dimanche 16 août 2009

UN JEDI APPREND ET SE SOUVIENT (3)

Post entre deux départs, spécialement pour Maiwenn…

3. N’aie jamais peur d’être triste


« Elle est trop jeune ! De nombreux padawans plus âgés attendent un maître.
— Jamais nous n’avons attribué les apprentis en fonction de leur âge.
— Vous ne pouvez nier, cependant, que les padawans qui attendent trop longtemps en éprouvent de la frustration et en gardent longtemps un manque d’assurance.
— Ceux-là qui ne sont pas capables de faire face à cette attente ne sont pas dignes de devenir des Jedis. »
Les Maîtres se taisent. Une minute de silence est nécessaire pour faire disparaître la tension naissante : une tension qui ne devrait jamais troubler le Conseil, et qui surgit de plus en plus souvent. Les plus perceptifs des membres du Conseil s’en inquiètent.
« Si ses maîtres jugent qu’elle est prête, le Conseil n’a pas à remettre en cause leur décision.
— Prête, elle est, affirme Maître Yaddle. Lucide. Réfléchie. Plus que beaucoup de padawans. »
Maître Adi Gallia intervient : elle attendait l’instant propice depuis le début de la discussion : « Stass Allie aimerait l’avoir comme apprentie. Elle estime qu’Oroshi ferait une excellente guérisseuse.
— Sa voie, cela n’est pas. Un autre chemin a été choisi pour elle.
— Il est encore temps de changer. N’est-ce pas au Conseil de décider de sa voie ? Nous manquons de bons guérisseurs, et il est rare de trouver à la fois force et empathie chez un enfant.
— Je regrette, Adi, intervient Maître Windu. Le Conseil a besoin d’elle à un autre rôle. Vous le savez. Nous ne pouvons pas laisser passer une telle chance : combien de temps attendrions-nous avant d’avoir un autre Qel’Sayan en formation?»
Cette fois, personne ne proteste. Le Conseil sait trop combien il a été difficile de trouver des jeunes Jedis convenant à ce plan. Une Qel’Sayan est une chance inouïe. La voie d’Oroshi est fixée depuis son arrivée au Temple.
« Maître Rancisis est un bon choix. Il enseignera à Oroshi ce qui lui manque, une discipline de combat. De plus…
— De plus, son éloignement nous sert. On ne verra plus Oroshi à Coruscant avant la fin de sa formation.
— Qu’il en soit ainsi.
— Faites venir le padawan Oroshi Qel’Sayan. »

Aoy s’est assise sur les marches et elle attend que se rouvrent les portes de la salle du Conseil. Elle attend qu’Oroshi ressorte, essayant dans l’intervalle de calmer le flot de ses pensées. Elle ne doit pas souhaiter ce qu’elle souhaite, elle sait que c’est une erreur, elle souffre même de le souhaiter : qu’Oroshi ne parte pas, qu’elle ne parte pas déjà… Non. C’est un grand honneur, que son amie mérite, comment souhaiter autre chose ? Aoy appelle la Force pour apaiser son esprit, pour le vider de toute peur. La peur est une des pires émotions pour un Jedi, Aoy le sait, elle peut mener au Côté Obscur. La peur est son point faible.
Lentement, le réconfort monte en elle, avec la Force. Simplement parce qu’elle peut le faire, qu’elle sait qu’elle le peut. Mais n’est-ce pas Oroshi qui lui a donné cette confiance, n’est-ce pas Oroshi qui l’a aidée, toujours ?
La petite Twi’lek ne tremble plus, mais elle a froid. Elle se sent vide. Elle sent de la tristesse et non plus de la peur. N’aie pas peur d’être triste, lui a dit Oroshi souvent. Il y a aussi une Force dans la tristesse.
Un apprenti de quinze ans monte les marches, avec la foulée souple du Jedi et du messager. Il ne ralentit pas en passant près d’Aoy, il ne l’a pas vue. La frêle Twi’lek ne s’en offense pas : elle sait bien que c’est elle qui désire passer inaperçue, qui l’a toujours désiré. Puis Aoy la voit, au sommet des marches : une fine silhouette couronnée d’argent, très droite, avec l’espèce de noblesse dont elle n’a jamais eu conscience et qui lui a causé tant d’ennuis. L’adolescent s’est arrêté près d’elle, surpris:
« Oroshi. Que te voulait le Conseil ? »
Aoy perçoit l’hésitation de son amie, puis elle entend sa voix claire :
« Le Conseil m’envoie en apprentissage auprès de Maître Rancisis. »
Le cœur d’Aoy se serre. En haut des marches, elle entend le garçon féliciter affectueusement son amie. Oroshi a toujours eu de bons rapports avec les grands.
Puis elle entend le pas léger de son amie, descendant vers elle ; Aoy compte les marches, comme si cela pouvait ralentir le trajet.
Puis plus rien.
Et quand elle lève la tête vers Oroshi, le contrôle patiemment retrouvé s’évanouit. Elle contemple le visage qu’elle connaît le mieux au monde, le petit menton, les calmes yeux bleus, les mèches presque blanches qui retombent autour des pommettes hautes, et elle s’écrie :
« Comment vais-je faire sans toi ? Je ne pourrai pas ! »
Alors son amie la prend dans ses bras, et Aoy sent, une fois encore, la force et la confiance qu’elle lui prodigue.
Quand elle regarde décoller le vaisseau, elle est calme. Elle entend la voix d’Oroshi. Bien sûr que tu y arriveras, Aoy. Tu y arriveras toujours. Tu es la meilleure d’entre nous, la plus courageuse. Tu n’as pas du tout besoin de moi. Et puis je ne te quitte pas vraiment : la Force nous lie, Aoy, elle nous liera toujours, je te sentirai toujours et toi aussi tu me sentiras.
Le vaisseau s’élève au-dessus de Coruscant : les yeux de la petite Twi’lek ne le perdent pas au milieu de l’intense trafic aérien. Elle ne peut pas le perdre, puisqu’il porte à son bord la Force d’Oroshi, bleu et argent, qu’elle ne confondra jamais avec aucune autre.
« Que la Force soit avec toi. » murmure Aoy.
Très haut, hors de l’atmosphère de la planète, le vaisseau d’Oroshi passe dans l’hyperespace. Elle ne peut plus le voir.
N’aie jamais peur d’être triste.
Elle laisse couler ses larmes. Elle apprivoise leur goût, leur contact, leur trajet sur sa peau. Alors seulement elle rentre dans le Temple.

