lundi 6 août 2007

DES PETITES FILLES ET DES MAISONS DE POUPÉES

Je n'ai jamais aimé les "jouets de fille". Je préférais les Lego, les Playmobil, les chevaliers, les navettes spatiales, et l'Imagination.
Je n'ai jamais aimé les "jouets de fille", sauf les poupées, et leurs maisons.
Avec les poupées, si humaines, si réelles, je mettais en scène de grandes quêtes épiques et romanesques, avec des intrigues politiques, des combats héroïques, des initiations magiques, et parfois des histoires d'amour (parfois seulement car on trouve bien peu de poupées mâles pour jouer des rôles d'amants).

Les maisons de poupées, c'est tout autre chose. Un autre genre de quête.
Celle d'un bâtisseur.

L'agencement des pièces. Le choix de leur fonction. Les couleurs des murs, des tapis, des tentures. La découverte patiente des meubles et de leur disposition, pièce à pièce, angle à angle, mesure pour mesure. Parfois la construction desdits meubles, pièces de bois ou de carton patiemment encollées, tissus soigneusement apposés. La quête des bibelots. Les tableaux fixés aux murs, échos de chaque pièce, ouvertures vers d'autres mondes.
L'étrange satisfaction qu'on en retire: un univers en miniature, maîtrisé, harmonieux. Un refuge et davantage qu'un refuge, non pas hasardeux mais construit de nos mains, pensé à notre image.
Ce qu'est la Maison.
Ma maison. Une vraie maison.
Un puzzle sans cesse raffiné, une Cité en miniature, un miracle intime, une chaleur au coeur.

Pour la première fois je viens de vivre ce plaisir en grand.
Je ne suis plus une petite fille. Les vis et les clous remplacent la colle.
Mais la chaleur, l'excitation, la satisfaction, sont les mêmes.
La quête est la même.

Et tout est plus grand: nous sommes deux. La maison est notre maison.
Plus une maison de poupées: un foyer.

jeudi 26 juillet 2007

QUAND JE LIS

Il se passe des choses étranges. Le monde se distord, se déforme et se reforme, change de dimensions.
Quand je lis le monde change. Bien sûr.

Vous l'avez certainement remarqué aussi. Tout commence avec les sons. Ils s'estompent, s'éloignent de vous. Ou vous vous éloignez d'eux. Le monde autour de vous devient une illusion, une commodité, un cadre bâti à la hâte pour abriter votre lecture. Ce n'est plus le monde que vous habitez le reste du temps, quand vous ne lisez pas.

Et quand on referme le livre, quand on l'a fini enfin, quand il faut faire le voyage à l'envers, quand le monde doit se reformer autour de vous... il y a un moment vraiment étrange. Les quelques minutes de réajustement. Un moment périlleux, où vous avalez péniblement votre salive, où vous osez à peine respirer. Parce que vous savez, bien sûr. Pendant ces minutes-là, où vous êtes sorti du cadre des pages, où vous n'êtes pas revenu encore — tout pourrait arriver.
C'est un des moments où vous sentez soudain les ténèbres, soudain l'abîme. Le monde est instable, étranger. Sombre. Dangereux.
Juste pendant ces minutes-là. Suspendues.
Puis tout se rétablit, et vous vous en êtes sorti encore une fois, et vous oubliez encore une fois.
Jusqu'au prochain livre.

samedi 14 juillet 2007

POURQUOI LES FRONTIÈRES

Car à présent voilà que j'habite effectivement sur une frontière, pour la première fois.
Ou bien Marseille en était-elle une déjà, une plus immense encore, frontière avec la mer, avec l'Afrique, frontière entre deux éléments et deux continents.
N'empêche: il est toujours amusant que la vie rejoigne le rêve, que le fait suive l'imagination, que le Destin réponde au Désir. Ainsi résidé-je désormais en ce lieu étrange où les douaniers profitent de votre radio pour vous demander les derniers résultats du Tour de France, où tous les magasins acceptent les deux devises, où les Frontaliers sont un peuple (même si leurs motifs sont économiques plutôt que romanesques).

Et j'aime les frontières depuis longtemps, depuis bien plus longtemps que le jour où j'ai nommé ce blog. Les frontières géographiques bien sûr, où les langues se mêlent, les lois s'emmêlent, les Passeurs exercent leur office pour le pire ou le meilleur, et où les gens appartiennent tous aux deux pays. C'est cela que j'aime surtout en elles: les frontières sont des lieux de mélanges, de flux d'influences, des lieux à l'identité plus ambiguë et plus complexe, parce que double.
Les frontières entre les règnes, le moment où l'animal devient homme, le végétal se change en pierre. Les frontières entre les genres, les frontières entre l'humain et le divin, le masculin et le féminin.

