Suite de la contrainte, dans la rubrique Regarder en arrière:
"Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus." (Marcel Proust) Quels paradis avez-vous perdus?
J'ai souvent parlé de cela, cette division des êtres en deux domaines, ceux qui ont un paradis perdu et ceux qui n'en ont pas. J'ai souvent parlé d'exil. Mais je n'ai pas de paradis perdu.
Bien sûr (en fait cela n'a rien d'une certitude universelle), je me souviens avec plaisir de mes étés d'enfant dans les Alpes, innocents et cruels, libres, audacieux, sauvages. Du sentiment de pouvoir factice qui naît de la solitude et de la manipulation, le pouvoir exercé sur ma compagne de jeux de ce temps-là (néanmoins aimée, mais si douce, si passive, si vulnérable en face de mes folies) et sur un environnement dont nous étions les maîtresses, que nous arpentions, cartographions, déchiffrions. Le torrent et ses trous d'eau, le petit bois et ses ombres, la cascade et ses défis, le grand pré pentu et ses roulades, la maison abandonnée et ses interdits, tout cela à portée de nos pas de fillettes, sans frein adulte. Plus loin, la rivière au nom draconique, avec la richesse de ses argiles et ses ilôts de pierre sur lesquels on pouvait être capitaine, défiant les pirates. Plus loin, la grande forêt, ses légendes, ses grands rocs que l'on pouvait gravir, du sommet desquels on pouvait, sonnant du cor, être un chevalier ou un héros celte.
Mais je n'ai pas de nostalgie à y repenser. La femme que je suis ne regrette pas l'enfant.
Alors?
Au creux des rêves, le souvenir diffus de terres plus lointaines, dont je suis comme tous à jamais exilée. Les îles au-delà des mers, à l'Ouest, les royaumes secrets des fées, les paysages d'Onirie dont le réveil me chasse, le havre sublime de Rivendell, les tours d'argent d'Avalon... Ceux-là sont des paradis perdus, j'imagine. Comme le sont les bras de tous les bien-aimés qui sont au loin.
jeudi 29 décembre 2005
mercredi 28 décembre 2005
QUESTIONS DU JOUR (DÉCLENCHEUR)
Je viens de découvrir (en quête de travaux d'écriture pour mes élèves), une remarquable liste de "questions du jour" pour diaristes en mal d'inspiration :
http://www.colba.net/~micheles/dujourf.htm
J'aime à expérimenter d'abord les sujets que je leur donne, exercice que nous oublions trop souvent, et je vais donc me livrer ici, jour après jour, à répondre à l'une de ces questions.
Il est juste que pour moi la contrainte soit plus rigide que pour eux : je choisirai une question par thème, dans l'ordre.
Aujourd'hui, donc, dans Parlez moi de vous..., une question à laquelle je m'apprêtais de toute façon à répondre ici, car son urgence venait de m'apparaître (c'est le propre des meilleures questions et des meilleures contraintes) Quand avez-vous le sentiment d'être réellement vous-même?
Pendant les vacances. Pas lorsque je travaille, hélas. Pas lorsque je prends ma voiture pour accomplir le long trajet familier qui traverse la nuit pour me conduire en un lieu de champs et d'arbres, perdu dans un no-man's-land. Pas lorsque je joue le jeu, prépare mes cours, corrige mes copies, parle à mes collègues, réponds à mes élèves. Non que je m'y sente déplacée, ni que cela ne soit pas amusant parfois, intéressant souvent. C'est peut-être le plus effrayant : la facilité avec laquelle j'endosse ce costume et ce rôle. La facilité avec laquelle je cesse d'être réellement moi-même. J'ai déjà évoqué ma surprise lorsque ces rôles se mêlent.
Je me sens moi-même, réelle, vraie, lorsque je suis seule avec un être que j'aime.
Ou lorsqu'une solution m'apparaît, lorsque des éléments disparates s'organisent enfin pour composer l'histoire, révéler l'énigme.
Lorsque je ris de bonheur en découvrant une clef, une traduction, un lien, un secret.
Lorsque je souris ou pleure en relisant le texte tout juste achevé.
Je suis moi-même dans ces joies-là qui sont celles de l'intellect, de la création, de l'amour, du déchiffrement du monde.
http://www.colba.net/~micheles/dujourf.htm
J'aime à expérimenter d'abord les sujets que je leur donne, exercice que nous oublions trop souvent, et je vais donc me livrer ici, jour après jour, à répondre à l'une de ces questions.
Il est juste que pour moi la contrainte soit plus rigide que pour eux : je choisirai une question par thème, dans l'ordre.
Aujourd'hui, donc, dans Parlez moi de vous..., une question à laquelle je m'apprêtais de toute façon à répondre ici, car son urgence venait de m'apparaître (c'est le propre des meilleures questions et des meilleures contraintes) Quand avez-vous le sentiment d'être réellement vous-même?
Pendant les vacances. Pas lorsque je travaille, hélas. Pas lorsque je prends ma voiture pour accomplir le long trajet familier qui traverse la nuit pour me conduire en un lieu de champs et d'arbres, perdu dans un no-man's-land. Pas lorsque je joue le jeu, prépare mes cours, corrige mes copies, parle à mes collègues, réponds à mes élèves. Non que je m'y sente déplacée, ni que cela ne soit pas amusant parfois, intéressant souvent. C'est peut-être le plus effrayant : la facilité avec laquelle j'endosse ce costume et ce rôle. La facilité avec laquelle je cesse d'être réellement moi-même. J'ai déjà évoqué ma surprise lorsque ces rôles se mêlent.
Je me sens moi-même, réelle, vraie, lorsque je suis seule avec un être que j'aime.
Ou lorsqu'une solution m'apparaît, lorsque des éléments disparates s'organisent enfin pour composer l'histoire, révéler l'énigme.
Lorsque je ris de bonheur en découvrant une clef, une traduction, un lien, un secret.
Lorsque je souris ou pleure en relisant le texte tout juste achevé.
Je suis moi-même dans ces joies-là qui sont celles de l'intellect, de la création, de l'amour, du déchiffrement du monde.
mardi 27 décembre 2005
L'ÉPREUVE DU VISAGE OBSCUR
C'était un songe récurrent. L'un de ceux qui émaillent souvent mes parcours d'amante chevaleresque, en cette région du Rêve où l'on se met soi-même à l'épreuve.
Car l'amour n'est pas donné à jamais, il doit être remis en question — l'amour n'est pas une chose fixe, un territoire cartographié, il faut sans cesse repousser ses limites — prendre des risques.
Lui imposer des épreuves pour voir jusqu'où, vraiment, mène ce chemin.
Et c'était l'une de ces épreuves.
Le sorcier de ma conscience me donnait à voir tous les côtés négatifs du bien-aimé. "Voici ce qu'il est. Regarde. Est-il digne d'être aimé, vraiment ? Est-il digne des risques que tu prends ? Mérite-t-il ton périple ici ?"
Et il faut, bien sûr, que le noir tableau soit exact. Subjectif peut-être, partial sans doute, mais vrai. Ou ce n'est pas de jeu. Ou il serait trop facile de rejeter l'épreuve d'un éclat de rire, comme le château de cartes d'Alice.
Non, c'était l'Epreuve du Visage Obscur, parce qu'il s'agissait de regarder les ombres sur le visage aimé, de les regarder en face, d'accepter leur réalité et d'y répondre. Un équilibre à trouver entre la tentation du déni et le risque de la folie sacrificielle, car l'amour doit se frayer un chemin entre les deux.
Et il le trouvait, je le trouvais. Mon moi onirique est brave, mon âme de lumière et d'acier, je le trouvais, avec fierté. Chaque fois je le trouvais, pour chacun de mes bien-aimés.
Mais c'était un rêve, n'est-ce pas ? Une épreuve que je n'avais passée que dans les Terres du bienveillant Morphée, qui toujours me fut doux.
Dans le monde de l'Eveil, je n'avais mené que des escarmouches, face à ce visage-là. Les escarmouches que mènent tous ceux qui aiment et qui voient, celles qui nous font sourire tendrement d'un défaut de l'aimé(e), ou le combattre avec amusement, ou l'intégrer à la vaste toile toujours retouchée des longues et profondes amours.
Dans le monde de l'Eveil, l'épreuve était moins terrible, et je pouvais donc être brave aussi, et mon amour de joie et d'airain.
Jusqu'à avant-hier.
Car avant-hier j'ai regardé en face le visage d'ombre d'un bien-aimé. Je l'avais pourtant déjà entrevu et frôlé maintes fois, je l'avais pourtant apprivoisé déjà, accepté déjà, avec toujours la même folle lumière, la même absurde bravoure. Et pourtant son ombre à lui est bien noire, bien noire, bien cruelle, en vérité.
