Il y a, d'abord, un discours que je n'ai pas prononcé, et dont j'ai émietté des fragments dans les jours qui ont suivi.
Je n'écris jamais mes discours. Je les compose dans ma tête, bribe à bribe, à haute pensée, en voix intérieure, jusqu'à les savoir par coeur.
C'était un discours d'au-revoir à ces quatre années au collège de S***, rhétorique et sincère.
Parce qu'évidemment je ne pouvais pas prétendre regretter ce départ, étant données les circonstances. Personne ne m'aurait crue: je pars rejoindre mon amour.
Je ne pouvais pas prétendre non plus que tout avait bien commencé. Je me souviens nettement de ma première réaction, en découvrant ma nomination au collège de S***. J'ai cherché une carte.
Je me souviens aussi de cette première et significative anecdote, lors de mon premier mois d'enseignement là-bas. Je me souviens de la phrase improvisée pour répondre à une question de grammaire, du silence et du regard hésitant de ma classe de troisième, finalement du doigt levé: "Madame... Si on remplace à Paris par à M*** (1), ça marche aussi ?"
Aïe, me suis-je dit, ce n'est pas gagné. Ça ne l'est toujours pas. Ça n'est jamais gagné et c'est tant mieux, c'est la sauvegarde et l'exigence du métier d'enseignant.
L'acclimatation fut donc difficile, et la fin est heureuse.
Mais c'était mon premier poste. Et un premier poste, cela laisse des traces.
Parce qu'on y fait ses premières erreurs, parce qu'on y a ses premières satisfactions, et que pendant longtemps on continuera d'y associer ces souvenirs.
Parce qu'on y prend ses premières habitudes, sans même s'en rendre compte.
Et c'est une chose que je commence à peine à deviner: certaines des habitudes que j'ai prises là-bas, certaines des choses que j'ai appris à considérer comme naturelles — ne le sont pas. Je ne les retrouverai pas forcément ailleurs. Je m'en étonnerai. Je les chercherai confusément.
Parce qu'un premier poste laisse des traces.
Comme ces livres, ces vrais livres, ces grands livres, ceux qui laissent en nous leur empreinte, même si on les referme avec le sourire.
Je n'ai pas prononcé ce discours à tous, je me suis donc efforcée de laisser des mots à chacun. Avec des choix forcément partiaux, forcément circonstanciels, forcément injustes et frustrants.
Mais j'aime partir ainsi, sans laisser de mots non-dits, d'aveux non faits.
Leur dire donc, vous dire, les traces que vous laissez en moi.
Mais ces derniers jours vous m'avez donné tellement plus.
Et le cri du coeur est le même que l'an dernier, lors de mes adieux à une classe très aimée.
Merci. Pour ces mots de vous. Pour ces compliments mal mérités, jamais mérités, bouleversants. Pour m'avoir serrée dans vos bras. Pour ceux qui souriaient. Pour ceux qui n'arrivaient pas à sourire ni à mettre de côté leur regret de mon départ. Pour ceux à qui j'ai dit au-revoir plusieurs fois et pour ceux qui n'étaient pas là quand je suis partie.
Merci.
Et: je vous aime. C'est le cri qui me montait au coeur quand je suis montée dans ma voiture et que j'ai passé les grilles une dernière fois. Je vous aime. On a beau faire, il reste toujours des mots non-dits.
Merci aussi pour cette grâce immense et que je n'avais pas prévue, ces anciens élèves très-aimés qui sont venus, le dernier jour, et auprès de qui j'ai passé ma dernière demi-journée au collège. Merci d'avoir changé et pas changé, de m'avoir fait rire. D'avoir été là. De m'avoir bouleversée en me disant au-revoir depuis le haut-parleur de la salle des profs. D'entendre votre voix résonner ainsi dans la cour (c'était la voix de L***, mais votre voix à tous) pour me dire au-revoir... c'était une vraie magie, savez-vous?
Ces livres-là, même si on les referme avec le sourire, on est toujours tenté de les ouvrir à nouveau.
(1) M*** : village proche de S***, où nombre d'élèves résidaient.
jeudi 12 juillet 2007
mercredi 20 juin 2007
CHANGEMENTS DE CAP
C'était il y a un an et demi :
Liste d'Eté
Et maintenant, voilà que...
