En lisant mes derniers posts alors qu'elle n'avait pas visité ce blog depuis longtemps, Oona m'écrivait : "Que vous semblez avoir changé !" — au point de s'être demandée, un moment, s'il s'agissait bien de moi.
J'ai été surprise, bien sûr. Et peut-être bien vexée.
Certes, mes derniers posts — et pour cause ! — parlaient de bébés, un sujet que je n'avais pas de raison d'aborder auparavant.
Certes me voici devenue une maman.
Ai-je pour autant radicalement changé ? Au point d'être presque méconnaissable?
1. Bien sûr, nous n'avons jamais l'impression de changer. Le processus d'évolution intérieure est si progressif que nous avons rarement conscience du changement, et les vieilles personnes avouent souvent ne pas se sentir foncièrement différentes de leur
moi jeune. C'est un motif souvent évoqué : nos cellules se renouvellent entièrement tous les dix ou quinze ans. Nous sommes donc chaque fois un être entièrement neuf, pourtant nous gardons une même conscience. Terry Pratchett l'explique ainsi dans
Le cinquième éléphant : si vous héritez de la précieuse épée de votre grand-père, et qu'elle reste dans votre famille génération après génération, vous allez être amené à la restaurer régulièrement. Ce faisant, il faudra remplacer des pièces. Telle pierre du pommeau qui se sera descellée ou ternie. Le fourreau entier. Peut-être même faudra-t-il, un jour, remplacer la lame par un acier neuf. Un jour, l'épée ne contiendra plus une seule parcelle de l'arme d'origine de votre aïeul. Pourtant, vous continuerez à la traiter comme telle, à la désigner comme telle et de fait,
elle sera telle.2. Parfois, dans un roman, l'auteur présente un personnage comme "ayant une conscience aigüe de sa propre identité." Si je me souviens bien, c'est par exemple le cas de Benedict dans le Cycle d'Ambre de Zelazny.
Et bien, j'ai, depuis longtemps, une conscience aigüe de ma propre identité. D'où ce malaise, cette petite vexation même, à l'idée que quelqu'un que j'aime puisse ne pas distinguer ce fil, cette continuité, ce noyau. Noyau est le mot le plus juste.
Pourtant nous sommes tous changés par la naissance d'un enfant, chacun le dit, il n'y a pas de honte à ça.
Changée, oui. Pas métamorphosée. Je ne me sens pas métamorphosée. Je ne me sens pas fondamentalement différente. Ma vie, mon emploi du temps, mes préoccupations le sont, à des degrés divers (le degré maximal étant pour l'emploi du temps, évidemment !) Mais le noyau ? Simplement de nouvelles particules gravitent autour de lui.
3. Car c'est ainsi que nous fonctionnons : nous sommes une mosaïque d'identités. Elles ne se superposent pas les unes aux autres, elles ne se remplacent pas, elles s'ajoutent. Ainsi puis-je être une maman geek, une Marseillaise et une Genevoise ou une Pays-de-gessienne, une Française et une Européenne, une agnostique d'éducation catholique sensible à la poésie de toutes les religions, une prof et une rôliste, une agrégée de formation académique au possible et une lectrice (et auteur) de fantasy… et ainsi de suite. Ces identités coexistent pacifiquement dans la plupart des cas, notamment dans le mien qui suis chanceuse (pour le reste, vous pouvez lire l'essai d'Amin Maalouf,
Les identités meurtrières et
la merveileuse anthologie de Lucie Chenu.)
Et ce blog ne reflète pas fidèlement toutes les facettes. Ou pas régulièrement. Pourtant la forme même du blog, disjointe, fragmentée, mosaïste, nous y encourage. Des outils tels que les Libellés le reflètent.
Quelle photographie des identités de ce blog offrirait par exemple le génial
Wordle ?

Il faut bien avouer que les bébés sont très présents, n'est-ce pas ?
Pourtant ce beau nuage n'est qu'un instantané — terriblement lacunaire, si dense parût-il.
Les deux mots qui dominent le nuage de tags, à votre droite, sont MONDES et MOTS. Sans doute le noyau que j'évoquais est-il quelque part entre ces deux mots.