Les frontières sont des lieux d'incertitude plus grande. Des lieux où une nuance peut changer le monde. Des lieux qui sont loin des lieux communs. Des lieux de liberté, des lieux d'exil, car la frontière est toujours double, elle n'est pas forcément un lieu de bonheur.
Au contraire. C'est inconfortable de vivre en permanence à la frontière.

C'était le mythe.
Cette frontière-là peut-être ne correspondra pas à la définition.
Mais je souris au Destin (et au Désir, et au Rêve).

Pour célébrer cet emménagement, je rapatrie mes carnets de voyages à cette adresse :
Voyages des Frontières
Déjà en ligne, mon voyage au Sahara. A venir, la Syrie et les châteaux de la Loire.

jeudi 12 juillet 2007

TRACES

Il y a, d'abord, un discours que je n'ai pas prononcé, et dont j'ai émietté des fragments dans les jours qui ont suivi.
Je n'écris jamais mes discours. Je les compose dans ma tête, bribe à bribe, à haute pensée, en voix intérieure, jusqu'à les savoir par coeur.
C'était un discours d'au-revoir à ces quatre années au collège de S***, rhétorique et sincère.
Parce qu'évidemment je ne pouvais pas prétendre regretter ce départ, étant données les circonstances. Personne ne m'aurait crue: je pars rejoindre mon amour.
Je ne pouvais pas prétendre non plus que tout avait bien commencé. Je me souviens nettement de ma première réaction, en découvrant ma nomination au collège de S***. J'ai cherché une carte.
Je me souviens aussi de cette première et significative anecdote, lors de mon premier mois d'enseignement là-bas. Je me souviens de la phrase improvisée pour répondre à une question de grammaire, du silence et du regard hésitant de ma classe de troisième, finalement du doigt levé: "Madame... Si on remplace à Paris par à M*** (1), ça marche aussi ?"
Aïe, me suis-je dit, ce n'est pas gagné. Ça ne l'est toujours pas. Ça n'est jamais gagné et c'est tant mieux, c'est la sauvegarde et l'exigence du métier d'enseignant.
L'acclimatation fut donc difficile, et la fin est heureuse.
Mais c'était mon premier poste. Et un premier poste, cela laisse des traces.
Parce qu'on y fait ses premières erreurs, parce qu'on y a ses premières satisfactions, et que pendant longtemps on continuera d'y associer ces souvenirs.
Parce qu'on y prend ses premières habitudes, sans même s'en rendre compte.
Et c'est une chose que je commence à peine à deviner: certaines des habitudes que j'ai prises là-bas, certaines des choses que j'ai appris à considérer comme naturelles — ne le sont pas. Je ne les retrouverai pas forcément ailleurs. Je m'en étonnerai. Je les chercherai confusément.
Parce qu'un premier poste laisse des traces.
Comme ces livres, ces vrais livres, ces grands livres, ceux qui laissent en nous leur empreinte, même si on les referme avec le sourire.

Je n'ai pas prononcé ce discours à tous, je me suis donc efforcée de laisser des mots à chacun. Avec des choix forcément partiaux, forcément circonstanciels, forcément injustes et frustrants.
Mais j'aime partir ainsi, sans laisser de mots non-dits, d'aveux non faits.
Leur dire donc, vous dire, les traces que vous laissez en moi.

Mais ces derniers jours vous m'avez donné tellement plus.
Et le cri du coeur est le même que l'an dernier, lors de mes adieux à une classe très aimée.
Merci. Pour ces mots de vous. Pour ces compliments mal mérités, jamais mérités, bouleversants. Pour m'avoir serrée dans vos bras. Pour ceux qui souriaient. Pour ceux qui n'arrivaient pas à sourire ni à mettre de côté leur regret de mon départ. Pour ceux à qui j'ai dit au-revoir plusieurs fois et pour ceux qui n'étaient pas là quand je suis partie.
Merci.
Et: je vous aime. C'est le cri qui me montait au coeur quand je suis montée dans ma voiture et que j'ai passé les grilles une dernière fois. Je vous aime. On a beau faire, il reste toujours des mots non-dits.

Merci aussi pour cette grâce immense et que je n'avais pas prévue, ces anciens élèves très-aimés qui sont venus, le dernier jour, et auprès de qui j'ai passé ma dernière demi-journée au collège. Merci d'avoir changé et pas changé, de m'avoir fait rire. D'avoir été là. De m'avoir bouleversée en me disant au-revoir depuis le haut-parleur de la salle des profs. D'entendre votre voix résonner ainsi dans la cour (c'était la voix de L***, mais votre voix à tous) pour me dire au-revoir... c'était une vraie magie, savez-vous?

Ces livres-là, même si on les referme avec le sourire, on est toujours tenté de les ouvrir à nouveau.