Mais l'Epreuve est tellement plus que cela. Avant-hier j'ai regardé en face, peint de chatoyantes couleurs, mis en scène dans une dramatique narration, ce visage-là. Ce qu'un autre verrait en lui. Ce qui est en lui, ce que je peux voir en lui, mais —
Oh. Et l'ombre qui s'est abattue sur moi alors, le froid qui m'a saisie alors, le vide qui a enserré mon coeur, le silence affreux de mon esprit cherchant sa réponse, une réponse, il devait y en avoir une, j'en avais toujours trouvé une, si aisément, j'ai une telle habitude de ces joutes... L'ombre, le froid, le silence, la peur.
C'est avant-hier seulement que j'ai vu ce qu'elle était, à quoi elle ressemblait, dans le monde glacé et précis de l'Eveil — l'Epreuve du Visage Obscur.
C'est avant-hier seulement qu'elle est devenue une épreuve.
Car l'amour n'est pas donné à jamais, il doit être remis en question — l'amour n'est pas une chose fixe, un territoire cartographié, il faut sans cesse repousser ses limites — prendre des risques.
Lui imposer des épreuves pour voir jusqu'où, vraiment, mène ce chemin.
Et c'était l'une de ces épreuves.
Le sorcier de ma conscience me donnait à voir tous les côtés négatifs du bien-aimé. "Voici ce qu'il est. Regarde. Est-il digne d'être aimé, vraiment ? Est-il digne des risques que tu prends ? Mérite-t-il ton périple ici ?"
Et il faut, bien sûr, que le noir tableau soit exact. Subjectif peut-être, partial sans doute, mais vrai. Ou ce n'est pas de jeu. Ou il serait trop facile de rejeter l'épreuve d'un éclat de rire, comme le château de cartes d'Alice.
Non, c'était l'Epreuve du Visage Obscur, parce qu'il s'agissait de regarder les ombres sur le visage aimé, de les regarder en face, d'accepter leur réalité et d'y répondre. Un équilibre à trouver entre la tentation du déni et le risque de la folie sacrificielle, car l'amour doit se frayer un chemin entre les deux.
Et il le trouvait, je le trouvais. Mon moi onirique est brave, mon âme de lumière et d'acier, je le trouvais, avec fierté. Chaque fois je le trouvais, pour chacun de mes bien-aimés.
Mais c'était un rêve, n'est-ce pas ? Une épreuve que je n'avais passée que dans les Terres du bienveillant Morphée, qui toujours me fut doux.
Dans le monde de l'Eveil, je n'avais mené que des escarmouches, face à ce visage-là. Les escarmouches que mènent tous ceux qui aiment et qui voient, celles qui nous font sourire tendrement d'un défaut de l'aimé(e), ou le combattre avec amusement, ou l'intégrer à la vaste toile toujours retouchée des longues et profondes amours.
Dans le monde de l'Eveil, l'épreuve était moins terrible, et je pouvais donc être brave aussi, et mon amour de joie et d'airain.
Jusqu'à avant-hier.
Car avant-hier j'ai regardé en face le visage d'ombre d'un bien-aimé. Je l'avais pourtant déjà entrevu et frôlé maintes fois, je l'avais pourtant apprivoisé déjà, accepté déjà, avec toujours la même folle lumière, la même absurde bravoure. Et pourtant son ombre à lui est bien noire, bien noire, bien cruelle, en vérité.
Mais l'Epreuve est tellement plus que cela. Avant-hier j'ai regardé en face, peint de chatoyantes couleurs, mis en scène dans une dramatique narration, ce visage-là. Ce qu'un autre verrait en lui. Ce qui est en lui, ce que je peux voir en lui, mais —
Oh. Et l'ombre qui s'est abattue sur moi alors, le froid qui m'a saisie alors, le vide qui a enserré mon coeur, le silence affreux de mon esprit cherchant sa réponse, une réponse, il devait y en avoir une, j'en avais toujours trouvé une, si aisément, j'ai une telle habitude de ces joutes... L'ombre, le froid, le silence, la peur.
C'est avant-hier seulement que j'ai vu ce qu'elle était, à quoi elle ressemblait, dans le monde glacé et précis de l'Eveil — l'Epreuve du Visage Obscur.
C'est avant-hier seulement qu'elle est devenue une épreuve.
vendredi 16 décembre 2005
L'ESPRIT BLESSÉ DE NOËL
J'aime Noël. Pour toutes sortes de bonnes et mauvaises raisons. Ce n'est pas branché, d'aimer Noël, je sais bien. A Noël, les jeunes adultes égrènent leurs traumatismes familiaux, les jeunes cyniques moquent l'ambiance fleur bleue/rose bonbon, les jeunes anti-capitalistes conspuent le mercantilisme triomphant, les athées s'insurgent contre cet arrogant symbole religieux.
Et moi qui ne suis ni vraiment capitaliste ni vraiment catholique, j'aime toujours, j'ai toujours aimé, le temps de Noël.
J'aime les couleurs vives qui repeignent les villes, de rouge velours, de vert forêt, de blanc neigeux, d'or et d'argent. J'aime les étoiles qui émaillent les rues d'étranges constellations. J'aime les sourires des gens. J'aime qu'on s'y préoccupe soudain du cadeau qui va plaire, qui va toucher. J'aime qu'on s'y souvienne soudain de gens auxquels on n'a pas écrit de l'année, et se sente coupable, et prenne un peu de notre précieux temps pour le faire. J'aime entendre d'angéliques choeurs chanter l'amour pour les hommes de bonne volonté. J'aime rire et pleurer devant la Pastorale, du "mistral qui souffle à décorner les taureaux de Camargue" à l'Aveugle qui refuse son propre miracle, et déclare qu'il n'a pas désir de retrouver la vue, sauf à l'heure de sa mort, "quand ça vaudra vraiment la peine de voir"...
Je souris, chaque année, aux disputes bon enfant de Pistachié et de sa femme. Je pleure chaque année en écoutant le Berger.
J'aime cet Esprit qui descend sur les hommes, même si on y croit pas, simplement par la force de la collectivité. J'aime qu'on y donne plus volontiers aux mendiants. J'aime me souvenir des trêves spontanées de Noël dans les tranchées. J'aime l'espoir qui renaît sans raison. J'aime la naissance de l'année nouvelle, de l'illusion nouvelle d'un monde meilleur, envers et contre tout. J'aime que le Verbe se soit fait chair, j'aime que nos phrases faciles se fassent réelles aussi, au moins pour quelques semaines.
J'aime tout cela, malgré tout, et dans ce tout il y a tous ceux qui sont loin des villes illuminées, il y a toutes les guerres sans trêve, tous les foyers sans feu, il y a les hommes qui meurent de froid et les longues files devant les Restos du Coeur, il y a les 50 autres semaines de l'année.
Et malgré tout, j'aime Noël, et son Esprit n'en finit pas d'illuminer les yeux.
Seulement voilà: en rentrant chez moi, ce soir, dans les premières minutes de mes vacances, j'apprends qu'un élève a poignardé son enseignante.
Et les étoiles s'éteignent.
C'est tout bête, c'est moins grave que bien des événements, mais les étoiles s'éteignent. Pas parce que l'enseignante avait mon âge. Parce que le prétexte de l'élève, l'élément déclencheur était le refus d'enlever son blouson. Et tout enseignant ne peut qu'être pétrifié devant l'absolue banalité, l'absolu réalisme de la scène. Et moi-même ne puis que constater à quel point ce drame est révélateur. A quel point les élèves, surtout issus de milieux défavorisés, en sont venus à considérer la plupart de leurs enseignants comme "l'ennemi". Cette rupture-là, ce point de non-retour, ce renversement des rôles — je n'arrive pas à en identifier clairement l'origine. L'erreur monumentale qui nous a menés là.
Et l'esprit de Noël se prend une sacrée gifle, une sale, crade, sanglante. Une dont on n'est pas sûr de se relever.
Et moi qui ne suis ni vraiment capitaliste ni vraiment catholique, j'aime toujours, j'ai toujours aimé, le temps de Noël.
J'aime les couleurs vives qui repeignent les villes, de rouge velours, de vert forêt, de blanc neigeux, d'or et d'argent. J'aime les étoiles qui émaillent les rues d'étranges constellations. J'aime les sourires des gens. J'aime qu'on s'y préoccupe soudain du cadeau qui va plaire, qui va toucher. J'aime qu'on s'y souvienne soudain de gens auxquels on n'a pas écrit de l'année, et se sente coupable, et prenne un peu de notre précieux temps pour le faire. J'aime entendre d'angéliques choeurs chanter l'amour pour les hommes de bonne volonté. J'aime rire et pleurer devant la Pastorale, du "mistral qui souffle à décorner les taureaux de Camargue" à l'Aveugle qui refuse son propre miracle, et déclare qu'il n'a pas désir de retrouver la vue, sauf à l'heure de sa mort, "quand ça vaudra vraiment la peine de voir"...
Je souris, chaque année, aux disputes bon enfant de Pistachié et de sa femme. Je pleure chaque année en écoutant le Berger.
