La route serpente entre les Mondes. A quel moment traverse-t-on?
Nous passons la Forêt du Massacre, échappant à l'étreinte spectrale des soldats de François Ier. Ils n'en finissent pas de marcher, inlassablement, dans la même direction que nous, s'efforçant toujours d'apporter leur secours à la Cité. Mais les siècles les freinent, les ombres les alourdissent, et nous les dépassons.
C'est un voyage périlleux, qui déchire la trame du monde et déchire mon ventre, mais nous montons, montons, et nous sommes au Col, et la vallée apparaît.
Sauf qu'il n'y a pas de vallée. La route descend vers les nuages, vers la brume, le sol s'est aboli, il n'y a plus de terre. C'est la frontière. Et je ne sais toujours pas de quel côté du Monde nous sommes, si nous allons quitter le Pays des Rêves ou y pénétrer.
Descendre sans peur vers cette brume, accepter de s'enfoncer, prendre le risque de disparaître. Les rochers sont encapuchonnés de neige, la Plus-Haute Cime se voile, pudique, d'écharpes de nuages. Accepter de sombrer. Accepter que les zones frontières, les villes portes, les crêtes entre les mondes, nous ôtent tous nos repères.
Accrocher nos yeux aux cimes des sapins, aux rayons qui traversent les brumes, accrocher nos yeux au jet triomphal qui jaillit haut dans le ciel, bien visible, à des kilomètres de là, et qui nous appelle, qui nous guide. Sourire enfin, savoir que nous passerons, encore cette fois-là, que les brumes ne nous absorberont pas à jamais, que la lumière brillera encore. Et faire taire la petite voix qui demande si nous ne serions pas plus heureux dans les Brumes, qui demande quel monde éclaire cette lumière, de quel côté est le Monde Réel.
Et s'engouffrer enfin dans la Cité, sauvée malgré le massacre des soldats, à sauver à nouveau chaque jour, la Cité qui est une citadelle du Rêve et qui l'a oublié.
Loin des Brumes, loin de l'Ombre des Monts, loin des Forêts, savoir enfin qu'il n'est qu'une seule réponse à ma question: le Monde Réel est celui où nous sommes réunis.
M'enfoncer alors dans les limbes qui nous séparent, et attendre que la Réalité renaisse avec nos retrouvailles.
samedi 13 janvier 2007
samedi 23 décembre 2006
LA MAISON DES MERVEILLES
Ce fut pendant un certain temps, dit-on, que ces deux s'aimèrent dans les profondeurs d'un grand bois, qui devint enchanté, bizarre et périlleux du fait de leur seule proximité."
Tanith Lee, Les sortilèges de la nuit
Ils vivent à présent dans une maison aux lisières d'un autre bois, près d'un lac, dans un hiver enchanté.
La forêt n'est pas moins ancienne, ni la terre. Aucune ville d'hommes n'a pu s'établir là, jamais, en aucun siècle. C'est le domaine des Fées et des Esprits.
Les maisons nouvelles y sont soigneusement calfeutrées, poutrées et lambrissées de bois doré. Les hommes qui vivent là se souviennent des vieux enchantements, et savent que les beautés de ce lieu n'excluent pas le péril, que les Merveilles du bois prennent autant qu'elles donnent, exactement autant, et qu'il faut se protéger d'elles, malgré leur charme, à cause de leur charme.
Et c'est d'autant plus vrai à présent qu'ils vivent là, qu'ils s'aiment là.
Leur maison aussi est protégée des Esprits de l'Hiver et de la Forêt.
Le jour, l'air glacé s'adoucit pour passer leurs fenêtres, le soleil les inonde, la brume les enveloppe, et la cascade chante, même gelée, par précaution. On ne sait jamais. Le bruit des fontaines et des cascades guérit la folie, n'est-ce pas, et c'est une grande et belle Folie qui demeure là.
Le soir, des étoiles brillent à leur fenêtre. Non pas seulement les étoiles gelées qui brillent dans ce ciel de légende, non, des étoiles brillent dedans, de l'intérieur de la Maison, car sa nature à elle fut toujours liée aux étoiles, et toutes les maisons qu'elle occupe sont des phares.
La nuit, des animaux de toutes espèces s'approchent de la maison, s'y assemblent, l'entourent de leurs signes, s'y réchauffent au feu de leur magie et de leur amour.
Parfois les Amants joueurs se glissent au dehors, empruntent les vieux sentiers, dessinent sur la neige, parlent aux arbres. Parfois il sort deux antiques lames et lui enseigne des arts depuis longtemps perdus. Parfois ils descendent jusqu'aux villages des hommes, et leurs rires résonnent hauts et clairs, et ils s'amusent à découvrir des confitures ou des fromages, et ils choisissent ensemble les gâteaux qu'ils goûteront le soir.