Je suis allée en Ecosse, et ce fut un voyage magique, hors du Réel, avec deux amis chers.
J'ai écrit une nouvelle. C'est trop peu.
J'ai fait l'amour avec... l'homme que j'aime. C'est tout ce qui compte.
J'ai pris le train, beaucoup, et lu, beaucoup, les deux étant liés.
Je m'apprête à déménager.
Je me prépare à un nouveau poste.
Les voiles entre les mondes se sont entrouverts maintes fois pour moi, pour Nous, chaque week-end.
Je me suis réconciliée, même si je suis si loin, trop loin, de vous tous, et j'en porte seule la responsabilité.
J'organise une semaine jeux de rôles pour juillet.
Quelquefois la vie avance par embardées.
Une mer étale pendant quelques années, le vent ralenti et les voiles qui peinent à se gonfler, puis tout change d'un coup, le navire s'emballe et nous entraîne.
Et c'est merveilleux.
Liste d'Eté
Et maintenant, voilà que...
Je suis allée en Ecosse, et ce fut un voyage magique, hors du Réel, avec deux amis chers.
J'ai écrit une nouvelle. C'est trop peu.
J'ai fait l'amour avec... l'homme que j'aime. C'est tout ce qui compte.
J'ai pris le train, beaucoup, et lu, beaucoup, les deux étant liés.
Je m'apprête à déménager.
Je me prépare à un nouveau poste.
Les voiles entre les mondes se sont entrouverts maintes fois pour moi, pour Nous, chaque week-end.
Je me suis réconciliée, même si je suis si loin, trop loin, de vous tous, et j'en porte seule la responsabilité.
J'organise une semaine jeux de rôles pour juillet.
Quelquefois la vie avance par embardées.
Une mer étale pendant quelques années, le vent ralenti et les voiles qui peinent à se gonfler, puis tout change d'un coup, le navire s'emballe et nous entraîne.
Et c'est merveilleux.
mercredi 30 mai 2007
NOT IN OUR STARS...
Quelquefois, trop de temps passe d'un coup.
Quelquefois, les temps se superposent et se décalent, et on ne sait plus dans lequel on vit.
Quelquefois, le monde va plus vite que notre pensée du monde.
Depuis la dernière note, il y a eu un voyage de contes de fées, une élection présidentielle, et une signature pour une nouvelle demeure, pour un Chez-Nous.
Trop de choses. Trop tard pour les écrire.
Ou peut-être trop tôt.
Je me suis interrogée très vite: que convenait-il d'écrire sur mon blog, au soir de l'élection? A qui devais-je m'adresser, parmi tous ceux qui croient, dont je comprends qu'ils croient? A qui en moi devais-je laisser la plume, quels garde-fous devais-je m'imposer, pour ne pas basculer dans la mauvaise foi, ni dans les revendications partisanes?
De toutes les phrases que j'ai entendues depuis, phrases de journalistes, d'hommes et de femmes politiques, phrases d'amis, une seule a sonné juste qui n'était rien de tout cela.
Une seule a éveillé un véritable écho, mis en branle un sentiment profond.
La phrase d'un homme d'état rêvé par un Barde et cité par un journaliste engagé, d'un autre temps.
"The fault, dear Brutus, is not in our stars,
But in ourselves, that we are underlings."
Julius Caesar (I, ii, 140-141)
Not in our stars, but in our selves.
C'est, à cette heure, la seule leçon qui compte.
Quelquefois, les temps se superposent et se décalent, et on ne sait plus dans lequel on vit.
Quelquefois, le monde va plus vite que notre pensée du monde.
Depuis la dernière note, il y a eu un voyage de contes de fées, une élection présidentielle, et une signature pour une nouvelle demeure, pour un Chez-Nous.
Trop de choses. Trop tard pour les écrire.
Ou peut-être trop tôt.
Je me suis interrogée très vite: que convenait-il d'écrire sur mon blog, au soir de l'élection? A qui devais-je m'adresser, parmi tous ceux qui croient, dont je comprends qu'ils croient? A qui en moi devais-je laisser la plume, quels garde-fous devais-je m'imposer, pour ne pas basculer dans la mauvaise foi, ni dans les revendications partisanes?
