Qu'est pour vous la mer?
Ils se parlent comme ils ne s’étaient pas parlé depuis longtemps. Et parce que le monde autour d’eux est tout de mer d’étoiles et de roc, leurs mots à eux qui ont hérité tous deux le sang des bardes vont plus loin peut-être que jamais.
Setanta qui n’aime guère tourner ses yeux vers l’océan le regarde quand même cette fois, car le danger que portent les vagues est moins incontrôlable que celui du visage d’Aoifa. Et il parle, avec les accents de la tristesse qui pèse sur lui depuis la veille.
« La terre d’Ulster est dans mon cœur et dans mon sang, et cependant mon âme est comme l’eau des rivières, insaisissable et folle. Inutile.
— Ton âme est comme la mer, répond Aoifa, elle nous appelle et nous fascine, et nous porte les songes de l’avenir. »
Setanta sourit, si amèrement : « La mer fascine parce qu’elle est sans contrôle et sans but. Son charme n’est qu’un pis-aller. Au fond de leur cœur les hommes la craignent. »
Aoifa s’est redressée et comme toujours la brise s’est levée avec elle et joue dans ses cheveux. Et Setanta peut la regarder, à présent, presque sans souffrir. « Le vent n’a pas à craindre la mer, petit oiseau. Elle ne peut rien contre lui. »
Aoifa lui fait face, gravement : « Le vent ne craint pas la mer. Il l’aime et la caresse. Je ne crains pas la mer. Elle chante à mon oreille avec la voix même des dieux. Elle me porte, me soulève au-dessus du monde, me redonne force et joie.
— La mer ne peut que rêver du vent, certaines nuits. Pas davantage. »
Pas davantage. Et ils se taisent, parce qu’ils ont dit vraiment tout ce qu’il était possible de dire, pour l’instant. Et bien sûr Setanta ne la prend pas dans ses bras. Personne n’embrasse le vent.
©"Le chemin de pierres", in L'Esprit des Bardes, Nestiveqnen
Ce n'est, bien sûr, qu'une des réponses possibles. J'aurais pu dire aussi :
J’aime le vent. J’ai vingt ans. Oh, comme j’aime le vent ! J’ai vingt ans et je suis Alba, Alba la Rouge. Et le vent tourbillonne sur moi sans me faire de mal. Je suis Alba. Et c’est à ce moment que l’on crie : tu peux descendre, Dieu, tu peux venir tout de suite sur cette plage, je ne jurerais pas que tu puisses faire taire mon rire. Et toi non plus, Orville. Je suis Alba la Rouge, dans la tempête. Même sans toi.
C’est une plaisanterie. Mais vraiment j’aime tant le vent, et je pourrais — avaler le monde, et Dieu, et Orville tout entière, la cerise sur le gâteau. Avec ce vent et cette mer je crois que que je pourrais les vaincre tous. Même toi, Ludwig d’Orville.
Rappelez-moi tout ça, la nuit, au milieu d’eux, sur les quais du Queen’s Bar. Rappelez-moi le vent, la mer et la pluie, et cette grande force qui me donne mieux que des ailes. Je vais rentrer et vous composer une musique qui s’appellera “The Open Sea”, l’anglais dit plus que nous cette fois, le large qui a oublié qu’il pouvait être l’élargissement, libération des forçats. Alors ce sera the open sea, la mer ouverte sous la tempête.
© "The Open Sea (La Mer Ouverte)", in Le Dit d'Orville.
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