Et ils mettent de côté leurs ténèbres, car ils s'aiment, et c'est le temps du Solstice, et ils sont comme des enfants qui désirent faire partager leur bonheur.
Pourtant l'ombre rôde. La Cour Sombre n'est jamais loin. Certaines branches se couvrent de givre et se courbent en arche pour saluer leur passage -- mais elles ne survivront pas à cette brève gloire. Certaines mares se changent en Miroirs du Diable, certaines routes en verglas mortel. Certains des plus vieux lits de bois enchaînent les dormeurs et les amants, certaines eaux s'empoisonnent. Tous les enchantements sont à double tranchant.
Mais loin des villes, aux lisières d'une forêt, le temps d'un hiver enchanté, ils s'aiment. Et le monde autour en est changé.
Tanith Lee, Les sortilèges de la nuit
Ils vivent à présent dans une maison aux lisières d'un autre bois, près d'un lac, dans un hiver enchanté.
La forêt n'est pas moins ancienne, ni la terre. Aucune ville d'hommes n'a pu s'établir là, jamais, en aucun siècle. C'est le domaine des Fées et des Esprits.
Les maisons nouvelles y sont soigneusement calfeutrées, poutrées et lambrissées de bois doré. Les hommes qui vivent là se souviennent des vieux enchantements, et savent que les beautés de ce lieu n'excluent pas le péril, que les Merveilles du bois prennent autant qu'elles donnent, exactement autant, et qu'il faut se protéger d'elles, malgré leur charme, à cause de leur charme.
Et c'est d'autant plus vrai à présent qu'ils vivent là, qu'ils s'aiment là.
Leur maison aussi est protégée des Esprits de l'Hiver et de la Forêt.
Le jour, l'air glacé s'adoucit pour passer leurs fenêtres, le soleil les inonde, la brume les enveloppe, et la cascade chante, même gelée, par précaution. On ne sait jamais. Le bruit des fontaines et des cascades guérit la folie, n'est-ce pas, et c'est une grande et belle Folie qui demeure là.
Le soir, des étoiles brillent à leur fenêtre. Non pas seulement les étoiles gelées qui brillent dans ce ciel de légende, non, des étoiles brillent dedans, de l'intérieur de la Maison, car sa nature à elle fut toujours liée aux étoiles, et toutes les maisons qu'elle occupe sont des phares.
La nuit, des animaux de toutes espèces s'approchent de la maison, s'y assemblent, l'entourent de leurs signes, s'y réchauffent au feu de leur magie et de leur amour.
Parfois les Amants joueurs se glissent au dehors, empruntent les vieux sentiers, dessinent sur la neige, parlent aux arbres. Parfois il sort deux antiques lames et lui enseigne des arts depuis longtemps perdus. Parfois ils descendent jusqu'aux villages des hommes, et leurs rires résonnent hauts et clairs, et ils s'amusent à découvrir des confitures ou des fromages, et ils choisissent ensemble les gâteaux qu'ils goûteront le soir.
Et ils mettent de côté leurs ténèbres, car ils s'aiment, et c'est le temps du Solstice, et ils sont comme des enfants qui désirent faire partager leur bonheur.
Pourtant l'ombre rôde. La Cour Sombre n'est jamais loin. Certaines branches se couvrent de givre et se courbent en arche pour saluer leur passage -- mais elles ne survivront pas à cette brève gloire. Certaines mares se changent en Miroirs du Diable, certaines routes en verglas mortel. Certains des plus vieux lits de bois enchaînent les dormeurs et les amants, certaines eaux s'empoisonnent. Tous les enchantements sont à double tranchant.
Mais loin des villes, aux lisières d'une forêt, le temps d'un hiver enchanté, ils s'aiment. Et le monde autour en est changé.
vendredi 27 octobre 2006
ENQUÊTE LINGUISTIQUE
Je ne sais pourquoi, je viens soudain de me trouver poursuivie par le mot :
ÉBATS
Il m'obsède, me pourchasse, m'enchante, je ne m'en défais pas.
Pour exorciser cette possession, je décide de le considérer d'un sage point de vue linguistique... argh, linguistique est un mauvais mot... d'un sage point de vue lexical, et pars en chasse dans les dictionnaires.
Le Robert est décevant :
ÉBATS : Jeux, mouvements d'un être qui s'ébat. "Des ébats de cygnes dans les claires eaux des viviers" (Hugo).
J'aime Hugo, mais je n'aime pas les cygnes.
J'aime le mot de "jeux", qui en effet fait une partie du charme de "ébats"... mais ne suffit pas.