J'aime cet Esprit qui descend sur les hommes, même si on y croit pas, simplement par la force de la collectivité. J'aime qu'on y donne plus volontiers aux mendiants. J'aime me souvenir des trêves spontanées de Noël dans les tranchées. J'aime l'espoir qui renaît sans raison. J'aime la naissance de l'année nouvelle, de l'illusion nouvelle d'un monde meilleur, envers et contre tout. J'aime que le Verbe se soit fait chair, j'aime que nos phrases faciles se fassent réelles aussi, au moins pour quelques semaines.
J'aime tout cela, malgré tout, et dans ce tout il y a tous ceux qui sont loin des villes illuminées, il y a toutes les guerres sans trêve, tous les foyers sans feu, il y a les hommes qui meurent de froid et les longues files devant les Restos du Coeur, il y a les 50 autres semaines de l'année.
Et malgré tout, j'aime Noël, et son Esprit n'en finit pas d'illuminer les yeux.
Seulement voilà: en rentrant chez moi, ce soir, dans les premières minutes de mes vacances, j'apprends qu'un élève a poignardé son enseignante.
Et les étoiles s'éteignent.
C'est tout bête, c'est moins grave que bien des événements, mais les étoiles s'éteignent. Pas parce que l'enseignante avait mon âge. Parce que le prétexte de l'élève, l'élément déclencheur était le refus d'enlever son blouson. Et tout enseignant ne peut qu'être pétrifié devant l'absolue banalité, l'absolu réalisme de la scène. Et moi-même ne puis que constater à quel point ce drame est révélateur. A quel point les élèves, surtout issus de milieux défavorisés, en sont venus à considérer la plupart de leurs enseignants comme "l'ennemi". Cette rupture-là, ce point de non-retour, ce renversement des rôles — je n'arrive pas à en identifier clairement l'origine. L'erreur monumentale qui nous a menés là.
Et l'esprit de Noël se prend une sacrée gifle, une sale, crade, sanglante. Une dont on n'est pas sûr de se relever.
dimanche 4 décembre 2005
PORTRAIT CHINOIS (FIN) : SI J'ÉTAIS TOUT LE RESTE...
Si j'étais un élément, je serais l'air: indépendant, porté à l'abstraction, aux grandes envolées, soucieux d'esprit, d'âme, plus que des réalités physiques, d'évolution plutôt que d'enracinement. Et "quand le vent souffle, je ne suis amoureuse que de lui."
Si j'étais une couleur, je serais le bleu, pas seulement à cause de ma breda, pas seulement à cause de mes yeux qui sont aussi ceux d'Atmeh. Aussi parce que j'ai écrit un jour que tout ce qui importait, la mer le ciel l'encre et nos veines, était bleu. Que ce fût un texte vampirique ne change rien, sinon que par nos veines j'entendais notre amour. L'amour est donc bleu, et pas rouge, comme on le croit souvent, et pas rose non plus.
Si j'étais une légende, je serais peut-être celle d'Ariane, que j'ai beaucoup aimé réécrire. Ariane qui aima et trahit, qui sacrifia peut-être absurdement, qui chemina d'appolinien à dionysiaque, qui devint finalement étoile et phare.
Si j'étais une arme, je ne serais pas une plume, mais une épée, je n'ai jamais réussi à aimer ni estimer une autre arme que celle-ci, honorable, ancienne, absurde, brillante, maîtrisée, dansée presque, presque symbolique. La stupide folie du cher Hugo: "J'aurais été soldat si je n'étais poète."
Si j'étais une terre ou un pays, je serais l'Ecosse, que je porte au coeur, que je ne puis dire en quelques lignes, il faudrait un livre, il faudrait toute une vie, pour cette terre où se mêlent les royaumes, où se reflète l'autre monde, où le soleil se couche sur la vieille Europe.
Si j'étais un vêtement, je serais un corset de velours: rigide et soucieux de contrôle et de paraître, pas un vêtement facile, un vêtement de représentation. A quoi d'autre pourrait servir un vêtement? Il lui faut être tout en même temps armure, arme et parure.
Si j'étais une devise, je serais Aimer les ténèbres tout en combattant pour la lumière. Sans commentaire.
Si j'étais une fleur, je ne serais pas originale. Une rose blanche.
Si j'étais un climat, je serais océanique.
Si j'étais une sculpture, je serais une de celles de Goldsworthy, une de celles qui ont à voir avec le vent et les portes,
mais si j'étais un tableau, je serais beaucoup plus classique et terre à terre, l'Autumn Leaves de Millais.
Si j'étais une boisson, je serais le thé, avec toutes ses britanniques connotations.
Si j'étais une planète, je serais lointaine, une de celles que j'ai créées (Al-Avir?), ou que des écrivains ont rêvées (Ténébreuse?), ou qui se sont abîmées dans une guerre d'étoiles (Alderaan?)
Et si j'étais un véhicule, je serais une navette d'exploration spatiale,
et si j'étais un métier, je pourrais bien être astrophysicienne, et vraiment les étoiles ont toujours eu mon amour, un amour ancien et profond et intense et polymorphe.
Mais si j'étais une drogue je serais la morphine, comme toi
et comme toi si j'étais un sentiment je serais celui de l'exil.
Si j'étais une couleur, je serais le bleu, pas seulement à cause de ma breda, pas seulement à cause de mes yeux qui sont aussi ceux d'Atmeh. Aussi parce que j'ai écrit un jour que tout ce qui importait, la mer le ciel l'encre et nos veines, était bleu. Que ce fût un texte vampirique ne change rien, sinon que par nos veines j'entendais notre amour. L'amour est donc bleu, et pas rouge, comme on le croit souvent, et pas rose non plus.
Si j'étais une légende, je serais peut-être celle d'Ariane, que j'ai beaucoup aimé réécrire. Ariane qui aima et trahit, qui sacrifia peut-être absurdement, qui chemina d'appolinien à dionysiaque, qui devint finalement étoile et phare.
Si j'étais une arme, je ne serais pas une plume, mais une épée, je n'ai jamais réussi à aimer ni estimer une autre arme que celle-ci, honorable, ancienne, absurde, brillante, maîtrisée, dansée presque, presque symbolique. La stupide folie du cher Hugo: "J'aurais été soldat si je n'étais poète."
Si j'étais une terre ou un pays, je serais l'Ecosse, que je porte au coeur, que je ne puis dire en quelques lignes, il faudrait un livre, il faudrait toute une vie, pour cette terre où se mêlent les royaumes, où se reflète l'autre monde, où le soleil se couche sur la vieille Europe.
Si j'étais un vêtement, je serais un corset de velours: rigide et soucieux de contrôle et de paraître, pas un vêtement facile, un vêtement de représentation. A quoi d'autre pourrait servir un vêtement? Il lui faut être tout en même temps armure, arme et parure.
Si j'étais une devise, je serais Aimer les ténèbres tout en combattant pour la lumière. Sans commentaire.
Si j'étais une fleur, je ne serais pas originale. Une rose blanche.
Si j'étais un climat, je serais océanique.
Si j'étais une sculpture, je serais une de celles de Goldsworthy, une de celles qui ont à voir avec le vent et les portes,
mais si j'étais un tableau, je serais beaucoup plus classique et terre à terre, l'Autumn Leaves de Millais.
Si j'étais une boisson, je serais le thé, avec toutes ses britanniques connotations.
Si j'étais une planète, je serais lointaine, une de celles que j'ai créées (Al-Avir?), ou que des écrivains ont rêvées (Ténébreuse?), ou qui se sont abîmées dans une guerre d'étoiles (Alderaan?)
Et si j'étais un véhicule, je serais une navette d'exploration spatiale,
et si j'étais un métier, je pourrais bien être astrophysicienne, et vraiment les étoiles ont toujours eu mon amour, un amour ancien et profond et intense et polymorphe.
Mais si j'étais une drogue je serais la morphine, comme toi
et comme toi si j'étais un sentiment je serais celui de l'exil.
jeudi 1 décembre 2005
PORTRAIT CHINOIS (4) : SI J'ÉTAIS UN PÉCHÉ CAPITAL...
Je serais l'orgueil.
Je suis l'orgueil.
Que l'on accepte ou pas l'idée de péché, l'orgueil est bien un vice, et un cercle vicieux. Dont je ne me sors pas.
Je peux rationaliser, lui trouver des causes, dès mon enfance.
Je peux lui rendre la monnaie de sa pièce, et décider d'admirer les autres, ériger en art le compliment, en même temps immense et sincère, honnête et hyperbolique.
Je peux le transformer en système de valeurs, exiger de moi toujours davantage.
Mais je n'en sors pas: quand je m'oblige à l'autocritique, on loue ma lucidité; quand je donne, on loue ma générosité; quand... assez.
Et qui n'aime pas les compliments? La question n'est pas si rhétorique qu'elle le semble: il existe, vraiment, quelques êtres qui n'aiment pas vraiment les compliments. J'en connais au moins un.
