Encore un très vieux souvenir, exhumer un texte vieux de onze ans. C'est une (autre) des retombées positives de ce défi, retrouver de vieux amis (de vieux amants ?)
— J'ai faim.
Il ouvre son manteau, dégage le col de sa chemise, m'attire à lui.
— Bois.
— Ici ? Sur le pont ?
Son sang. Un fluide embrasé qui se répand en moi, veine par veine, trop lentement. Frais et brûlant, infiniment riche, tramé par les siècles, et si pur qu'il pourrait s'évaporer dans ma gorge. Son sang, l’extase toujours renouvelée, les mondes s'étendant devant moi… Son sang incandescent se propageant éblouissant éclatant — irradiant dans mon corps. Plus lentement maintenant, pulsant doucement… Le yacht a levé l'ancre et je vois les lumières de Miami s'éloigner à travers ses cheveux.
— Crois-tu qu'il y ait des requins ? Et puis s'attaqueraient-ils à moi ? Je pourrais plonger du bateau…
Il me dévisage comme si j'étais folle et reporte son regard sur les flots. A travers ses yeux, j'y vois maintenant des abîmes insondables et ténébreux, peuplés de créatures pâles et luisantes, aux flancs écailleux, s'enfonçant sans fin dans les profondeurs, sombrant, sans jamais toucher de fond… Il regarde la mer, le ciel, et je lis la peur dans son esprit.
— Qu'est-ce qui t'effraie ?
Il formule la réponse mentalement, sans desserrer les lèvres. Ou je la lui dérobe:
La mort.
Je le prends dans mes bras: il est froid et raide.
… Immortel infiniment plus sage, infiniment plus fragile que moi — adolescent divin fasciné et terrifié par la mort — immortel au visage radieux dont nous sommes presque tous éperdument épris… L'éclair de lucidité m'abandonne très vite. Je t'aime. Surtout ne va pas mourir.
Armand
(Anne Rice, Chroniques des Vampires)
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4. Aaricia.
Avec Aaricia, cela a failli mal tourner… Un jour, Freya m’est apparue et m’a proposé de me rendre chez les Vikings, en me faisant passer pour un dieu. J’ai trouvé l’idée amusante, bien que risquée et j’ai accepté. Je me suis retrouvé inconscient, sur l’île où vivaient Thorgal et Aaricia. A l’époque, Jolan était encore tout bébé. Aaricia m’a trouvé sur la plage et m’a conduit vers la hutte. Elle m’a offert à boire et à manger et m’a demandé qui j’étais. « Un voyageur, ai-je répondu ! » J’ai fini par lui avouer que c’était la grande déesse Freya qui m’avait envoyé pour veiller sur elle en l’absence de Thorgal. C’est ainsi qu’Aaricia se mit à penser que j’étais moi-même un dieu. Je l’observais en train de donner la tétée à son bébé et la trouvait bien jolie, mais je doutais un peu de parvenir à mes fins tant son amour pour son héros paraissait indéfectible. Cette nuit-là, je m’endormis donc dans un coin de la cabane, tandis qu’elle était dans un autre et je dormis très mal. Cependant, dès le lendemain, la curiosité chez mon hôtesse fut plus forte et elle voulut voir comment était fait un dieu, alors que je me lavais à la cascade. Je me tenais nu devant elle et lui dis de s’approcher. Sans trop la forcer j’obtins ce que je voulais. Mais la déesse Freya apparut aussitôt car Thorgal était en vue de l’île et il fallait que je retourne immédiatement vers mon époque ! Je fis donc mes adieux à Aaricia…
Aaricia (Thorgal)
Une lueur rougeoyante avait envahi la vaste pièce qui habritait un laboratoire où s'étaient menées les expériences les plus étranges, les plus ambitieuses, les plus arrogantes et les plus dangereuses. Il était là, assis devant une étendue de livres et de parchemins, comme souvent; tournant dos à ce soleil mourant, bien plus éblouissant que la lumière de midi. Perdu dans ses pensées, il n'entend pas le bruits des pas qui se dirigent, sans empressement, jusqu'à cette pièce. Pourquoi devrait il s'en inquiéter? Chaque être, chaque chose habitant la tour lui était aquise; il était dans son bastillon, rien n'aurait pû l'atteindre. Pourtant, il lui semblait que cette soirée n'avait rien de comparable avec toutes les précédentes. Peut être la nuit mettait-elle trop de temps à triompher du jour qui se plaisait à s'étirer plus que d'ordinaire.