Le Dictionnaire des Synonymes est plus fertile :
ÉBAT et ÉBATTEMENT (au pl.) : amusement (mais oui), délassement (d'une certaine façon... ou bien délacement ? Un corset...), distraction, divertissement, jeu, mouvement (certes les mouvements sont importants aussi), passe-temps (oh que non !), récréation (celui-ci m'amuse, c'est le nom du fichier de mon texte sur l'Opéra...), sport (de loin le plus alléchant), voir PLAISIR (ah, tout de même !) et par extension, CARESSE.
Contraire : REPOS.
Bannissons donc le repos.
Et un synonyme qualifié de "littéraire", un mot que je n'avais jamais entendu : oaristys.
Oaristys ??
Je m'en retourne consulter le Robert.
OARISTYS : fin XVIIIe (Liaisons Dangereuses ?), mot grec. Idylle, ébats amoureux. "Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !" (Verlaine).
Verlaine est plus explicite qu'Hugo. Quoique à y réfléchir... les cygnes... Léda et Zeus...
Mais le Dictionnaire des Synonymes proposait des renvois suggestifs, et je ne voudrais pas bouder mon...
PLAISIR : agrément, aise (j'aime bien "soupirer d'aise", nous le faisons souvent), amusement (décidément...), béatitude (notre état le plus fréquent quand nous sommes ensemble, remarquons que BÉATS et ÉBATS sont des anagrammes révélateurs...), bien-être, blandices (blandices ! damnation ! encore un mot que j'ignore !), bonheur, charme (qui est magique, n'oublions pas), complaisance (me veux-tu complaisante ? pas toujours, j'imagine), contentement, délectation (ah ! j'aime délectation et toutes les... saveurs qu'il évoque), délices (aussi...), distraction, divertissement, ébats (et la boucle est bouclée), épicurisme, euphorie, félicité, gaieté, hédonisme, jeu, joie, jouissance (ce tryptique en J est admirable...), oaristys, passe-temps, récréation, régal (la racine me frappe soudain : le plaisir serait-il un repas de Rois ?), réjouissance, satisfaction, voir... VOLUPTÉ. Argh. Les mots sont un jeu sans fin.
Assouvissement, concupiscence, lascivité, libido, luxure, orgasme, sensualité (ceux-là sont plus explicites, et ne me déplaisent pas... J'aimerais bien, Amour, que ma *** *** ta ***…)
Je découvre un mot vieilli : Conjouissance... dont je devine le sens.
Bien...
Que nous ajoute donc VOLUPTÉ ?
(j'aime bien "volupté" d'ailleurs... je trouve ses sonorités... voluptueuses)
Peu de mots, sinon quelques termes anciens que j'ignorais : le délectable "chaffriolement", qui m'évoque quantité de ronronnements... et le mystérieux "donoiement".
Le Robert les ignore.
Par contre, je trouve :
BLANDICES : Ce qui flatte, séduit. "Toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme" (Chateaubriand)
Cher René. Je signe. Ce programme me sied.
Damnation ! Le Littré aussi écarte (d'accord, j'ai choisi à dessein le verbe écarter…) "chaffriolement" et "donoiement".
Ah ! Le dictionnaire des "Mots sauvages" m'éclaire.
J'aime que "donoiement" soit un mot sauvage.
Anc. français. Désignait le plaisir procuré par une femme qui s'abandonne à son amant et par extension le plaisir. "Déjà ses lèvres au donoiement de bouche ont crépité." Tailhade.
"Chaffriolant" est aussi un mot sauvage, forcément.
Chaffriolons donc, et soyons sauvages.
Jeu, Joie et Jouissance.
Cela sonne comme une devise.
ÉBATS
Il m'obsède, me pourchasse, m'enchante, je ne m'en défais pas.
Pour exorciser cette possession, je décide de le considérer d'un sage point de vue linguistique... argh, linguistique est un mauvais mot... d'un sage point de vue lexical, et pars en chasse dans les dictionnaires.
Le Robert est décevant :
ÉBATS : Jeux, mouvements d'un être qui s'ébat. "Des ébats de cygnes dans les claires eaux des viviers" (Hugo).
J'aime Hugo, mais je n'aime pas les cygnes.
J'aime le mot de "jeux", qui en effet fait une partie du charme de "ébats"... mais ne suffit pas.
Le Dictionnaire des Synonymes est plus fertile :
ÉBAT et ÉBATTEMENT (au pl.) : amusement (mais oui), délassement (d'une certaine façon... ou bien délacement ? Un corset...), distraction, divertissement, jeu, mouvement (certes les mouvements sont importants aussi), passe-temps (oh que non !), récréation (celui-ci m'amuse, c'est le nom du fichier de mon texte sur l'Opéra...), sport (de loin le plus alléchant), voir PLAISIR (ah, tout de même !) et par extension, CARESSE.
