3. BAIT
Je suis spéciale. Bon, j’ai toujours été spéciale, c’est
pour ça qu’on se moquait de moi, qu’on me tirait les cheveux, qu’on riait
quand je passais. C’est pour ça que je n’avais pas d’amis. Je les regardais
avec des yeux comme des mares et je ne savais pas ce qu’il fallait leur dire,
et je disais ce qu’il ne fallait pas. Alors ils riaient. Les plus gentils
haussaient juste les épaules.
Mais maintenant je suis spéciale autrement, parce que je
connais mon pouvoir. Je brille dans la nuit. Je brille même dans le jour, en
fait, je brille si fort qu’on peut le sentir à des kilomètres. Seulement, ce ne
sont pas les humains qui le sentent.
Je regrette de ne pas l’avoir su plus tôt. Si je l’avais su,
quand j’étais petite, j’aurais passé tout mon temps dans les forêts. Je me
serais peut-être enfuie avec elles.
Je brille, elles le sentent, et elles traversent la forêt
jusqu’à moi, et elles viennent poser leur tête sur mes genoux, et me laissent
caresser leur fourrure miroitante. Ça en valait la peine — d’attendre tout ce
temps, de verser toutes ces larmes — pour sentir leur douceur sous ma main et
plonger dans leurs yeux comme des océans. J’aimerais tellement qu’elles
parlent. Si je me concentre très fort, j’entends quelque chose comme une
musique, triste et mélancolique, qui parle de la magie d’autrefois. Puis elle
s’endort, et finalement je m’endors aussi, je ne peux pas résister. Je n’aime
pas m’endormir. Je fais de mauvais rêves, avec des garçons qui crient et qui
frappent et qui se moquent de moi. Quand je me réveillerai, je sais qu’elle ne
sera plus là.
Alors je lutte. Je cligne des yeux. Je récite dans ma tête
les horreurs qui n’endorment pas. Elle ne dort pas non plus, elle pousse contre
moi sa corne dure chaque fois que je m’assoupis. Elle sait.
Enfin je les vois — les hommes silencieux, avec leurs épieux
et leurs sourires moqueurs et leurs murmures.
Et ils lèvent leurs armes tout doucement.
Je relâche l’étreinte de mes bras et je dis à la licorne :
Tue.
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