De toutes les phrases que j'ai entendues depuis, phrases de journalistes, d'hommes et de femmes politiques, phrases d'amis, une seule a sonné juste qui n'était rien de tout cela.
Une seule a éveillé un véritable écho, mis en branle un sentiment profond.
La phrase d'un homme d'état rêvé par un Barde et cité par un journaliste engagé, d'un autre temps.
"The fault, dear Brutus, is not in our stars,
But in ourselves, that we are underlings."
Julius Caesar (I, ii, 140-141)
Not in our stars, but in our selves.
C'est, à cette heure, la seule leçon qui compte.
jeudi 12 avril 2007
"ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX SI ON N'A QUE 500 MOTS POUR S'EXPRIMER"
(a dit Denise Bombardier sur France Inter)
Il est des phrases qu'on répète et qui sonnent, des phrases chansons et litanies, des blasons que la scansion illumine.
Ou bien des phrases qu'on répète comme des professions de foi: j'y crois, je veux y croire, je dois y croire pour continuer d'exercer mon métier. On ne peut pas être heureux si on est à court de mots.
Alors je me demande: quels sont les mots dont j'ai besoin pour être heureuse? Lesquels sont des mots rares, des mots hors des 500 qui sont la base infime et sans cesse réduite du vocabulaire quotidien?
Et je me demande: quels sont les vôtres ?
AMOUR bien sûr est dans les premiers. ÂME est aussi au nombre des élus.
Serais-je heureuse sans le mot SAVEUR, sans le mot SOYEUX, sans le mot MIRACLE? Serais-je heureuse sans les mots RÉSISTANCE et COMPASSION, HARMONIE et CONSCIENCE, sans les mots LUCIDE et REMORDS, sans le mot ELFE, sans le mot TÉNÈBRES? Existeraient-ils sans le mot qui les dit ou les oublierions-nous peu à peu?
Serais-je heureuse, et moi-même, et entière, sans le mot ONIRIQUE, le mot CONSTELLATION, le mot PANACHE?
Pourrais-je vivre sans le mot FRONTIÈRE, et saurais-je où aller?
Et les mots de français suffisent-ils, même?
Aurais-je su quel rôle vous joueriez sans le mot BREDA, sans le mot MASHIARU?
Saurais-tu le chemin que tu suis, breda, sans le mot ARGEMMIOS?
Saurais-je ce qui compte sans les noms de DREAM et de ses frères et soeurs?
Saurais-je qui je suis sans le Vrai Nom que Tu m'as découvert, à l'Extrême-Orient de ce monde?
Combien de mots faut-il pour être heureux, pour être plein, pour être soi?
Combien faut-il de langues?
(les curieux peuvent consulter aussi A propos de la fréquence des mots ainsi que L'échelle Dubois-Buyse)
Il est des phrases qu'on répète et qui sonnent, des phrases chansons et litanies, des blasons que la scansion illumine.
Ou bien des phrases qu'on répète comme des professions de foi: j'y crois, je veux y croire, je dois y croire pour continuer d'exercer mon métier. On ne peut pas être heureux si on est à court de mots.
Alors je me demande: quels sont les mots dont j'ai besoin pour être heureuse? Lesquels sont des mots rares, des mots hors des 500 qui sont la base infime et sans cesse réduite du vocabulaire quotidien?
Et je me demande: quels sont les vôtres ?
AMOUR bien sûr est dans les premiers. ÂME est aussi au nombre des élus.
Serais-je heureuse sans le mot SAVEUR, sans le mot SOYEUX, sans le mot MIRACLE? Serais-je heureuse sans les mots RÉSISTANCE et COMPASSION, HARMONIE et CONSCIENCE, sans les mots LUCIDE et REMORDS, sans le mot ELFE, sans le mot TÉNÈBRES? Existeraient-ils sans le mot qui les dit ou les oublierions-nous peu à peu?
Serais-je heureuse, et moi-même, et entière, sans le mot ONIRIQUE, le mot CONSTELLATION, le mot PANACHE?
Pourrais-je vivre sans le mot FRONTIÈRE, et saurais-je où aller?
Et les mots de français suffisent-ils, même?
Aurais-je su quel rôle vous joueriez sans le mot BREDA, sans le mot MASHIARU?
