lundi 7 octobre 2019

#Inktober 5 : Build

Cette fois, non seulement je suis en retard, mais je triche. Il s'agit ici de l'extrait d'un texte écrit il y a longtemps, dans le cadre d'une campagne de Vampire : la Mascarade, où mon personnage était… une vampire, certes, mais aussi une architecte.
Une architecte, habituellement, peut être sûre que ses œuvres lui survivront. Quel étrange cas que celui d'une architecte vieille de plusieurs siècles, qui a vu dépérir ou brûler plusieurs de ses édifices…


Ce fut, autrefois, la plus belle cité à l’ouest de la Mer.
Ce l’est toujours, d’une amère et ténébreuse façon.
Les parcs, la pierre blanche des monuments, la symétrie des perspectives et la façon dont elles dessinent l’horizon, tout cela demeure. Et pas seulement dans mon esprit, pas seulement parce qu’ici je perçois le temps aussi bien que l’espace, pas seulement parce que mes yeux plongent aux racines, remontent aux fondations, effeuillent les sédiments de la ville. Sur cette place, un arbre a été coupé, il y a vingt ans, et sous cette peinture furent autrefois tracés des symboles hermétiques ; un sénateur est mort ici, et ce mur porte l’empreinte des balles, et sous cette arche une nuit j’ai…  Non, la beauté demeure aussi, réellement. Nulle trace de sang ne souille la façade de la Library of Congress, personne n’a abattu la flèche du Washington Monument. Tout cela demeure. Mais ils se trompent, ceux qui croient qu’un architecte ne perçoit que les pierres. Ils oublient que l’espace d’une ville s’articule aux hommes.
Washington est encore belle et c’est pire. Elle sonne creux. Un sang noir coule dans les veines intactes de ses avenues. Un air lourd pèse sur ses édifices, et sur nos têtes. La pluie qui lave les ecchymoses de ses façades ne suffit pas à laver cette odeur de mensonge, et de meurtre, et de peur. Washington est encore belle comme si un embaumeur doué l’avait préparée à ma venue, redonnant à ses joues le rose de la vie en espérant masquer le silence de son cœur.
Ce n’est pas vrai. Son cœur bat. Je l’entends à chacun de mes pas. Les hommes ont peur mais ils sont là. Simplement ils sont moins nombreux dans les rues après le couvre-feu, et se jettent des regards méfiants, et trop d’armes déforment les poches de leurs vêtements. Washington est malade mais pas au-delà de toute guérison. Bien sûr. Sinon j’aurais fait demi-tour, et laissé le sang se mêler à la pluie de mes joues, et tout aurait été fini. Mais je suis là où je peux lire ces signes et compter ces cicatrices et respirer cette odeur. Washington est une lettre ouverte à mon intention. Un piège, et je suis la souris qui s’y précipite sciemment.

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