Contraire : REPOS.
Bannissons donc le repos.
Et un synonyme qualifié de "littéraire", un mot que je n'avais jamais entendu : oaristys.
Oaristys ??
Je m'en retourne consulter le Robert.
OARISTYS : fin XVIIIe (Liaisons Dangereuses ?), mot grec. Idylle, ébats amoureux. "Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !" (Verlaine).
Verlaine est plus explicite qu'Hugo. Quoique à y réfléchir... les cygnes... Léda et Zeus...
Mais le Dictionnaire des Synonymes proposait des renvois suggestifs, et je ne voudrais pas bouder mon...
PLAISIR : agrément, aise (j'aime bien "soupirer d'aise", nous le faisons souvent), amusement (décidément...), béatitude (notre état le plus fréquent quand nous sommes ensemble, remarquons que BÉATS et ÉBATS sont des anagrammes révélateurs...), bien-être, blandices (blandices ! damnation ! encore un mot que j'ignore !), bonheur, charme (qui est magique, n'oublions pas), complaisance (me veux-tu complaisante ? pas toujours, j'imagine), contentement, délectation (ah ! j'aime délectation et toutes les... saveurs qu'il évoque), délices (aussi...), distraction, divertissement, ébats (et la boucle est bouclée), épicurisme, euphorie, félicité, gaieté, hédonisme, jeu, joie, jouissance (ce tryptique en J est admirable...), oaristys, passe-temps, récréation, régal (la racine me frappe soudain : le plaisir serait-il un repas de Rois ?), réjouissance, satisfaction, voir... VOLUPTÉ. Argh. Les mots sont un jeu sans fin.
Assouvissement, concupiscence, lascivité, libido, luxure, orgasme, sensualité (ceux-là sont plus explicites, et ne me déplaisent pas... J'aimerais bien, Amour, que ma *** *** ta ***…)
Je découvre un mot vieilli : Conjouissance... dont je devine le sens.
Bien...
Que nous ajoute donc VOLUPTÉ ?
(j'aime bien "volupté" d'ailleurs... je trouve ses sonorités... voluptueuses)
Peu de mots, sinon quelques termes anciens que j'ignorais : le délectable "chaffriolement", qui m'évoque quantité de ronronnements... et le mystérieux "donoiement".
Le Robert les ignore.
Par contre, je trouve :
BLANDICES : Ce qui flatte, séduit. "Toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme" (Chateaubriand)
Cher René. Je signe. Ce programme me sied.
Damnation ! Le Littré aussi écarte (d'accord, j'ai choisi à dessein le verbe écarter…) "chaffriolement" et "donoiement".
Ah ! Le dictionnaire des "Mots sauvages" m'éclaire.
J'aime que "donoiement" soit un mot sauvage.
Anc. français. Désignait le plaisir procuré par une femme qui s'abandonne à son amant et par extension le plaisir. "Déjà ses lèvres au donoiement de bouche ont crépité." Tailhade.
"Chaffriolant" est aussi un mot sauvage, forcément.
Chaffriolons donc, et soyons sauvages.
Jeu, Joie et Jouissance.
Cela sonne comme une devise.
mercredi 18 octobre 2006
L'AMOUR EST UNE MUTATION
"Tu es une mutante, mon amour."
Je hausse les épaules, faussement détachée: "Mais oui. Je ne te l'ai jamais dissimulé.
— Tu es une mutante parce que tu lis mes pensées."
C'est vrai. Je les lis. Aisément. Sans effort, sans même le faire exprès. Mais ne lit-il pas aussi les miennes? Alors la vérité se fait jour, évidente, comme toujours.
L'amour est une mutation.
L'amour fait de nous des mutants, avec des sens nouveaux, des pouvoirs nouveaux, peut-être des gènes nouveaux, qui sait?
L'amour fait de nous des mutants, empathes et télépathes, abolissant l'espace, éveillant à loisir des courants électriques terriblement ciblés, projetant nos esprits à des centaines de kilomètres; l'amour fait de nous des voyants et des sorciers.
L'amour nous change, change notre nature, nous grandit, nous élargit, nous élève. L'amour fait de nous des êtres plus tout à fait humains.
L'amour est une mutation. Forcément.
Je hausse les épaules, faussement détachée: "Mais oui. Je ne te l'ai jamais dissimulé.
— Tu es une mutante parce que tu lis mes pensées."
C'est vrai. Je les lis. Aisément. Sans effort, sans même le faire exprès. Mais ne lit-il pas aussi les miennes? Alors la vérité se fait jour, évidente, comme toujours.
L'amour est une mutation.
L'amour fait de nous des mutants, avec des sens nouveaux, des pouvoirs nouveaux, peut-être des gènes nouveaux, qui sait?