La vérité est là pourtant, dans ce jugement impitoyable d'acuité porté sur moi, il y a plus de 10 ans, par une fille que je connaissais à peine et dont j'ai oublié le visage et le nom. Je n'ai pas oublié ses mots, justes et redoutables, que je mérite toujours.
"Cette fille (a-t-elle dit, parlant de moi) est un monstre d'orgueil. Elle est tellement orgueilleuse qu'elle nous traite avec la plus grande amabilité."
Et ce n'est pas un paradoxe. C'est la vérité. Ma bonté et ma courtoisie ne sont que de l'orgueil. Je n'en sors pas.
Je suis l'orgueil.
Que l'on accepte ou pas l'idée de péché, l'orgueil est bien un vice, et un cercle vicieux. Dont je ne me sors pas.
Je peux rationaliser, lui trouver des causes, dès mon enfance.
Je peux lui rendre la monnaie de sa pièce, et décider d'admirer les autres, ériger en art le compliment, en même temps immense et sincère, honnête et hyperbolique.
Je peux le transformer en système de valeurs, exiger de moi toujours davantage.
Mais je n'en sors pas: quand je m'oblige à l'autocritique, on loue ma lucidité; quand je donne, on loue ma générosité; quand... assez.
Et qui n'aime pas les compliments? La question n'est pas si rhétorique qu'elle le semble: il existe, vraiment, quelques êtres qui n'aiment pas vraiment les compliments. J'en connais au moins un.
La vérité est là pourtant, dans ce jugement impitoyable d'acuité porté sur moi, il y a plus de 10 ans, par une fille que je connaissais à peine et dont j'ai oublié le visage et le nom. Je n'ai pas oublié ses mots, justes et redoutables, que je mérite toujours.
"Cette fille (a-t-elle dit, parlant de moi) est un monstre d'orgueil. Elle est tellement orgueilleuse qu'elle nous traite avec la plus grande amabilité."
Et ce n'est pas un paradoxe. C'est la vérité. Ma bonté et ma courtoisie ne sont que de l'orgueil. Je n'en sors pas.
dimanche 27 novembre 2005
PORTRAIT CHINOIS (3) : SI J'ÉTAIS UN PERSONNAGE DE ROMAN...
e serais peut-être Oroshi Mélicerte l'aéromaître(sse) de La Horde du Contrevent d'Alain Damasio.
Pour son exigence intellectuelle, pour son apparente froideur aristocratique, pour ce côté intimidant, pour ce sens de la quête qui l'habite et l'oriente, pour son affection protectrice envers les femmes plus fragiles, pour l'intensité et le secret de son feu, la curiosité du monde poussée jusqu'au bout, jusqu'à l'absolu, jusqu'au risque ultime, au sein de sa propre chair. Même pour ses goûts amoureux: Pietro et Caracole comme les deux aspects de l'Amant, et la sensibilité de Sov comme le nom-même du Compagnon, à l'Extrême-Amont du monde.
Je serais Oroshi Mélicerte.
Ou bien je serais Atmeh, Sovaz, Ajriaz dans Le Dit de la Terre Plate de Tanith Lee. Pour les couleurs qu'elle porte, pour la route qu'elle suit, pour ses sortilèges, parce qu'elle n'est pas toujours bonne et humaine, parce qu'elle se bat sans relâche pour le devenir, pour sa relation avec son père Ajrarn, pour son amour pour le Prince La Folie, pour la folie de ses propres choix, pour l'amour qu'elle incarne peut-être elle-même, pour l'immensité du pardon qui est dans sa nature comme dans celle de sa mère. Pour son voyage et sa quête, encore. Parce qu'elle sait que le secret du monde est évolution. Changer ou mourir. Et que parfois les deux ne s'opposent pas: mourir et changer, mourir pour changer, pour avancer, pour évoluer.
Ou bien, toujours de Tanith Lee, je serais l'héroïne sans nom du Bain des Limbes. Pour sa lutte entre superficiel et profondeur, entre folie et sagesse, entre consécration et caprice, pour son androgynie à dominante féminine, pour ses goûts romantiques pour les poètes maudits, l'escrime et le drame, pour la voie qu'elle crée, pour sa vanité et son charisme volatil.
Elle aussi bifurque, change.
Enfant, j'aurais été, beaucoup plus sagement, la Sara Crewe de Petite Princesse de Frances H. Burnett, encore une figure de savoir et de protection, mais plus docile, qui crée des merveilles par le pouvoir du verbe, et s'efforce en toutes circonstances de se comporter en princesse. On n'est pas loin, avec Sara, de cette proclamation de la Mrs Dalloway de Virginia Woolf: "Those ruffians, the Gods, shan't have it all their own way—her notion being that the Gods who never lost a chance of hurting thwarting and spoiling human lives, were seriously put out if, all the same, you behaved like a lady."
Pour son exigence intellectuelle, pour son apparente froideur aristocratique, pour ce côté intimidant, pour ce sens de la quête qui l'habite et l'oriente, pour son affection protectrice envers les femmes plus fragiles, pour l'intensité et le secret de son feu, la curiosité du monde poussée jusqu'au bout, jusqu'à l'absolu, jusqu'au risque ultime, au sein de sa propre chair. Même pour ses goûts amoureux: Pietro et Caracole comme les deux aspects de l'Amant, et la sensibilité de Sov comme le nom-même du Compagnon, à l'Extrême-Amont du monde.
Je serais Oroshi Mélicerte.
Ou bien je serais Atmeh, Sovaz, Ajriaz dans Le Dit de la Terre Plate de Tanith Lee. Pour les couleurs qu'elle porte, pour la route qu'elle suit, pour ses sortilèges, parce qu'elle n'est pas toujours bonne et humaine, parce qu'elle se bat sans relâche pour le devenir, pour sa relation avec son père Ajrarn, pour son amour pour le Prince La Folie, pour la folie de ses propres choix, pour l'amour qu'elle incarne peut-être elle-même, pour l'immensité du pardon qui est dans sa nature comme dans celle de sa mère. Pour son voyage et sa quête, encore. Parce qu'elle sait que le secret du monde est évolution. Changer ou mourir. Et que parfois les deux ne s'opposent pas: mourir et changer, mourir pour changer, pour avancer, pour évoluer.
Ou bien, toujours de Tanith Lee, je serais l'héroïne sans nom du Bain des Limbes. Pour sa lutte entre superficiel et profondeur, entre folie et sagesse, entre consécration et caprice, pour son androgynie à dominante féminine, pour ses goûts romantiques pour les poètes maudits, l'escrime et le drame, pour la voie qu'elle crée, pour sa vanité et son charisme volatil.
Elle aussi bifurque, change.
Enfant, j'aurais été, beaucoup plus sagement, la Sara Crewe de Petite Princesse de Frances H. Burnett, encore une figure de savoir et de protection, mais plus docile, qui crée des merveilles par le pouvoir du verbe, et s'efforce en toutes circonstances de se comporter en princesse. On n'est pas loin, avec Sara, de cette proclamation de la Mrs Dalloway de Virginia Woolf: "Those ruffians, the Gods, shan't have it all their own way—her notion being that the Gods who never lost a chance of hurting thwarting and spoiling human lives, were seriously put out if, all the same, you behaved like a lady."
jeudi 24 novembre 2005
PORTRAIT CHINOIS (2) : SI J'ÉTAIS UNE LETTRE...
je serais, pour une fois sans hésitation, le D.
Comme je l'ai écrit dans un de mes propres textes :
"Car tant sa mère, qui avait rêvé cent ans, que son père, qui avait défié bien des vieilles puissances, savaient que les seuls noms qui importent commencent par un D."
Les noms qui importent, les noms qui n'ont pas de fin: Dream, Death, Destiny, Desire, Destruction, Delirium, Delight, Despair.
Et Doubt, le Doute, qui est la clef du savoir et du progrès et de toute vérité, de toute pensée.
Et Dawn, l'Aurore, qui est de toutes les heures la plus magique, qui est l'espoir devenu lumière.
Et Door, Porte, qui est bien davantage qu'un personnage du même enchanteur.
Et les Dimensions sur lesquelles ouvrent les portes.
Et Dieu, j'imagine.
Et d'une toute autre façon, Dante.
Et peut-être Dorian.
Ce n'est en fin de compte qu'une coïncidence (une Devinette, un jeu du Destin), que mon propre nom de baptème commence aussi par un D.
Comme je l'ai écrit dans un de mes propres textes :
"Car tant sa mère, qui avait rêvé cent ans, que son père, qui avait défié bien des vieilles puissances, savaient que les seuls noms qui importent commencent par un D."
Les noms qui importent, les noms qui n'ont pas de fin: Dream, Death, Destiny, Desire, Destruction, Delirium, Delight, Despair.
Et Doubt, le Doute, qui est la clef du savoir et du progrès et de toute vérité, de toute pensée.