La porte du laboratoire s'ouvrit doucement dans un sinistre grincement. Le maître des lieux, surpris, leva les yeux de ses grimoires en fronçant les sourcils. Il avait pourtant expressément demandé à n'etre pas dérangé, il avait même scellé la porte à l'aide de sa puissante magie. Jamais Dalamar n'aurait osé aller à l'encontre de ses souhaits, alors qui donc? Sur le pas de la porte se tenait une vieille femme qui souriait doucement, et qui observait sans mot dire le mage qui lui faisait face.
- Toi! s'exclama Raistlin.
Il lui vint plusieurs questions, que faisait-elle là? Comment, elle, pouvait-elle être là? Que pouvait bien justifier une telle visite? Bien entendu, Raistlin la connaissait. Il la connaissait depuis de longues années. Ils s'étaient souvent rencontrés lors de nombreuses aventures, mais plus encore, aussi étrange que cela pouvait paraître, même à lui, elle avait veillé à sa destinée. Elle avait été à ses côtés, elle lui avait confié ses espoirs et ses craintes. Toujours présente sans pourtant avoir réellement pénétré son univers, elle l'avait affronté, elle l'avait aimé. Raistlin, c'était son protégé. Voilà qui est ironique pour celui qui a toujours rejeté l'aide d'amis ou la protection de son frère. Les choses étaient différentes.Il n'y avait qu'eux pour se comprendre, pour saisir les subtilités de la relation qu'elle avait tissé avec lui durant ces années.
- Je viens te chercher Raistlin, il est l'heure de partir; lui dis-je tandis que je n'avais pas bougé de l'entrée.
Raistlin se renfonça dans son fauteuil en poussant un profond soupir.
- Allons viens avec moi, tu es le dernier. Tous les autres sont déjà partis, et je voulais te chercher moi-même. Tu n'imaginais pas que je te laisserais ici, perdu dans un monde destiné à disparaître? Tu sais bien que où que nous allions, vous tous vivrez avec nous. Toujours.
- Le temps est donc passé si vite?
- Mon ami; les rêves, les vrais, ne vieillissent jamais. Pas plus qu'ils ne meurent. Allez, maître du passé et du présent, cette fois il faudra marcher vers le futur.
La Storienne, devant ses yeux, avait perdu les rides que les années lui avaient léguées. Elle était redevenue la jeune fille qu'il avait rencontré, celle qui lui avait d'abord jeté des regards noirs pleins de dédain, puis celle qui s'était attendrie sur lui; enfin, celle qui lui avait sourit et s'était trouvé elle-même une place à ses côtés, une place de compagnon. Elle n'avait jamais été aussi présente et réelle que par cette soirée. Peut être parce que ce soir, le voile qui séparait les mondes s'était définitivement déchiré.
Le mage referma le grimoire dans lequel il était plongé lorsqu'elle était arrivée, et se leva lentement. Il marcha jusqu'à un coin sombre où seul étincelait l'éclat d'un cristal certi dans une griffe de dragon. D'une main ferme, il attrapa le bâton de Magius et balaya une dernière fois le laboratoire du regard.
- Ne t'en fais pas, tu n'as pas besoin d'emporter quoi que ce soit avec toi, le coupai-je dans les doutes qui l'agitaient. Tu peux emmener ton bâton si tu veux, je ne saurais t'imaginer sans lui. Mais là où nous allons, tu retrouveras ta tour telle que tu l'as laissée. Tu ne perdras rien, elle demeurera inchangée, tout comme Krynn. Et tu sais, Elle t'attend là bas ...
La jeune femme s'avança, le soleil couchant arrêté dans sa course faisait des reflets dans sa chevelure sombre et lui donnait tout de l'apparition qu'elle était. Alors, pour la première fois de sa longue existence, elle étreignit Raistlin Majere; et pour la première fois elle put sentir réellement la chaleur de sa robe noire, respirer son parfum si fort de roses et d'épices qui lui semblaient fantomatiques par le passé. Le mage avait rendu l'étreinte, et seul un léger sourire se lisait sur son visage. Cela faisaient longtemps qu'ils n'avaient plus besoin de parler pour se faire comprendre.
Ainsi s'achevait donc l'histoire d'une cohabitation forcée qui s'était muée en complicité véritable? Non, comme elle l'avait dit, cela ne se pouvait. Il sortirent tous deux du laboratoire côte à côte. La nuit tomba enfin sur ce monde pour qu'un nouveau soleil se lève sur un autre où, dans une haute tour, attendaient trois tasses de thé chaud pour les voyageurs qui arriveraient bientôt.
Raistlin Majere
( Lancedragon; M.Weis et T.Hickman )
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