L'amour fait de nous des mutants, empathes et télépathes, abolissant l'espace, éveillant à loisir des courants électriques terriblement ciblés, projetant nos esprits à des centaines de kilomètres; l'amour fait de nous des voyants et des sorciers.
L'amour nous change, change notre nature, nous grandit, nous élargit, nous élève. L'amour fait de nous des êtres plus tout à fait humains.
L'amour est une mutation. Forcément.
vendredi 29 septembre 2006
"JE T'APPRENDRAI À TE BATTRE À L'ÉPÉE"
Puisqu'il faut le secret, je parle du passé.
Et ne publie ici que le souvenir que cette phrase de toi vient d'éveiller.
Rien que pour ça je t'aimerais, tu sais.
J’avais d’abord été malade, plusieurs jours, après la blessure de la flèche. J’avais la fièvre et David me soignait. Et au fur et à mesure de ma convalescence j’avais tout oublié. Alors il avait essayé de tout me réapprendre. Il disait que j’étais une princesse, que ma famille était grande et puissante, et je crois que je m’en moquais — mais pourquoi ?, il me semble que j’avais toujours su cela, même dans mon enfance, Shaya m’appelait princesse ou Morgana-la-Magicienne. Mais j’avais aussi oublié Shaya. Je les avais tous oubliés, même celui-là dont je n’ose pas penser le nom. Ou bien non, car n’y avait-il pas un jeune homme aux cheveux sombres et au teint pâle qui vivait près de moi et me montrait comment faire? Il mettait une grande épée dans ma main, comme si j’avais besoin d’une arme. Bien sûr je pouvais tenir cette épée mais où aurais-je appris à me battre ? Alors une flamme sombre passait dans ses yeux et il disait : « Je t’apprendrai. » Je voulais bien apprendre tout ce qu’il voudrait m’enseigner. Il disait que je savais tout cela depuis longtemps, mais ce n’était pas possible, comment pourrait-on oublier de pareils réflexes, et je disais que ce n’était pas vrai et je courais passer ma rage dans la forêt dévastée. Il venait me chercher, toujours au bon moment. Il disait : « Rentrons. Il va faire nuit. Cela peut bien attendre demain. » Il y avait cette vieille maison dont nous n’occupions qu’une partie, et ce jardin en friche — comment pouvait-il ne rien me rappeler ? Mais certains jours je n’avais pas envie de me souvenir. L’homme de haute taille aux cheveux de nuit qui guidait ma main avec une espèce de tendresse douloureuse, réprimée, je l’avais toujours aimé, n’est-ce pas ? je me souvenais de cela. Nous étions dans cette vieille cour aux pavés ébréchés, je m’étais plutôt bien battue, il me regardait en souriant et je le lui ai dit :
« Je me souviens que je t’aime. »
Et le sourire s’est éteint, il y avait cette espèce d’affreuse douleur sur son visage que je ne comprenais pas — ou qu’elle ne comprenait pas, comment pourrais-je maintenant ne pas la comprendre —, il a dit : «Non», il a fait demi-tour, il est rentré dans la maison. J’ai crispé mes mains sur l’épée, j’ai donné un grand coup dans le premier arbre et j’ai fendu le tronc jusqu’au cœur. Personne n’avait une telle force, en tout cas pas une jeune fille comme moi, alors il avait dit la vérité et les miens étaient bien ces princes-sorciers aux pouvoirs démesurés — et si moi je ne voulais pas ?
Il tisonnait le feu avec des gestes brusques qui ne lui ressemblaient pas, car il avait la main la plus sûre que je connaisse. Je suis restée appuyée au mur derrière lui, j’ai murmuré :
« Tu ne me crois pas.
— Tu ne peux pas avoir un tel souvenir. » Il parlait sans se retourner, je savais bien pourquoi. J’ai demandé : « Je ne te connaissais pas, … avant ? »
Il a hésité : « Si peu. Nous n’avions pas… ce genre de rapports.
— Je t’aimais. Je t’aime. C’est la seule chose dont je sois sûre.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, Morgana. »
Il y avait quelque chose qui l’effrayait mais je ne voulais pas m’y arrêter. Je suis venue près de lui. Le feu brûlait trop haut et ma peau me cuisait. J’ai dit : « Je suis une princesse, une sorcière ?
— Oui, et plus encore.
— Ce que je suis m’interdirait de t’aimer ?
