mardi 28 mars 2006

SÉRIE NOIRE

A l'heure où la France s'est levée, a marché, par dizaines et centaines de milliers, par millions, à battre le pavé, battre les tambours, scander des slogans.
J'en reviens. A Marseille, il étaient 28 000 à 250 000 mille à défiler, dans le calme. Vous avez remarqué? La marge s'accroît. A croire, vraiment, que syndicats et policiers ne comptent plus en la même base. Les commentateurs s'étonnent, mais n'est-ce pas, pourtant, éminemment signifiant?
L'écart se creuse. Nous ne parlons plus la même langue. On s'étonne, vraiment?

A l'heure où le gouvernement bouge à peine un cil, comme engourdi, comme si son immobilité compensait la levée des foules. Et elle la compense. Libération continue de s'étonner et qualifie poétiquement la situation de "surréaliste".
Mais non. Je ne m'étonne pas. Je ne trouve pas ça surréaliste. Au contraire: très réaliste et très sincère, comme la révélation d'un fait que nous soupçonnions depuis longtemps: on n'a pas besoin du peuple pour gouverner. Rien n'oblige les gouvernants à nous écouter, rien d'autre que la sanction relative des urnes, en des moments étroits, une parole canalisée en langage codé, limitant les dégâts. Le reste du temps, seule la politesse les oblige à nous écouter. Et ils n'ont pas à être polis, après tout.

En cette heure-là, je répugne à parler de ma petite série noire personnelle, sans crime, sans grands enjeux, sans même vraies ténèbres. Un simple enchaînement de contrariétés, auquel l'écrit, la publication, donneraient trop d'ampleur.
Non, vraiment, parler d'abcès dentaires, d'allergies aux antibiotiques, d'accidents de voiture ou de complications informatiques? Parler, même, de Narcisse?
Voilà qui serait indigne, car cette série n'a de noir que les blessures d'amour-propre qu'elle m'a infligées.
Redresser la tête, me rappeler à l'humilité ou du moins à l'auto-dérision, et défendre jusqu'au bout le terreau de mes valeurs.
Car rien de tout cela, hélas, n'est surréaliste.
Tout de cela, contrariétés privées et inquiétude publique, nous enchaîne au réel, nous englue, nous coupe les ailes.

Redresser la tête et sourire et me dire qu'heureusement vous êtes là, qu'heureusement Stéphane chante, qu'heureusement mes troisièmes m'ensoleillent le coeur. Et ne pas trébucher sur la série de gravats qui noircit notre sol.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Et quoi de plus surréaliste que ces gens qui pensent qu'une fois le gouvernement élu, il faut attendre les urnes pour qu'il nous écoute?

Et quoi de plus surréaliste qu'un magistrat qui dira à un ado inculpé que s'il n'aime pas les lois, il n'a qu'à voter dans deux ans pour faire changer celles-ci?

Sûrement ce Raymond Weil surréaliste qui lui répond que le gouvernement est élu pour nous servir et pas l'inverse...

Et surréaliste aussi son soutien à notre lutte lors d'une AG à Tolbiac...

Anonyme a dit…

... Un peu de rêve bien mérité ma Breda, au milieu de toutes ces infortunes. Tibi

Anonyme a dit…

J'admire votre humour et votre philosophie !!!Je n'en suis pas capable !!

Anonyme a dit…

Face à la folie qui secoue notre monde, j'hésite entre le rempliement autarcique sur moi-même, et l'impulsion de descendre à mon tour dans la rue. Et puis je suis enchaînée, car la maternité et ses responsabilités interdit de prendre certains risques. Que deviendraient mes filles, si j'allais devenir la prochaine bavure imbécile ? Je n'ai d'autre arme que mes mots, ma signature au bas de pétitions. Mais la rue, moi qui ai des difficultés à me déplacer au quotidien, je ne peux pas, je ne peux plus, ou peut-être n'ai-je jamais pu.
Je ne comprends pas ce qui se passe aujourd'hui. J'ai des amis qui me sont chers des deux côtés de la barricade. Le double son de cloches m'assourdit, embrouille mes pensées. Je ne sais pas déterminer qui a tort, qui a raison. Et je me sens coupable de cette incapacité à trancher.