Et Dawn, l'Aurore, qui est de toutes les heures la plus magique, qui est l'espoir devenu lumière.
Et Door, Porte, qui est bien davantage qu'un personnage du même enchanteur.
Et les Dimensions sur lesquelles ouvrent les portes.
Et Dieu, j'imagine.
Et d'une toute autre façon, Dante.
Et peut-être Dorian.
Ce n'est en fin de compte qu'une coïncidence (une Devinette, un jeu du Destin), que mon propre nom de baptème commence aussi par un D.
mercredi 23 novembre 2005
PORTRAIT CHINOIS (1) : SI J'ÉTAIS UN FILM...
A cause du Portrait Chinois de ma breda
et de ma propre et ancienne incapacité à dresser un tel tableau. J'en suis incapable, j'y répugne, donc j'essaie. Exigence masochiste.
Si j'étais un film, donc, je serais probablement un de ceux de Visconti. Pas Le Guépard. Plutôt Les Damnés, ou Violence et Passion ou Ludwig.
Un de ces films que j'ai découverts adolescente —je m'en souviens très bien, j'avais quatorze ans, j'étais en seconde, et seule chez moi pour quelques jours, pour la première fois; j'en avais profité pour regarder le "Cinéma de Minuit". Certainement cette solitude, cette obscurité, ont joué dans mon émerveillement. Blottie dans le salon silencieux, à l'heure où dormait le soleil, où dormait mon ancien monde diurne de fillette, je regardais, fascinée. Découvrant, c'est si vain, si pompeux à dire, que le cinéma était art, création. Que le cinéma, qui jusque là avait été pour moi agréable et légère distraction, recelait la même sombre et puissante magie que certains livres.
Ce furent, donc, Les Damnés. Et tout ce que j'aimais, que je ne savais pas encore aimer, le crépuscule d'un monde ancien, les déchirements complexes de familles folles et malades et trop vieilles, la nécessité du sacrifice malgré tout, du combat malgré tout, dût-il se résoudre en vaine mort, la nécessité aussi de rappeler la fascination du mal, de ne jamais l'oublier, de ne jamais se reposer sur de confiantes certitudes, sans quoi on serait tout prêt à refaire le même faux-pas, oui, la nécessaire acceptation de la séduction des ténèbres pour mieux leur faire face, mieux les combattre. Et le cortège des amours interdites qui marche avec ce temps-là, ces êtres-là, ces passions-là: adultères, incestes, homosexualité, trahison. Des amours des marges, des frontières, déjà. Et la beauté androgyne, sombre, comme malsaine, d'Helmut Berger. Et l'identité-même de Visconti.
Ce furent ensuite tous ses autres films. Ce fut la magnifique lassitude des survivants du passé, de Dirk Bogarde dans Mort à Venise, de Burt Lancaster dans Violence et passion, de Ludwig et d'Elisabeth dans la neige et le deuil. Les combats perdus d'avance qu'il faut mener quand même, avec dignité.
Si j'étais un film, je serais l'un de ceux de Visconti.
et de ma propre et ancienne incapacité à dresser un tel tableau. J'en suis incapable, j'y répugne, donc j'essaie. Exigence masochiste.
Si j'étais un film, donc, je serais probablement un de ceux de Visconti. Pas Le Guépard. Plutôt Les Damnés, ou Violence et Passion ou Ludwig.
Un de ces films que j'ai découverts adolescente —je m'en souviens très bien, j'avais quatorze ans, j'étais en seconde, et seule chez moi pour quelques jours, pour la première fois; j'en avais profité pour regarder le "Cinéma de Minuit". Certainement cette solitude, cette obscurité, ont joué dans mon émerveillement. Blottie dans le salon silencieux, à l'heure où dormait le soleil, où dormait mon ancien monde diurne de fillette, je regardais, fascinée. Découvrant, c'est si vain, si pompeux à dire, que le cinéma était art, création. Que le cinéma, qui jusque là avait été pour moi agréable et légère distraction, recelait la même sombre et puissante magie que certains livres.
Ce furent, donc, Les Damnés. Et tout ce que j'aimais, que je ne savais pas encore aimer, le crépuscule d'un monde ancien, les déchirements complexes de familles folles et malades et trop vieilles, la nécessité du sacrifice malgré tout, du combat malgré tout, dût-il se résoudre en vaine mort, la nécessité aussi de rappeler la fascination du mal, de ne jamais l'oublier, de ne jamais se reposer sur de confiantes certitudes, sans quoi on serait tout prêt à refaire le même faux-pas, oui, la nécessaire acceptation de la séduction des ténèbres pour mieux leur faire face, mieux les combattre. Et le cortège des amours interdites qui marche avec ce temps-là, ces êtres-là, ces passions-là: adultères, incestes, homosexualité, trahison. Des amours des marges, des frontières, déjà. Et la beauté androgyne, sombre, comme malsaine, d'Helmut Berger. Et l'identité-même de Visconti.
Ce furent ensuite tous ses autres films. Ce fut la magnifique lassitude des survivants du passé, de Dirk Bogarde dans Mort à Venise, de Burt Lancaster dans Violence et passion, de Ludwig et d'Elisabeth dans la neige et le deuil. Les combats perdus d'avance qu'il faut mener quand même, avec dignité.
Si j'étais un film, je serais l'un de ceux de Visconti.
samedi 19 novembre 2005
MUSIQUE
Parce que de tous les arts le plus immatériel. Parce que donc la jumelle inversée de la sculpture, et une fascination aussi grande, plus grande peut-être, plus ancienne aussi.
Parce que le plus immatériel et donc le plus magique. Parce que l'abstraction du chiffre et le frisson de l'onde. Parce qu'invisible.
Parce que la musique des sphères, le ballet des astres, l'écho des étoiles.
Parce que l'harmonie, parce que le rêve d'équilibre, parce que la proportion divine.
Parce que le don d'ubiquité, parce que le voyage à la vitesse du son.
Parce que mot, résonance, voix, corde, souffle.
Parce que secret, parce que crypté, parce qu'une autre langue.
Parce qu'union des contraires, parce qu'esprit et cœur, intellect et intuition, homme et cosmos.
Parce qu'une lecture et une parole.
Parce que magique. Simple et immense.
Je ne suis pas musicienne. Je suis écrivain.
Alors je triche.
Je triche: Morgana fait des notes blanches et noires du piano un héritage, un fil, un amour, un deuil, un espoir. Héloïse y déchiffre le monde, y crée une harmonie parallèle et inaccessible. Aoifa a une voix pour chanter et révéler le secret obscur de l'amour. Pour Chimène je chante en espagnol, pour Yukiko en japonais, pour Eldawen en gaélique ou en elfique, la musique abolit les frontières.
Je triche, je quête et recueille en toutes terres les airs qui me ressemblent, qui font écho à mes folies, qui sont comme la toile impressionniste de mes plagiats.
Je triche, je contourne, comme si la musique avait un contour, comme si elle n'était pas cette présence absolue sur laquelle nul ne peut poser le doigt. J'écris ses échos, je la laisse cheminer en moi et se figer en d'autres rythmes qui sont mes phrases, de Voyage de Noz en Requiem du Feu. Comme si la musique avait un reflet.
Je triche, je pousse plus loin la folie, je raconte les airs que je ne puis écrire, j'en ai déformé tant, composé tant, décomposé tant, les thèmes du Non-Requiem à Corwin, les expériences dodécaphoniques de la Musique des Dimensions, la BO intégrale des Giovanni Symphonies.
Et puis j'écoute.
It's a fine line, isn't it, Paul ?
So fine a line, so long the way, between chaos and creation.
Le site non-officiel de Noz (ci-devant Voyage de Noz)
Le site du projet Flamma, le Requiem du Feu
Parce que le plus immatériel et donc le plus magique. Parce que l'abstraction du chiffre et le frisson de l'onde. Parce qu'invisible.
Parce que la musique des sphères, le ballet des astres, l'écho des étoiles.
Parce que l'harmonie, parce que le rêve d'équilibre, parce que la proportion divine.
Parce que le don d'ubiquité, parce que le voyage à la vitesse du son.
Parce que mot, résonance, voix, corde, souffle.
Parce que secret, parce que crypté, parce qu'une autre langue.
Parce qu'union des contraires, parce qu'esprit et cœur, intellect et intuition, homme et cosmos.
Parce qu'une lecture et une parole.
Parce que magique. Simple et immense.
Je ne suis pas musicienne. Je suis écrivain.
Alors je triche.
Je triche: Morgana fait des notes blanches et noires du piano un héritage, un fil, un amour, un deuil, un espoir. Héloïse y déchiffre le monde, y crée une harmonie parallèle et inaccessible. Aoifa a une voix pour chanter et révéler le secret obscur de l'amour. Pour Chimène je chante en espagnol, pour Yukiko en japonais, pour Eldawen en gaélique ou en elfique, la musique abolit les frontières.