— On peut le dire comme cela. »
J’ai souri. Maintenant je me sentais ivre et forte, et assurée. J’ai dit : «Heureusement j’ai perdu la mémoire, grâces en soient rendues aux dieux, je ne suis plus que Morgana et ma mémoire comme le reste est entre tes mains. » Très vite j’ai passé les doigts dans les flammes, il a crié, saisi ma main, je n’avais pas très mal, j’ai dit : « Il y a toutes sortes de baptêmes. », il a posé ses lèvres sur la brûlure, je n’avais plus mal du tout, « Toi aussi tu es un sorcier, David. » et je pouvais voir son amour et son désir mais il dit : « Je ne peux pas faire ça, je ne dois pas. » et il s’est enfui encore une fois.
(Journal de Morgana)
Et ne publie ici que le souvenir que cette phrase de toi vient d'éveiller.
Rien que pour ça je t'aimerais, tu sais.
J’avais d’abord été malade, plusieurs jours, après la blessure de la flèche. J’avais la fièvre et David me soignait. Et au fur et à mesure de ma convalescence j’avais tout oublié. Alors il avait essayé de tout me réapprendre. Il disait que j’étais une princesse, que ma famille était grande et puissante, et je crois que je m’en moquais — mais pourquoi ?, il me semble que j’avais toujours su cela, même dans mon enfance, Shaya m’appelait princesse ou Morgana-la-Magicienne. Mais j’avais aussi oublié Shaya. Je les avais tous oubliés, même celui-là dont je n’ose pas penser le nom. Ou bien non, car n’y avait-il pas un jeune homme aux cheveux sombres et au teint pâle qui vivait près de moi et me montrait comment faire? Il mettait une grande épée dans ma main, comme si j’avais besoin d’une arme. Bien sûr je pouvais tenir cette épée mais où aurais-je appris à me battre ? Alors une flamme sombre passait dans ses yeux et il disait : « Je t’apprendrai. » Je voulais bien apprendre tout ce qu’il voudrait m’enseigner. Il disait que je savais tout cela depuis longtemps, mais ce n’était pas possible, comment pourrait-on oublier de pareils réflexes, et je disais que ce n’était pas vrai et je courais passer ma rage dans la forêt dévastée. Il venait me chercher, toujours au bon moment. Il disait : « Rentrons. Il va faire nuit. Cela peut bien attendre demain. » Il y avait cette vieille maison dont nous n’occupions qu’une partie, et ce jardin en friche — comment pouvait-il ne rien me rappeler ? Mais certains jours je n’avais pas envie de me souvenir. L’homme de haute taille aux cheveux de nuit qui guidait ma main avec une espèce de tendresse douloureuse, réprimée, je l’avais toujours aimé, n’est-ce pas ? je me souvenais de cela. Nous étions dans cette vieille cour aux pavés ébréchés, je m’étais plutôt bien battue, il me regardait en souriant et je le lui ai dit :
« Je me souviens que je t’aime. »
Et le sourire s’est éteint, il y avait cette espèce d’affreuse douleur sur son visage que je ne comprenais pas — ou qu’elle ne comprenait pas, comment pourrais-je maintenant ne pas la comprendre —, il a dit : «Non», il a fait demi-tour, il est rentré dans la maison. J’ai crispé mes mains sur l’épée, j’ai donné un grand coup dans le premier arbre et j’ai fendu le tronc jusqu’au cœur. Personne n’avait une telle force, en tout cas pas une jeune fille comme moi, alors il avait dit la vérité et les miens étaient bien ces princes-sorciers aux pouvoirs démesurés — et si moi je ne voulais pas ?
Il tisonnait le feu avec des gestes brusques qui ne lui ressemblaient pas, car il avait la main la plus sûre que je connaisse. Je suis restée appuyée au mur derrière lui, j’ai murmuré :
« Tu ne me crois pas.
— Tu ne peux pas avoir un tel souvenir. » Il parlait sans se retourner, je savais bien pourquoi. J’ai demandé : « Je ne te connaissais pas, … avant ? »
Il a hésité : « Si peu. Nous n’avions pas… ce genre de rapports.
— Je t’aimais. Je t’aime. C’est la seule chose dont je sois sûre.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, Morgana. »
Il y avait quelque chose qui l’effrayait mais je ne voulais pas m’y arrêter. Je suis venue près de lui. Le feu brûlait trop haut et ma peau me cuisait. J’ai dit : « Je suis une princesse, une sorcière ?
— Oui, et plus encore.
— Ce que je suis m’interdirait de t’aimer ?
— On peut le dire comme cela. »
J’ai souri. Maintenant je me sentais ivre et forte, et assurée. J’ai dit : «Heureusement j’ai perdu la mémoire, grâces en soient rendues aux dieux, je ne suis plus que Morgana et ma mémoire comme le reste est entre tes mains. » Très vite j’ai passé les doigts dans les flammes, il a crié, saisi ma main, je n’avais pas très mal, j’ai dit : « Il y a toutes sortes de baptêmes. », il a posé ses lèvres sur la brûlure, je n’avais plus mal du tout, « Toi aussi tu es un sorcier, David. » et je pouvais voir son amour et son désir mais il dit : « Je ne peux pas faire ça, je ne dois pas. » et il s’est enfui encore une fois.