Un Jedi apprend et se souvient. Je me souviens bien de mon départ de Coruscant et des jours qui l’ont précédé. Je me souviens surtout de combien j’étais ignorante, alors. J’espère avoir appris, depuis. J’ai certainement appris, mais j’espère avoir progressé.
Je n’avais pas onze ans.
Je me souviens de la petite silhouette d’Aoy en bas, et de la souffrance que suscitait en moi son désarroi. Je me souviens d’avoir parlé, parlé, pour que sa souffrance reflue enfin, pour qu’elle soit forte, comme je sais qu’elle peut l’être. Personne, depuis, n’a remplacé ma petite Aoy.
Je me souviens que Lévon voulait à tout prix m’organiser une fête, et que je me suis acharnée à refuser. Lévon avait quinze ans et ne comprenait pas :
C’est absurde, Oroshi, j’ai eu ma fête lors de mon départ avec un Maître, et Siri l’a eue, et… Et ses amis l’approuvaient. J’ai pensé quelquefois que si je m’entendais bien avec les apprentis plus âgés, c’est parce qu’ils ne comprenaient pas du tout les problèmes que je rencontrais. Je me demande maintenant si je ne surestimais pas moi-même l’ampleur de ces problèmes. Je ne voulais pas de fête parce que je pensais qu’elle n’aurait fait que souligner une différence nouvelle, qu’on me reprocherait comme on m’avait reproché toutes les précédentes. Je ne voulais pas de fête parce que je savais que les grands trouveraient naturel d’inviter tous les padawans de ma classe, et que les choses se passeraient mal. Et je n’en sortais pas : en refusant cette fête, je paraissais faire preuve d’une humilité affectée, excessive, qu’on me reprocherait aussi.
Maintenant, je comprends, bien sûr. Mais à l’époque, ce fut l’une de mes seules sources de colère. Cette émotion m’est largement étrangère : quelquefois pourtant, quand j’avais neuf ou dix ans, j’ai éprouvé de la colère envers mes Maîtres. Ils ne me facilitaient pas la tâche : contrairement aux autres padawans, on me permettait — on m’encourageait, même — à échanger des messages avec ma famille ; on m’a donné un congé forcé pour aller assister aux funérailles de mon grand-père. Je désirais y aller, et pourtant ce privilège me répugnait.
Cela fait partie de l’accord passé avec les Qel’Sayan, se bornait-on à me répéter, et mes camarades de les singer : oh oui, les célèbres Qel’Sayan, que ne ferait-on pas pour leur complaire ? On leur accorderait n’importe quoi pour qu’ils nous laissent leur précieuse petite Oroshi ! Parfois je m’emportais : nos Maîtres n’étaient-ils pas censés être les meilleurs pédagogues de la galaxie ? Ne voyaient-ils pas à quel point ces privilèges nuisaient à leur enseignement, tant pour mes camarades que pour moi ? Enfin l’apothéose : cette décision de me confier à un Maître, plus de deux ans avant les autres.
C’était mon erreur : les Maîtres ne se préoccupaient pas de cela. Si de telles broutilles pouvaient nous empêcher de réussir notre apprentissage, alors ils préféraient le savoir très tôt, avant que nous ayons atteint l’âge adulte. Et chacune de leurs décisions était très précisément motivée, chacun de leurs arbitraires apparents était tourné vers le but qu’ils s’étaient fixé. Ce n’était pas du tout la Maison Qel’Sayan qui imposait sa loi au Conseil Jedi, mais bien les Jedis qui se préparaient à utiliser la Maison Qel’Sayan.
Maintenant je le vois, et mes colères d’enfant me semblent dérisoires. On louait ma distance critique, ma lucidité. Je n’avais ni l’un ni l’autre. Mais j’apprends et je me souviens.

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