Je triche, je quête et recueille en toutes terres les airs qui me ressemblent, qui font écho à mes folies, qui sont comme la toile impressionniste de mes plagiats.
Je triche, je contourne, comme si la musique avait un contour, comme si elle n'était pas cette présence absolue sur laquelle nul ne peut poser le doigt. J'écris ses échos, je la laisse cheminer en moi et se figer en d'autres rythmes qui sont mes phrases, de Voyage de Noz en Requiem du Feu. Comme si la musique avait un reflet.
Je triche, je pousse plus loin la folie, je raconte les airs que je ne puis écrire, j'en ai déformé tant, composé tant, décomposé tant, les thèmes du Non-Requiem à Corwin, les expériences dodécaphoniques de la Musique des Dimensions, la BO intégrale des Giovanni Symphonies.
Et puis j'écoute.
It's a fine line, isn't it, Paul ?
So fine a line, so long the way, between chaos and creation.
Le site non-officiel de Noz (ci-devant Voyage de Noz)
Le site du projet Flamma, le Requiem du Feu
dimanche 13 novembre 2005
GOLDSWORTHY
Son nom le dit: il vaut de l'or, et mieux que de l'or.
Ses mains sont sales, ses ongles cassés. J'aime qu'il en soit ainsi: la nature, il la prend à pleines mains. Il délaisse les outils, se sert de ses doigts pour malaxer, de ses dents pour sectionner, de la nature pour bâtir.
Mieux que de l'or, plus ancien, plus fragile, plus essentiel, plus vivant. La terre qui résonne, les pierres qui parlent, le bois qui ouvre, les feuilles qui glissent, l'eau qui tournoie, le vent qui dessine, la couleur qui tranche, la laine des moutons d'Ecosse qui marque le territoire.
Il chemine, de l'aube au couchant, il suit le cours de la lumière, le rythme de la marée, les méandres des murs, les détours des fleuves, le lacis des racines. Des quatre dimensions il n'en néglige aucune : il est peintre des murs, architecte des portes, artiste du temps.
Il commence et il finit. Il croule et il rebâtit. Il jette sur l'onde des serpents de feuilles. Il suit les flux. Il descend aux racines. Il laisse l'oeuvre affleurer sous un craquellement d'argile. Il creuse le printemps sous la neige. Il laisse la mer le recouvrir.
Mieux que de l'or.
Les règnes s'emmêlent. Le cairn est graine, oeuf, pomme de pin. Le tourbillon de bois et le tourbillon d'eau se reflètent et se rejoignent. Le sang des pierres inonde les rivières. Les feuilles se tordent comme des animaux. Les trous noirs descendent des étoiles aux racines des arbres. Les portes aériennes frémissent doucement dans les brindilles, aux cimes.
Il s'appelle Andy Goldsworthy et il vaut beaucoup mieux que de l'or.
Ses mains sont sales, ses ongles cassés. J'aime qu'il en soit ainsi: la nature, il la prend à pleines mains. Il délaisse les outils, se sert de ses doigts pour malaxer, de ses dents pour sectionner, de la nature pour bâtir.
Mieux que de l'or, plus ancien, plus fragile, plus essentiel, plus vivant. La terre qui résonne, les pierres qui parlent, le bois qui ouvre, les feuilles qui glissent, l'eau qui tournoie, le vent qui dessine, la couleur qui tranche, la laine des moutons d'Ecosse qui marque le territoire.
Il chemine, de l'aube au couchant, il suit le cours de la lumière, le rythme de la marée, les méandres des murs, les détours des fleuves, le lacis des racines. Des quatre dimensions il n'en néglige aucune : il est peintre des murs, architecte des portes, artiste du temps.
Il commence et il finit. Il croule et il rebâtit. Il jette sur l'onde des serpents de feuilles. Il suit les flux. Il descend aux racines. Il laisse l'oeuvre affleurer sous un craquellement d'argile. Il creuse le printemps sous la neige. Il laisse la mer le recouvrir.
Mieux que de l'or.
Les règnes s'emmêlent. Le cairn est graine, oeuf, pomme de pin. Le tourbillon de bois et le tourbillon d'eau se reflètent et se rejoignent. Le sang des pierres inonde les rivières. Les feuilles se tordent comme des animaux. Les trous noirs descendent des étoiles aux racines des arbres. Les portes aériennes frémissent doucement dans les brindilles, aux cimes.
Il s'appelle Andy Goldsworthy et il vaut beaucoup mieux que de l'or.
mercredi 9 novembre 2005
CROULER
Gris.
Est-ce celui du calendrier seulement, entrée dans la moitié sombre de l'an, décalage horaire qui précipite nos soirées dans la nuit?
Est-celui du monde qui nous renvoie à la figure nos impuissances, nos erreurs, les limites de nos idéaux? Le monde qui nous rappelle que parfois la parole perd sa magie, que parfois l'humain glisse vers la violence, en une nuit, et à quel point nous sommes démunis face à ce glissement. Le monde qui nous rappelle que personne n'a raison, que personne ne comprend, même pas les hommes de bonne volonté riches de leur empathie.
Est-ce celui de mon propre monde, des visages fermés de quelques élèves que j'échoue à ouvrir, que j'échoue à toucher, qui lui aussi me renvoie à la figure ma propre impuissance de pédagogue? Celui de l'écart qui se creuse sous mes yeux ébahis entre une classe et l'autre, une classe et l'autre, à tous les sens de ce fichus noms?
Gris.
Le monde tremble et croule sur ses bases.
S'effrite entre mes mains.
La bonne volonté, l'empathie, l'émerveillement, la nuance, l'harmonie, l'amour, le courage... tout cela ne suffit pas. Tout cela semble vain, soudain. Et je ne sais plus. Où est l'issue. S'il y en a une.
Est-ce celui du calendrier seulement, entrée dans la moitié sombre de l'an, décalage horaire qui précipite nos soirées dans la nuit?
Est-celui du monde qui nous renvoie à la figure nos impuissances, nos erreurs, les limites de nos idéaux? Le monde qui nous rappelle que parfois la parole perd sa magie, que parfois l'humain glisse vers la violence, en une nuit, et à quel point nous sommes démunis face à ce glissement. Le monde qui nous rappelle que personne n'a raison, que personne ne comprend, même pas les hommes de bonne volonté riches de leur empathie.
Est-ce celui de mon propre monde, des visages fermés de quelques élèves que j'échoue à ouvrir, que j'échoue à toucher, qui lui aussi me renvoie à la figure ma propre impuissance de pédagogue? Celui de l'écart qui se creuse sous mes yeux ébahis entre une classe et l'autre, une classe et l'autre, à tous les sens de ce fichus noms?
Gris.
Le monde tremble et croule sur ses bases.
S'effrite entre mes mains.
La bonne volonté, l'empathie, l'émerveillement, la nuance, l'harmonie, l'amour, le courage... tout cela ne suffit pas. Tout cela semble vain, soudain. Et je ne sais plus. Où est l'issue. S'il y en a une.
mercredi 26 octobre 2005
FIERTÉS
De quoi est-il permis d'être fier ? Pourquoi sommes-nous fiers, parfois, non seulement de nos propres réussites mais aussi de celles de nos amis, comme si une part de leur mérite nous revenait ?
Ou n'est-ce que du bonheur, le simple et pur bonheur, désintéressé, de voir réussir ceux qui nous sont chers ?
C'est ce qui me fait cynique: je peine à croire aux sentiments désintéressés.
Moi qui crois à l'amour, grand, profond, trop souvent sacrificiel — moi qui crois à l'altruisme, à la noblesse d'âme — je n'en finis pas de traquer mes égoïsmes intimes.
Ce n'est pas seulement du bonheur, donc. C'est aussi de la fierté. Pourquoi ?
Vos succès ne me doivent rien.
Pour cette nuit, juste pour cette nuit, je vais feindre de croire à la pureté de mon propre coeur, et prétendre que je suis fière, simplement, que vous me fassiez la grâce de votre amitié.
Toi, ami trop humble, qui vas exposer tes oeuvres pour la première fois.
Toi, soeur si douloureuse, dont je viens de relire l'article merveilleux de fluide érudition.
Toi, très cher toujours en proie aux doutes, qui viens d'être accepté en post-doc par trois universités.
Oublier la fierté et ne me souvenir que de la joie.
Ou n'est-ce que du bonheur, le simple et pur bonheur, désintéressé, de voir réussir ceux qui nous sont chers ?
C'est ce qui me fait cynique: je peine à croire aux sentiments désintéressés.
Moi qui crois à l'amour, grand, profond, trop souvent sacrificiel — moi qui crois à l'altruisme, à la noblesse d'âme — je n'en finis pas de traquer mes égoïsmes intimes.
Ce n'est pas seulement du bonheur, donc. C'est aussi de la fierté. Pourquoi ?
Vos succès ne me doivent rien.
