina Woolf? Qui, au moins, peut ne pas être fascinée par elle?
D'elle je prends tout, accepte et conserve tout. Ses rêves, sa fin, ses personnages, ses doutes, ses amis et ses amours, Bloomsbury, ses facéties, ses gravités, ses révoltes, son féminsme ambigu — comme tout en elle est ambigu. Et son écriture. Le grand flux de son écriture. Que nul n'égale, à mes yeux. Pas Joyce, non plus. On me huera, mais… Virgina Woolf réussit ce qu'il échoue, change l'exercice de style en évidence limpide. Toujours sur le fil par un miracle d'équilibre.
Oui, je la garde en moi. J'ai même créé, joué un personnage qui portait son nom et une moitié de son héritage. Juste assez près de la folie pour ouvrir grand les yeux.

Umberto Eco, Le Nom de la Rose.
J'aime Eco. son érudition, son esprit, la grande modestie de ce grand intellectuel qui ne craint pas de parler à la fois de Superman et de sémiologie.
Mais j'aime, surtout, Le Nom de la Rose. Et n'en finis pas de rêver d'abbayes, de livres empoisonnés, du rythme des heures monastiques, de saints qui sont peut-être hérétiques et de meurtriers qui sont peut-être saints, de codes, de plans, de bibliothèques labyrinthiques, et d'un Moyen-Age d'ombre violente et de lumière infinie.

Michel Tournier, Le Roi des Aulnes.
J'étudiais l'allemand depuis de longues années et je n'avais jamais compris encore le goût de l'Allemagne, l'attrait de cette cette culture-là, de ces paysages-là. Je l'avais deviné parfois, dans les burgs rêvés par Hugo, les châteaux rêvés par Ludwig… mais rien de plus.
Alors vint ce livre. J'en garde au coeur une forêt à la Dürer, la silhouette d'un cavalier qui est peut-être la Mort et peut-être le Sauveur. Et une autre leçon (qu'ont complétée Les Damnés de Visconti — était-ce avant? était-ce après?) Une sombre, terrible, essentielle leçon. Regarder en face ce qui a fasciné l'Allemagne et une bonne partie de l'Europe à l'heure la plus sombre. Fasciné, oui, comme un serpent, beau et répugnant et pervers, dont on ne peut détourner le regard. Le regarder en face, et regarder en face les ombres de notre propre coeur qui lui donnent son pouvoir. Accepter cette lucidité insupportable parce qu'elle est notre seule sauvegarde possible.

Guy Gavriel Kay, Tigane.
Il y a des livres qu'on voudrait violemment avoir écrits soi-même. Tigane est de ceux-là. Tout en lui fait écho, et avant tout le thème qui lui donne naissance, le plus absolu des exils, celui d'un royaume dont tout souvenir a été effacé, dont le nom même a été occulté — un pays qui n'a plus d'existence que dans notre âme, un exil que rien ne peut adoucir.
Et tout le reste: la richesse des personnages, le refus de tout manichéisme, le tissage de la narration, l'ampleur du récit. De la fantasy et beaucoup plus que de la fantasy. Un vrai, grand roman. Un de ceux qui vous font croire au roman, justement, et vous donnent envie d'en écrire.
Depuis, j'ai eu la chance de rencontrer (un peu) Guy Gavriel Kay, et c'est une grâce supplémentaire — ce qui n'avait rien d'évident.

Michel Rio, Merlin, Morgane, Arthur.
Mes mots s'épuisent.
Je cite les siens.
Des phrases que j'ai affichées partout, gravées au fronton de mon esprit.
Que je voudrais graver dans le monde.
Il faut essayer de construire avec son esprit et ses mains un rempart contre le froid et la nuit, un édifice dans le vide. Il faut essayer, sans relâche. C’est le devoir absolu de l’être qui a reçu en partage la conscience, l’imagination et la prévision. Si cette tentative engendre sottise ou folie, qu’importe. Et il faut vaincre la peur. C’est une question de dignité.