(Journal de Morgana)
lundi 18 septembre 2006
HELVÉTIQUES
"Moi je crois... à l'imagination dorée des Celtes, à l'imagination luxuriante des Tropiques... à celle du vaudou aussi -- mais j'ai des doutes quant à l'imagination suisse."
Corto Maltese, Les Helvétiques
Et j'étais comme Corto. Comme tout le monde. La Suisse n'a rien à voir avec l'imagination. C'est un pays de fromages sans trous, de chocolat avec trop de lait, de pommes sur la tête, de banques, et de soldats qui restent à la maison ou montent la garde à la porte du Pape.
Seulement voilà, Hugo Pratt a choisi de vivre en Suisse. Et Rousseau était Suisse. Et Cendrars aussi, et Nicolas Bouvier. Ou oublie tout ça. On les croit Français.
Est-ce qu'on se tromperait alors? Est-ce que tout le monde se tromperait? Qu'y a-t-il donc de si spécial en Suisse? ai-je demandé à Dream, que je m'obstine à appeler Daniel.
C'était la nuit dernière, j'étais blottie dans un rêve alpin, sur un lit d'enfant à montants de cuivre, posé sur un chemin de montagne, vue sur la vallée — et Daniel a souri:
— Mais la Suisse est un rêve.
— Tu plaisantes, là.
— La Suisse est un rêve, vraiment. Elle est née dans le Dreaming. Et le pacte entre elle et mon royaume n'a jamais été rompu.
Je l'ai regardé sans oser le croire. Il s'est installé plus confortablement sur le bord de mon lit, pour m'expliquer.
— Comment crois-tu qu'elle aurait pu naître, sinon ? Et survivre? Allons, une absurde confédération de cantons, à l'ère des Empires médiévaux? Pile au carrefour des plus rudes belligérants d'Europe? Des cantons qui ne parlent pas la même langue, ne s'agenouillent pas dans les mêmes temples? Qui se toquent de démocratie directe mais engrangent les réserves d'or les plus célèbres de la planète? Ça te semble réel? Ça te semble pouvoir être autre chose qu'un rêve?
— Oh, Dieu, dis-je. Alors c'est pour ça...
— Qu'on raconte que le Graal, et Fafnir et les Nibelungen, ont séjourné en Suisse. Dans le Dreaming, donc. Pour ça aussi que les Suisses ont toujours accueilli les Rêveurs, cela faisait partie du Pacte. Les accueillir. Les laisser partir. Les rêveurs de Dieu, les huguenots. Les rêveurs politiques comme Lénine. Les rêveurs littéraires, Hermann Hesse, Thomas Mann et les autres.
— Et c'est pour ça que tant de rêves y sont nés, aussi.
— Tout à fait. La Réforme. Le mouvement Dada. La Société des Nations. Il y a même une ville de Sion, en Suisse.
— Et Hugo Pratt le savait, bien sûr, c'est pour ça qu'il s'est installé ici, et que la pension des Helvétiques s'appelle Pension Morphée, rêves garantis.
— Les écrivains le devinent, oui. Ils ont toujours eu un accès privilégié au Rêve. Toi-même en avais l'intuition, voilà pourquoi...
— Voilà pourquoi j'ai commencé autrefois ce texte-là, sur Genève que je n'ai jamais vue, sur Genève et sa folie, Genève et ses Exilés.
— Oui.
— Oh, Daniel.
— Et il en sera toujours ainsi. La Suisse s'est bâtie dans le Dreaming, elle lui reste liée. C'est un des secrets les mieux gardés d'Europe.
Corto Maltese, Les Helvétiques
Et j'étais comme Corto. Comme tout le monde. La Suisse n'a rien à voir avec l'imagination. C'est un pays de fromages sans trous, de chocolat avec trop de lait, de pommes sur la tête, de banques, et de soldats qui restent à la maison ou montent la garde à la porte du Pape.
Seulement voilà, Hugo Pratt a choisi de vivre en Suisse. Et Rousseau était Suisse. Et Cendrars aussi, et Nicolas Bouvier. Ou oublie tout ça. On les croit Français.
Est-ce qu'on se tromperait alors? Est-ce que tout le monde se tromperait? Qu'y a-t-il donc de si spécial en Suisse? ai-je demandé à Dream, que je m'obstine à appeler Daniel.
C'était la nuit dernière, j'étais blottie dans un rêve alpin, sur un lit d'enfant à montants de cuivre, posé sur un chemin de montagne, vue sur la vallée — et Daniel a souri:
— Mais la Suisse est un rêve.