Pour cette nuit, juste pour cette nuit, je vais feindre de croire à la pureté de mon propre coeur, et prétendre que je suis fière, simplement, que vous me fassiez la grâce de votre amitié.
Toi, ami trop humble, qui vas exposer tes oeuvres pour la première fois.
Toi, soeur si douloureuse, dont je viens de relire l'article merveilleux de fluide érudition.
Toi, très cher toujours en proie aux doutes, qui viens d'être accepté en post-doc par trois universités.
Oublier la fierté et ne me souvenir que de la joie.
samedi 15 octobre 2005
FRACTURES
C'est le comble de la fracture : elle est devenue un lieu commun.
La fracture est partout. En tellement d'endroits que je ne sais plus du tout où elle passe. Entre ceux qui ont les moyens d'apprécier une série comme The West Wing et ceux qui doivent se contenter des reality shows au premier degré ? Entre ceux qui ont les moyens d'acheter un logement et ceux qui ne l'ont pas ? Entre celle de mes classes qui identifie en quelques minutes une allusion au mythe des sirènes et celle qui ne concevra jamais la magie que portent les mots de mythe et d'allusion ? Entre ceux qui se battent pour un vieil idéal et ceux qui avouent tranquillement n'avoir à coeur que l'intérêt de leur famille ? Entre ceux qui occupent la vieille terre ferme d'Europe et ceux qui vivent sur les fractures permanentes d'autres continents ?
Lieux communs des fractures. Sociale, intellectuelle, géopolitique, idéologique, générationnelle.
Et cependant la fracture est la division absolue : elle passe au milieu de moi, et je ne sais plus sur quel bord je me tiens.
Je sais juste que ce n'est pas la fracture qui importe, mais les ponts qui la surplombent, les passeurs de ces ponts. Que ce rôle de passeur est ma vocation et mon métier, et le seul espoir que nous ayons.
La fracture, c'est quand le blog doit choisir entre la carte du tendre et l'étendard de l'engagement. Je suis des deux côtés.
La fracture est partout. En tellement d'endroits que je ne sais plus du tout où elle passe. Entre ceux qui ont les moyens d'apprécier une série comme The West Wing et ceux qui doivent se contenter des reality shows au premier degré ? Entre ceux qui ont les moyens d'acheter un logement et ceux qui ne l'ont pas ? Entre celle de mes classes qui identifie en quelques minutes une allusion au mythe des sirènes et celle qui ne concevra jamais la magie que portent les mots de mythe et d'allusion ? Entre ceux qui se battent pour un vieil idéal et ceux qui avouent tranquillement n'avoir à coeur que l'intérêt de leur famille ? Entre ceux qui occupent la vieille terre ferme d'Europe et ceux qui vivent sur les fractures permanentes d'autres continents ?
Lieux communs des fractures. Sociale, intellectuelle, géopolitique, idéologique, générationnelle.
Et cependant la fracture est la division absolue : elle passe au milieu de moi, et je ne sais plus sur quel bord je me tiens.
Je sais juste que ce n'est pas la fracture qui importe, mais les ponts qui la surplombent, les passeurs de ces ponts. Que ce rôle de passeur est ma vocation et mon métier, et le seul espoir que nous ayons.
La fracture, c'est quand le blog doit choisir entre la carte du tendre et l'étendard de l'engagement. Je suis des deux côtés.
mercredi 28 septembre 2005
ABSENCE
L'absence n'est jamais où on l'attend. Quoi de plus normal ? L'absence est ce qui échappe.
Pour se poser, il lui faut l'immobilité. Pour que le vide prenne forme, il faut interrompre sa course. Pour avoir un poids, il lui faut du temps.
Et je n'en ai pas. Je cours. Sans m'arrêter. Et le vide ne me rattrape pas.
Quel nom donner alors à cette chose sans contour que je perçois confusément ? Cette ombre tremblante, ce vacillement de la pensée, ces secondes où l'esprit perd l'équilibre, une marche se dérobant sous lui : c'est ça — une marche absente.
Cet étonnement perpétuel et diffus : quand on lève les yeux vers un objet familier, et ne le trouve pas, et qu'il nous faut toujours quelques secondes pour nous rappeler pourquoi.
D'autant plus périlleuse et déstabilisante qu'elle n'est pas absolue : l'absence infime qui n'est pas rupture, qui n'est pas mort. Qui n'a pas de nom, décidément pas de nom, qui n'est qu'un souffle, le coeur qui manque un battement, juste un, jamais plus d'un.
Ce n'est après tout que ce vieux poncif de chanson pop vaguement mélancolique : I miss you more than I can tell.
Mais surtout : I miss you more because I can't tell.
Tu m'échappes d'autant plus que ton absence elle-même m'échappe.
Pour se poser, il lui faut l'immobilité. Pour que le vide prenne forme, il faut interrompre sa course. Pour avoir un poids, il lui faut du temps.
Et je n'en ai pas. Je cours. Sans m'arrêter. Et le vide ne me rattrape pas.
Quel nom donner alors à cette chose sans contour que je perçois confusément ? Cette ombre tremblante, ce vacillement de la pensée, ces secondes où l'esprit perd l'équilibre, une marche se dérobant sous lui : c'est ça — une marche absente.
Cet étonnement perpétuel et diffus : quand on lève les yeux vers un objet familier, et ne le trouve pas, et qu'il nous faut toujours quelques secondes pour nous rappeler pourquoi.
D'autant plus périlleuse et déstabilisante qu'elle n'est pas absolue : l'absence infime qui n'est pas rupture, qui n'est pas mort. Qui n'a pas de nom, décidément pas de nom, qui n'est qu'un souffle, le coeur qui manque un battement, juste un, jamais plus d'un.
Ce n'est après tout que ce vieux poncif de chanson pop vaguement mélancolique : I miss you more than I can tell.
Mais surtout : I miss you more because I can't tell.
Tu m'échappes d'autant plus que ton absence elle-même m'échappe.
samedi 3 septembre 2005
ET PLUS SI AFFINITES...
Et tous les autres…
Pleurer de lourdes larmes d’adolescente sur la mort d’Eric Jansen, le jour de ses 18 ans, et découvrir le poids de l’irréversible;
Sur le pont d’un navire, la nuit, chercher vainement la trace d’un fantôme bien-aimé, et m’abandonner aux baisers savants de Caine, à l’habileté de ses mains brunes, sans jamais lui faire confiance;
Voir la ville de Palanthas à l’envers, du sommet de la Tour de Haute Sorcellerie, et révéler mes propres ténèbres avec mon désir pour un elfe noir;
Atteindre à la fusion des esprits et des corps que permet le laran et tout partager avec Regis Hastur, devoir et amour, et nous donner la force de changer Ténébreuse au lever du soleil sanglant;
Dans la plus haute tour d’une cité recréée de l’oubli, danser dans les doigts musiciens d’Alessan et boire à ses lèvres le vin bleu;
Goûter à l’inventivité de Violette Baudelaire et nouer son ruban aux endroits les plus inattendus, avant la prochaine catastrophe;
Croiser Corto dans une rue de Venise, sur une plage d’Irlande, et parler doucement des histoires qui ne seront pas;
Me laisser emporter aux bras rugissants de Lestat, aux éclats de son rire, aux triomphes de son feu, et oublier pour une nuit qu’il me ressemble comme un frère;
Tirer Padmé de ses cauchemars, et glisser sans y penser de l’amitié à l’étreinte dans les douces boucles de ses cheveux;
Dans la fulgurance d’une seconde ou d’une vie, comprendre qu’Heylel est l’absolu d’amour que je cherche, le voir me reconnaître aussi, et être forcée de le sacrifier au monde;
Dans l’eau des Caraïbes ou d’une planète exotique, me laisser convaincre par Isa et Cyann que la beauté et la force sont femmes, du moins jusqu’à nos prochaines aventures;
En Fionavar me souvenir de la blonde audace de Diarmaid, épouser le sombre et droit Ailéron, et quitter le monde des hommes au côté d’un loup argenté revenu dans la Lumière;
Etre plus proche de Remus que d’un frère, que d’un amant, que d’un époux, et ne jamais le dire, ne jamais aller jusqu’au baiser, irrémédiablement séparés par le fantôme chéri entre nous;
Traverser la nuit sur les ailes dorées d’un dragon, et trouver le repos ardent et la douce torture entre les bras du seigneur de Ruatha;
Désirs réprimés, affrontements, interdits, sublimations: être l’élève et la nièce de Luke Skywalker et changer en triangle son lien avec la redoutable Mara Jade;
En un siècle d'intrigue et d'honneur, tout faire pour mériter l'amour et le respect d'Athos, sans pouvoir m'empêcher de désirer Aramis;
Quand la guerre est la seule fin possible, ouvrir ma couche aux caresses subtiles d’Ammar et à la tendresse virile de Rodrigo, et me souvenir qu’il n’est pas mal pour une femme d’aimer deux hommes — ni quarante.
Et d’autres, d’autres.
