mercredi 9 octobre 2019

#Inktober 7 : Enchanted


7. ENCHANTED
Je n’ai pas pu l’en empêcher.
Je sais que ce n’est pas la première fois, elle pourrait lancer le sortilège les yeux fermés, maintenant — d’ailleurs c’est ce qu’elle fait.
Elle me dit de ne pas m’inquiéter. « Je l’ai déjà fait, tu sais. » Je sais. « Et je me suis toujours réveillée. » On l’a toujours réveillée, c’est bien le problème. Une partie du problème, en tout cas.
Mais cette fois, je ne la laisserai pas faire. Après tout, moi aussi je connais le sortilège, les moyens d’entrer dans le cercle, les moyens de le briser. Je peux bien être le on qui la réveillera.
Elle me connaît trop bien. Elle fronce les sourcils et me dit : « Je t’interdis de venir me chercher. Ce n’est pas comme ça que ça doit marcher. Et puis, tu es ma naïade, tu ne peux pas être aussi mon Prince. » Elle rit, et je pourrais la haïr. Presque.
Elle dispose les chandelles, trace le cercle, s’étend sur le lit de pierre et de soie, prononce les paroles de l’enchantement. Il est encore temps, de lui dire ce que je pense vraiment, ce qui compte vraiment : Comment peux-tu te coucher et attendre un Prince, à notre époque ? Comment peux-tu croire qu’un Prince te sauvera ? Et si tu te sauvais toi-même, pour une fois ? Et si tu te battais, si tu ne t’enfuyais pas dans le sommeil chaque fois que tu en as marre, chaque fois que les choses vont mal ?
Mais je ne sais plus. Peut-être que parfois on ne peut pas se battre. Peut-être que parfois c’est trop, et on peut juste se coucher, fermer les yeux, et attendre que les horreurs glissent de nous avec les jours, avec les années.
Ses paupières battent, retombent. L’air prend cette fraicheur particulière, cette odeur de cristal et de poussière. Bientôt les ronces pousseront. Il est temps que je parte, et la laisse dormir, pour le prochain siècle.

(J'ai toujours été intéressée par la Belle au Bois Dormant. J'en ai donné une version différente, plus complète — plus complexe — dans « Une histoire de désir » in Contes de villes et de fusées, anthologie dirigée par Lucie Chenu, septembre 2010, qui n'est malheureusement plus disponible.)
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