Saurais-tu le chemin que tu suis, breda, sans le mot ARGEMMIOS?
Saurais-je ce qui compte sans les noms de DREAM et de ses frères et soeurs?
Saurais-je qui je suis sans le Vrai Nom que Tu m'as découvert, à l'Extrême-Orient de ce monde?
Combien de mots faut-il pour être heureux, pour être plein, pour être soi?
Combien faut-il de langues?
(les curieux peuvent consulter aussi A propos de la fréquence des mots ainsi que L'échelle Dubois-Buyse)
lundi 26 mars 2007
L'HEURE DÉROBÉE
Bien sûr, je n'ai jamais aimé ce changement d'heure. Qui l'aime? Il nous arrache du lit une heure plus tôt, et nous éloigne du soleil en prétendant nous annoncer l'été.
Mais cette année c'est bien pire.
On nous a volé cette heure, cette année.
Une sale convention qui se glisse en douce dans notre havre, à l'heure de tous les crimes, pour commettre l'un des pires qui soient. Pour dérober une heure, sans espoir de retour, assassiner soixante onces du plus précieux de nos trésors: le temps passé ensemble. Le temps à Nous, à la fin d'une semaine sombre où nous avions été séparés plus longtemps que de coutume.
Cette année c'est pire parce que le changement précédent ne saurait compenser celui-ci.
Les heures n'ont pas toute la même longueur, vous savez bien, pas toutes le même poids ni le même prix. Il y a les heures de travail et les heures de vacances, les heures d'embouteillages, les heures de migraine, les heures de jeu, les heures de sommeil. Il y a les heures d'amour.
Le changement précédent, l'heure offerte doucement au creux d'un dimanche d'automne, une heure pour se blottir, pour apprivoiser l'ombre et entamer l'Avent... Le changement précédent, que j'ai toujours chéri, était venu cette année aggraver l'attente, au temps où nous étions séparés par le fer et le sang.
Une heure de plus où nous agonisions d'attente.
Une heure de moins où nous nous blottissions ensemble.
Voilà un double crime qui demande réparation.
Une éternité ensemble. Au moins.
Mais cette année c'est bien pire.
On nous a volé cette heure, cette année.
Une sale convention qui se glisse en douce dans notre havre, à l'heure de tous les crimes, pour commettre l'un des pires qui soient. Pour dérober une heure, sans espoir de retour, assassiner soixante onces du plus précieux de nos trésors: le temps passé ensemble. Le temps à Nous, à la fin d'une semaine sombre où nous avions été séparés plus longtemps que de coutume.
Cette année c'est pire parce que le changement précédent ne saurait compenser celui-ci.
Les heures n'ont pas toute la même longueur, vous savez bien, pas toutes le même poids ni le même prix. Il y a les heures de travail et les heures de vacances, les heures d'embouteillages, les heures de migraine, les heures de jeu, les heures de sommeil. Il y a les heures d'amour.
Le changement précédent, l'heure offerte doucement au creux d'un dimanche d'automne, une heure pour se blottir, pour apprivoiser l'ombre et entamer l'Avent... Le changement précédent, que j'ai toujours chéri, était venu cette année aggraver l'attente, au temps où nous étions séparés par le fer et le sang.
Une heure de plus où nous agonisions d'attente.
Une heure de moins où nous nous blottissions ensemble.
Voilà un double crime qui demande réparation.
Une éternité ensemble. Au moins.
mercredi 21 mars 2007
UNE RÉPONSE
J'ai toujours été très mauvaise pour les questionnaires de Proust et consorts (comme si Proust pouvait avoir des consorts).
A d'innombrables questions je suis incapable de trouver une vraie réponse.
Par exemple ceci: quel personnage historique j'aurais aimé être?
Bien sûr, ils sont plusieurs à avoir eu des vies passionnantes, vécu des aventures exaltantes, accompli de grandes choses. Je me souviens que Bruno Etienne nous affirmait un matin que lui, il aurait voulu être Richard Francis Burton, l'explorateur. J'adore Burton, et je l'admire. Mais puis-je désirer être Burton, puis-je m'identifier à lui, puis-je adhérer à l'ensemble de sa vie, et pas seulement aux épisodes célèbres?
