samedi 1 novembre 2008

SAISONS

Je viens d'une ville au Sud.
Je viens d'un pays où les saisons ne sont que des dates dans un calendrier, où il ne reste d'elles que quelques jalons, quelques platanes qui perdent leurs feuilles, quelques fêtes, quelques changements de tenue.
Alors que les saisons sont rythmes, cycles — couleurs, surtout.

Les saisons sont couleurs, comme sur les images des livres d'enfants, comme sur ce puzzle que j'aimais tant, le même village passant de mois en mois, se métamorphosant, se parant de teintes nouvelles, de codes nouveaux.
Les saisons font le monde métamorphe.
A présent, je le vois.

L'explosion jaune des prés de jonquilles au printemps.
L'explosion d'or et de sang, de flamme et de pelages roux, des forêts de feuillus à l'automne.
Si violentes et si fugaces, des moments à saisir, vous passez une semaine trop tôt, une semaine trop tard, et c'est prdu, vous ne les verrez pas cette fois, repassez dans un an.
Le miracle plus durable de blanc et de cristal, le miracle narnien des sapins alourdis par la neige, éclairés de stalactites, des lacs gelés, des souffles suspendus dans l'air glacé.
A présent, je le vois.
A présent je peux mesurer le temps ainsi — le temps des perce-neiges et celui des jonquilles, le temps des moissons et celui du regain, le temps des premières neiges, la valse hésitante que se livrent l'automne et l'hiver, à savoir qui prendra le pas sur l'autre, que se livrent à nouveau l'hiver et le printemps. Les saisons d'équinoxes n'ont pas la tâche facile. Leurs soeurs n'en finissent pas de leur voler la vedette, de déborder dans leur lit, d'envahir leur territoire, d'été indien en hiver précoce.
Mais elles ont les couleurs. Les plus chaudes, les plus éclatantes. Elles ont la lumière et le charme des beautés éphémères.

Ne croyez pas que les frontières des saisons ne soient que calendaires.
Elles sont aussi géographiques.
L'espace et le temps s'emmêlent, au pays où je vis, et il nous arrive souvent d'aller passer le week-end dans une autre saison.
Il suffit de monter en voiture, de prendre le chemin du Col de la Faucille. De monter.
Petit à petit nous changeons de royaume.
Les arbres sont de moins en moins verts. Les feuilles se teintent de roux, se couvrent de sang séché, les reliefs craquants de l'automne envahissent la route.
Et nous montons.
Les feuilles tombent des arbres. L'air se fait plus froid, commence à voltiger devant nous, en flocons. Bientôt les champs seront blancs et les chalets se réfugieront sous les sapins. Bientôt nous serons en Hiver.
Et le lendemain, nous redescendrons, ferons le chemin à l'envers, passerons à nouveau la frontière des brumes, jusqu'à la plaine où s'achève l'été.

Car il en est ainsi, au pays où je vis,
où se sont réfugiées les saisons.