Anonyme a dit…

coquille : c'est repliement que je voulais écrire, et non rempliement.

Alba a dit…

Ma breda, ne te sens pas coupable. Moi qui ai toujours nuancé jusqu'au reniement, je ne saurais te blâmer de douter. Le doute est ce qui nous garde du fanatisme et de la bêtise : n'abandonne pas ce garde-fou.
J'ai cette fois la chance d'avoir tous mes amis du même côté des barricades.
Mais à mes yeux la crise va bien au-delà du CPE (même si je ne rêve pas d'issue heureuse).

Jean... vous me flattez, encore. Car je crains que ce soit l'orgueil plutôt que l'humour qui me donne cette philosophie. Soyez remercié, toujours, pour les images que vous offrez au monde sans attendre de retour.

Anonyme a dit…

Bon, je crois que j'ai enfin réussi à définir ce que je ressens par rapport à ce CPE.

Déjà, au début, je me demandais pourquoi il déclenchait tant de réactions, ce qui n'avait pas été le cas du CNE, alors que pour moi les 2 sont kif kif bourricot.

Après réflexion : bah c'est normal, le CNE a été mis en place par la gauche, et comme les syndicats sont majoritairement de gauche, ils descendent plus volontier dans la rue quand c'est la droite qui essaie de passer une réforme (c'est une ancienne syndiquée Force Ouvrière qui vous parle).

Pour moi le CPE n'est pas pire que ce qui existe déjà, ni mieux. Et c'est finalement ça que je lui reproche. Car la précarité de l'emploi, les jeunes la connaissent depuis trop longtemps. Et il n'y a pas qu'eux : l'emploi est de plus en plus précaire. Or on est en pleine crise du logement : les loyers grimpent en flêche un peu partout, la construction de logements sociaux est très insuffisante face aux besoins d'une population en pleine paupérisation. Les promoteurs préfèrent construire des bureaux ou des immeubles pour touristes (sur la Côte d'Azur, quand vous êtes une famille, il est impossible de trouver un appartement correct à un prix décent au-dessus du F2, les F3 et plus ont tous des chambres ridicules sous prétexte que les touristes, quand ils viennent, passent leur temps dehors à la plage ou prennent l'apéro avec les potes dans l'immense séjour. On a des apparts beaucoup plus rationnels dans le nord de la France, je parle d'expérience !)

Bref, quand on a un emploi précaire, se loger relève de l'exploit, car ni les agences immobilières, ni les particuliers n'ont envie de vous louer leur bien (puisque c'est compliqué d'expulser un mauvais payeur, on exige des garanties de milliardaire de tout prétendant à la location).

Or quand on est jeune, on a envie de cesser d'habiter chez papa-maman, de s'installer avec sa ou son chéri(e), de commencer à prendre son indépendance. Surtout quand on a passé 20 ans.

Je pense que les jeunes attendaient une réforme qui rendrait ce rêve possible. Au lieu de ça, on leur propose un truc de la même eau que ce qui existait déjà. Dans le genre "causez toujours, on n'en a strictement rien à foutre de vos besoins et revendications", difficile de faire mieux.

Les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas nés pendant les 30 glorieuses. La crise, ils n'ont connu que ça. L'angoisse, il la vivent depuis leur naissance. Ils font des études en sachant pertinamment que ça ne va pas leur garantir d'emploi. Même pour trouver un petit job de bureau, faut du piston, maintenant.

Alors le CPE n'est pas une mauvaise chose en soi, c'est juste le même médicament sans effet, auquel on a changé le nom et l'emballage. Faudrait de vraies mesures anxiolitiques. Du sérieux, du concret, pour que les coeurs puissent recouvrer l'espoir.

Tout reste à faire.

Anonyme a dit…

On vient de me signaler que le CNE n'a pas été mis en place par la gauche, et que c'est récent. Bon alors je ne sais pas avec quel autre contrat du même type plus ancien je confonds, mais l'idée est là