Je n'avais jamais trouvé de réponse.
Et voilà qu'une s'impose, évidente, presque banale, presque honteuse de bons sentiments, une réponse tout sauf provocatrice, une réponse très vraie.
J'aurais voulu être Lucie Aubrac.
Oh, bien sûr, pour le romanesque aussi, pour libérer deux fois mon mari des mains de l'ennemi. Je ne nie pas ce côté-là.
Mais j'aurais voulu être Lucie Aubrac pour la force et pour l'évidence, pour la seule réponse honorable à la question que l'Histoire n'a pas posé à notre génération, pour la Résistance, immédiate, spontanée, même, pour le naturel de cette Résistance. Et pour sa durée. J'aurais voulu être Lucie Aubrac parce qu'elle est restée vive, active, vigilante, lucide, jusque dans son très grand âge. Parce qu'elle prouve que la vieillesse n'est pas toujours un renoncement. Parce qu'elle s'est engagée jusqu'au bout, et aussi parce qu'elle a eu trois enfants, aussi parce qu'elle fut mariée jusqu'au bout, parce qu'elle rappelle qu'une femme n'a pas à choisir comme on le prétendait. J'aime qu'elle ait été agrégée d'histoire, jeune mariée, enceinte, et Résistante. Tout en même temps. Parce que tout cela procédait d'un même élan.
J'aime qu'elle parle de Résistance et d'amour avec les mêmes mots, avec le même ton.
C'est une vraie réponse. Une qui guide.
A d'innombrables questions je suis incapable de trouver une vraie réponse.
Par exemple ceci: quel personnage historique j'aurais aimé être?
Bien sûr, ils sont plusieurs à avoir eu des vies passionnantes, vécu des aventures exaltantes, accompli de grandes choses. Je me souviens que Bruno Etienne nous affirmait un matin que lui, il aurait voulu être Richard Francis Burton, l'explorateur. J'adore Burton, et je l'admire. Mais puis-je désirer être Burton, puis-je m'identifier à lui, puis-je adhérer à l'ensemble de sa vie, et pas seulement aux épisodes célèbres?
Je n'avais jamais trouvé de réponse.
Et voilà qu'une s'impose, évidente, presque banale, presque honteuse de bons sentiments, une réponse tout sauf provocatrice, une réponse très vraie.
J'aurais voulu être Lucie Aubrac.
Oh, bien sûr, pour le romanesque aussi, pour libérer deux fois mon mari des mains de l'ennemi. Je ne nie pas ce côté-là.
Mais j'aurais voulu être Lucie Aubrac pour la force et pour l'évidence, pour la seule réponse honorable à la question que l'Histoire n'a pas posé à notre génération, pour la Résistance, immédiate, spontanée, même, pour le naturel de cette Résistance. Et pour sa durée. J'aurais voulu être Lucie Aubrac parce qu'elle est restée vive, active, vigilante, lucide, jusque dans son très grand âge. Parce qu'elle prouve que la vieillesse n'est pas toujours un renoncement. Parce qu'elle s'est engagée jusqu'au bout, et aussi parce qu'elle a eu trois enfants, aussi parce qu'elle fut mariée jusqu'au bout, parce qu'elle rappelle qu'une femme n'a pas à choisir comme on le prétendait. J'aime qu'elle ait été agrégée d'histoire, jeune mariée, enceinte, et Résistante. Tout en même temps. Parce que tout cela procédait d'un même élan.
J'aime qu'elle parle de Résistance et d'amour avec les mêmes mots, avec le même ton.
C'est une vraie réponse. Une qui guide.
mercredi 14 mars 2007
FRANCE
Bien sûr, c'est parce qu'ils se sont tous mis à parler d'identité nationale. Pourtant ce ne fut pas le début.
Le début, ce fut la question de T***. "Tu te sens Française, toi?"
Sa curiosité était sincère. T*** est mi-Turc, mi-Kurde, expatrié en Suisse, marié à une Franco-Anglaise. Il a du mal à se trouver une identité nationale, quelle qu'elle soit.
Et j'ai cherché une réponse à sa question, avec la même curiosité et la même sincérité. Et je cherche toujours.
Je me suis toujours rêvée Exilée et Frontalière, et par un tour imprévu du destin, je serai bientôt telle en pratique.