— Tu plaisantes, là.
— La Suisse est un rêve, vraiment. Elle est née dans le Dreaming. Et le pacte entre elle et mon royaume n'a jamais été rompu.
Je l'ai regardé sans oser le croire. Il s'est installé plus confortablement sur le bord de mon lit, pour m'expliquer.
— Comment crois-tu qu'elle aurait pu naître, sinon ? Et survivre? Allons, une absurde confédération de cantons, à l'ère des Empires médiévaux? Pile au carrefour des plus rudes belligérants d'Europe? Des cantons qui ne parlent pas la même langue, ne s'agenouillent pas dans les mêmes temples? Qui se toquent de démocratie directe mais engrangent les réserves d'or les plus célèbres de la planète? Ça te semble réel? Ça te semble pouvoir être autre chose qu'un rêve?
— Oh, Dieu, dis-je. Alors c'est pour ça...
— Qu'on raconte que le Graal, et Fafnir et les Nibelungen, ont séjourné en Suisse. Dans le Dreaming, donc. Pour ça aussi que les Suisses ont toujours accueilli les Rêveurs, cela faisait partie du Pacte. Les accueillir. Les laisser partir. Les rêveurs de Dieu, les huguenots. Les rêveurs politiques comme Lénine. Les rêveurs littéraires, Hermann Hesse, Thomas Mann et les autres.
— Et c'est pour ça que tant de rêves y sont nés, aussi.
— Tout à fait. La Réforme. Le mouvement Dada. La Société des Nations. Il y a même une ville de Sion, en Suisse.
— Et Hugo Pratt le savait, bien sûr, c'est pour ça qu'il s'est installé ici, et que la pension des Helvétiques s'appelle Pension Morphée, rêves garantis.
— Les écrivains le devinent, oui. Ils ont toujours eu un accès privilégié au Rêve. Toi-même en avais l'intuition, voilà pourquoi...
— Voilà pourquoi j'ai commencé autrefois ce texte-là, sur Genève que je n'ai jamais vue, sur Genève et sa folie, Genève et ses Exilés.
— Oui.
— Oh, Daniel.
— Et il en sera toujours ainsi. La Suisse s'est bâtie dans le Dreaming, elle lui reste liée. C'est un des secrets les mieux gardés d'Europe.
dimanche 17 septembre 2006
PRÉSENCE/ABSENCE
Partant en Ecosse je te laissais en viatique, dans le même temps, des Règles d'Absence et des Lois de Présence, et aussi le refus de toute règle, de toute chaîne.
Les chaînes sont venues malgré nous.
Aussi la présence et l'absence.
Mais voilà. Tu m'as dit : Tu ne me quittes pas; tu m'as dit: Ton absence n'en est pas une. et ces mots deviennent vrais pour moi.
Tu ne me quittes pas. Tu es là. Tes mots se faufilent à mon oreille, ta gravité, tes sourires imprévus.
Tu es là quand je m'éveille. Tu m'empêches parfois de m'endormir.
Tu es là parce qu'à chaque heure de ma vie il y a des choses à partager avec toi, des idées, des découvertes, des rires, des rêves.
Tu es dans chaque pièce de ma maison, dans chaque morceau de mon iPod.
Tu es dans les longs trajets en voiture.
Tu es dans mon lit, bien sûr.
Et parfois l'espace se tord, je me vois à tes côtés, tu te vois près de moi, et nous sommes réunis vraiment, et je te souris comme ce premier sourire, comme cette première fois, je te souris de toute ma kryptonite attendrie et je te vois vaciller.
Je t'aime.
Les chaînes sont venues malgré nous.
Aussi la présence et l'absence.
Mais voilà. Tu m'as dit : Tu ne me quittes pas; tu m'as dit: Ton absence n'en est pas une. et ces mots deviennent vrais pour moi.
Tu ne me quittes pas. Tu es là. Tes mots se faufilent à mon oreille, ta gravité, tes sourires imprévus.
Tu es là quand je m'éveille. Tu m'empêches parfois de m'endormir.
Tu es là parce qu'à chaque heure de ma vie il y a des choses à partager avec toi, des idées, des découvertes, des rires, des rêves.
Tu es dans chaque pièce de ma maison, dans chaque morceau de mon iPod.
Tu es dans les longs trajets en voiture.
Tu es dans mon lit, bien sûr.
Et parfois l'espace se tord, je me vois à tes côtés, tu te vois près de moi, et nous sommes réunis vraiment, et je te souris comme ce premier sourire, comme cette première fois, je te souris de toute ma kryptonite attendrie et je te vois vaciller.
Je t'aime.
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