(1) M*** : village proche de S***, où nombre d'élèves résidaient.

mercredi 20 juin 2007

CHANGEMENTS DE CAP

C'était il y a un an et demi :
Liste d'Eté

Et maintenant, voilà que...

Je suis allée en Ecosse, et ce fut un voyage magique, hors du Réel, avec deux amis chers.
J'ai écrit une nouvelle. C'est trop peu.
J'ai fait l'amour avec... l'homme que j'aime. C'est tout ce qui compte.
J'ai pris le train, beaucoup, et lu, beaucoup, les deux étant liés.
Je m'apprête à déménager.
Je me prépare à un nouveau poste.
Les voiles entre les mondes se sont entrouverts maintes fois pour moi, pour Nous, chaque week-end.
Je me suis réconciliée, même si je suis si loin, trop loin, de vous tous, et j'en porte seule la responsabilité.
J'organise une semaine jeux de rôles pour juillet.

Quelquefois la vie avance par embardées.
Une mer étale pendant quelques années, le vent ralenti et les voiles qui peinent à se gonfler, puis tout change d'un coup, le navire s'emballe et nous entraîne.
Et c'est merveilleux.

mercredi 30 mai 2007

NOT IN OUR STARS...

Quelquefois, trop de temps passe d'un coup.
Quelquefois, les temps se superposent et se décalent, et on ne sait plus dans lequel on vit.
Quelquefois, le monde va plus vite que notre pensée du monde.

Depuis la dernière note, il y a eu un voyage de contes de fées, une élection présidentielle, et une signature pour une nouvelle demeure, pour un Chez-Nous.

Trop de choses. Trop tard pour les écrire.

Ou peut-être trop tôt.
Je me suis interrogée très vite: que convenait-il d'écrire sur mon blog, au soir de l'élection? A qui devais-je m'adresser, parmi tous ceux qui croient, dont je comprends qu'ils croient? A qui en moi devais-je laisser la plume, quels garde-fous devais-je m'imposer, pour ne pas basculer dans la mauvaise foi, ni dans les revendications partisanes?

De toutes les phrases que j'ai entendues depuis, phrases de journalistes, d'hommes et de femmes politiques, phrases d'amis, une seule a sonné juste qui n'était rien de tout cela.
Une seule a éveillé un véritable écho, mis en branle un sentiment profond.
La phrase d'un homme d'état rêvé par un Barde et cité par un journaliste engagé, d'un autre temps.

"The fault, dear Brutus, is not in our stars,
But in ourselves, that we are underlings."

Julius Caesar
(I, ii, 140-141)

Not in our stars, but in our selves.
C'est, à cette heure, la seule leçon qui compte.

jeudi 12 avril 2007

"ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX SI ON N'A QUE 500 MOTS POUR S'EXPRIMER"

(a dit Denise Bombardier sur France Inter)
Il est des phrases qu'on répète et qui sonnent, des phrases chansons et litanies, des blasons que la scansion illumine.
Ou bien des phrases qu'on répète comme des professions de foi: j'y crois, je veux y croire, je dois y croire pour continuer d'exercer mon métier. On ne peut pas être heureux si on est à court de mots.

Alors je me demande: quels sont les mots dont j'ai besoin pour être heureuse? Lesquels sont des mots rares, des mots hors des 500 qui sont la base infime et sans cesse réduite du vocabulaire quotidien?
Et je me demande: quels sont les vôtres ?

AMOUR bien sûr est dans les premiers. ÂME est aussi au nombre des élus.
Serais-je heureuse sans le mot SAVEUR, sans le mot SOYEUX, sans le mot MIRACLE? Serais-je heureuse sans les mots RÉSISTANCE et COMPASSION, HARMONIE et CONSCIENCE, sans les mots LUCIDE et REMORDS, sans le mot ELFE, sans le mot TÉNÈBRES? Existeraient-ils sans le mot qui les dit ou les oublierions-nous peu à peu?
Serais-je heureuse, et moi-même, et entière, sans le mot ONIRIQUE, le mot CONSTELLATION, le mot PANACHE?
Pourrais-je vivre sans le mot FRONTIÈRE, et saurais-je où aller?

Et les mots de français suffisent-ils, même?
Aurais-je su quel rôle vous joueriez sans le mot BREDA, sans le mot MASHIARU?
Saurais-tu le chemin que tu suis, breda, sans le mot ARGEMMIOS?
Saurais-je ce qui compte sans les noms de DREAM et de ses frères et soeurs?
Saurais-je qui je suis sans le Vrai Nom que Tu m'as découvert, à l'Extrême-Orient de ce monde?

Combien de mots faut-il pour être heureux, pour être plein, pour être soi?
Combien faut-il de langues?


(les curieux peuvent consulter aussi A propos de la fréquence des mots ainsi que L'échelle Dubois-Buyse)