Je me suis toujours reconnue Européenne, je porte cet immense héritage-là, que je le veuille ou non, je suis du Vieux Monde et de cette vieille culture arrogante d'Occident. Je porte en moi la littérature d'Europe, l'histoire d'Europe, la fichue sensibilité et la vision du monde de l'Europe. Je porte Hugo et Shakespeare, Austen et Dumas, Rimbaud et Woolf, je porte les Brigands de Schiller et les rêves de Ludwig, les songes enfiévrés de Dante et les constructions ludiques de Calvino, je porte les sagas du Nord, les pièces de Synge et de Yeats, le Golem des ombres de Prague, l'odeur des steppes d'Ukraine et la lumière des côtes dalmates, OEdipe et les massacres de Chios, l'attentat de Sarajevo et l'assassinat de Lorca, et toutes ces guerres civiles. Ma mémoire est pleine de guerres civiles. Je suis d'Europe. Ces racines-là sont profondes, sombres, solides.
Mais en quoi suis-je Française?
Je me retrouve à trier des lieux communs. Cartésianisme, non, Révolution Française, pas plus que les mille autres révolutions d'Europe, Voltaire, non, l'esprit, le bel esprit, non non.
En quoi suis-je Française?
Et voici qu'il me semble que les seules traditions enracinées en moi qui soient spécifiquement de France sont les traditions sociales. L'attachement au service public. Front Populaire, congés payés, grèves dures, Sécurité sociale, crier haut ces valeurs, les vieux piliers de la République.
Enfin je pense à Lucie, à Amin Maalouf, aux identités meurtrières.
Peut-être ne suis-je Française que lorsque ces valeurs-là, ces traditions sociales-là, sont menacées. Peut-être ne suis-je de France que lorsque sa devise est meurtrie.
Peut-être serai-je très Française, finalement, dans les années à venir.
Le début, ce fut la question de T***. "Tu te sens Française, toi?"
Sa curiosité était sincère. T*** est mi-Turc, mi-Kurde, expatrié en Suisse, marié à une Franco-Anglaise. Il a du mal à se trouver une identité nationale, quelle qu'elle soit.
Et j'ai cherché une réponse à sa question, avec la même curiosité et la même sincérité. Et je cherche toujours.
Je me suis toujours rêvée Exilée et Frontalière, et par un tour imprévu du destin, je serai bientôt telle en pratique.
Je me suis toujours reconnue Européenne, je porte cet immense héritage-là, que je le veuille ou non, je suis du Vieux Monde et de cette vieille culture arrogante d'Occident. Je porte en moi la littérature d'Europe, l'histoire d'Europe, la fichue sensibilité et la vision du monde de l'Europe. Je porte Hugo et Shakespeare, Austen et Dumas, Rimbaud et Woolf, je porte les Brigands de Schiller et les rêves de Ludwig, les songes enfiévrés de Dante et les constructions ludiques de Calvino, je porte les sagas du Nord, les pièces de Synge et de Yeats, le Golem des ombres de Prague, l'odeur des steppes d'Ukraine et la lumière des côtes dalmates, OEdipe et les massacres de Chios, l'attentat de Sarajevo et l'assassinat de Lorca, et toutes ces guerres civiles. Ma mémoire est pleine de guerres civiles. Je suis d'Europe. Ces racines-là sont profondes, sombres, solides.
Mais en quoi suis-je Française?
Je me retrouve à trier des lieux communs. Cartésianisme, non, Révolution Française, pas plus que les mille autres révolutions d'Europe, Voltaire, non, l'esprit, le bel esprit, non non.
En quoi suis-je Française?
Et voici qu'il me semble que les seules traditions enracinées en moi qui soient spécifiquement de France sont les traditions sociales. L'attachement au service public. Front Populaire, congés payés, grèves dures, Sécurité sociale, crier haut ces valeurs, les vieux piliers de la République.
Enfin je pense à Lucie, à Amin Maalouf, aux identités meurtrières.
Peut-être ne suis-je Française que lorsque ces valeurs-là, ces traditions sociales-là, sont menacées. Peut-être ne suis-je de France que lorsque sa devise est meurtrie.
Peut-être serai-je très Française, finalement, dans les années à venir.
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