Aussi une promesse et un silence: celui que j’ai promis d’écrire puisque tu me fais cette grâce, breda — celui que j’ai écrit déjà et qu’il me faut taire, ici.
Mes très aimés.
(Eric Jansen ©Serge Dalens, Le Prince Eric ; Caine ©Roger Zelazny, le Cycle d’Ambre ; Dalamar ©Weis & Hickman, Dragonlance ; Regis Hastur ©Marion Zimmer Bradley, Ténébreuse ; Alessan ©Guy Gavriel Kay, Tigane ; Violette Baudelaire ©Lemony Snicket, Les Désastreuses Aventures… ; Corto Maltese ©Hugo Pratt ; Lestat ©Anne Rice, Chroniques des Vampires ; Padmé Amidala, Luke Skywalker et Mara Jade ©Star Wars ; Heylel Téomin Thoabath ©Mage l’Ascension ; Isa et Cyann ©François Bourgeon ; Diarmaid, Ailéron et Galadan ©Guy Gavriel Kay, La Tapisserie de Fionavar ; Remus Lupin ©J.K. Rowling, Harry Potter ; Alessan de Ruatha ©Anne McCaffrey, Pern ; Athos et Aramis ©Alexandre Dumas, le cycle des Mousquetaires ; Ammar et Rodrigo ©Guy Gavriel Kay, Les Lions d’Al-Rassan)
Pleurer de lourdes larmes d’adolescente sur la mort d’Eric Jansen, le jour de ses 18 ans, et découvrir le poids de l’irréversible;
Sur le pont d’un navire, la nuit, chercher vainement la trace d’un fantôme bien-aimé, et m’abandonner aux baisers savants de Caine, à l’habileté de ses mains brunes, sans jamais lui faire confiance;
Voir la ville de Palanthas à l’envers, du sommet de la Tour de Haute Sorcellerie, et révéler mes propres ténèbres avec mon désir pour un elfe noir;
Atteindre à la fusion des esprits et des corps que permet le laran et tout partager avec Regis Hastur, devoir et amour, et nous donner la force de changer Ténébreuse au lever du soleil sanglant;
Dans la plus haute tour d’une cité recréée de l’oubli, danser dans les doigts musiciens d’Alessan et boire à ses lèvres le vin bleu;
Goûter à l’inventivité de Violette Baudelaire et nouer son ruban aux endroits les plus inattendus, avant la prochaine catastrophe;
Croiser Corto dans une rue de Venise, sur une plage d’Irlande, et parler doucement des histoires qui ne seront pas;
Me laisser emporter aux bras rugissants de Lestat, aux éclats de son rire, aux triomphes de son feu, et oublier pour une nuit qu’il me ressemble comme un frère;
Tirer Padmé de ses cauchemars, et glisser sans y penser de l’amitié à l’étreinte dans les douces boucles de ses cheveux;
Dans la fulgurance d’une seconde ou d’une vie, comprendre qu’Heylel est l’absolu d’amour que je cherche, le voir me reconnaître aussi, et être forcée de le sacrifier au monde;
Dans l’eau des Caraïbes ou d’une planète exotique, me laisser convaincre par Isa et Cyann que la beauté et la force sont femmes, du moins jusqu’à nos prochaines aventures;
En Fionavar me souvenir de la blonde audace de Diarmaid, épouser le sombre et droit Ailéron, et quitter le monde des hommes au côté d’un loup argenté revenu dans la Lumière;
Etre plus proche de Remus que d’un frère, que d’un amant, que d’un époux, et ne jamais le dire, ne jamais aller jusqu’au baiser, irrémédiablement séparés par le fantôme chéri entre nous;
Traverser la nuit sur les ailes dorées d’un dragon, et trouver le repos ardent et la douce torture entre les bras du seigneur de Ruatha;
Désirs réprimés, affrontements, interdits, sublimations: être l’élève et la nièce de Luke Skywalker et changer en triangle son lien avec la redoutable Mara Jade;
En un siècle d'intrigue et d'honneur, tout faire pour mériter l'amour et le respect d'Athos, sans pouvoir m'empêcher de désirer Aramis;
Quand la guerre est la seule fin possible, ouvrir ma couche aux caresses subtiles d’Ammar et à la tendresse virile de Rodrigo, et me souvenir qu’il n’est pas mal pour une femme d’aimer deux hommes — ni quarante.
Et d’autres, d’autres.
Aussi une promesse et un silence: celui que j’ai promis d’écrire puisque tu me fais cette grâce, breda — celui que j’ai écrit déjà et qu’il me faut taire, ici.
Mes très aimés.
(Eric Jansen ©Serge Dalens, Le Prince Eric ; Caine ©Roger Zelazny, le Cycle d’Ambre ; Dalamar ©Weis & Hickman, Dragonlance ; Regis Hastur ©Marion Zimmer Bradley, Ténébreuse ; Alessan ©Guy Gavriel Kay, Tigane ; Violette Baudelaire ©Lemony Snicket, Les Désastreuses Aventures… ; Corto Maltese ©Hugo Pratt ; Lestat ©Anne Rice, Chroniques des Vampires ; Padmé Amidala, Luke Skywalker et Mara Jade ©Star Wars ; Heylel Téomin Thoabath ©Mage l’Ascension ; Isa et Cyann ©François Bourgeon ; Diarmaid, Ailéron et Galadan ©Guy Gavriel Kay, La Tapisserie de Fionavar ; Remus Lupin ©J.K. Rowling, Harry Potter ; Alessan de Ruatha ©Anne McCaffrey, Pern ; Athos et Aramis ©Alexandre Dumas, le cycle des Mousquetaires ; Ammar et Rodrigo ©Guy Gavriel Kay, Les Lions d’Al-Rassan)
10 PERSONNAGES... (10)
Sans doute dirai-je demain un mot des autres, mais la règle du jeu s'achève avec celui-ci...
Va au diable. Quoi qu’ils disent, toi seul éveilles ma colère. Tu l’as toujours fait, colère et tendresse, à parts égales. Va-t-en. N’essaie pas de te faire pardonner. C’est foutu, classé. Tu occupes le corps d’un gamin surpuissant et menteur. Fini. Ne tape pas à cette porte. Va au diable.
Mais tu entres et tout change. Tu n’es plus un enfant, soudain. Ni l’homme vieillissant que j’ai connu. J’ignore ce que tu es: toi au sommet de ta force, toi sous la forme qui change tout, que je peux désirer. Et il n’y a qu’une explication à cela, mais je n’ai pas le temps de la formuler, de la penser, tes bras autour de moi, tes caresses, mes réponses, ce miracle répété —mon corps qui réapprend, s’enroule au tien, le lien retissé— ma colère renaît, flamboie, mais tu la saisis, l’infléchis, une chaleur nouvelle, une passion nouvelle, assez pour que nos vêtements tombent en cendres, assez pour que je voie rouge, rien que ton corps sur ma rétine, assez pour sécher mes larmes rageuses et tremper tout le reste, projeter notre étreinte devant l’âtre, éteindre et remplacer le feu, sentir ta brûlure en moi, mes doigts sur tes faiblesses, crier ton nom retrouvé, m’ouvrir, nous ouvrir, ne plus savoir où est le sol, et sombrer enfin dans mon propre abîme, soustrait à l’espace et au temps.
Ils renaissent, gravité de l’espace, ton corps, aube du temps, froid sur ma peau —et tu es toujours celui-là, ce nom, ce lien, cet homme— je peux le dire enfin, ma langue à ton oreille. Voici la dixième Sphère.
Porthos Fitz Empress
(Mage l'Ascension™)
Va au diable. Quoi qu’ils disent, toi seul éveilles ma colère. Tu l’as toujours fait, colère et tendresse, à parts égales. Va-t-en. N’essaie pas de te faire pardonner. C’est foutu, classé. Tu occupes le corps d’un gamin surpuissant et menteur. Fini. Ne tape pas à cette porte. Va au diable.
Mais tu entres et tout change. Tu n’es plus un enfant, soudain. Ni l’homme vieillissant que j’ai connu. J’ignore ce que tu es: toi au sommet de ta force, toi sous la forme qui change tout, que je peux désirer. Et il n’y a qu’une explication à cela, mais je n’ai pas le temps de la formuler, de la penser, tes bras autour de moi, tes caresses, mes réponses, ce miracle répété —mon corps qui réapprend, s’enroule au tien, le lien retissé— ma colère renaît, flamboie, mais tu la saisis, l’infléchis, une chaleur nouvelle, une passion nouvelle, assez pour que nos vêtements tombent en cendres, assez pour que je voie rouge, rien que ton corps sur ma rétine, assez pour sécher mes larmes rageuses et tremper tout le reste, projeter notre étreinte devant l’âtre, éteindre et remplacer le feu, sentir ta brûlure en moi, mes doigts sur tes faiblesses, crier ton nom retrouvé, m’ouvrir, nous ouvrir, ne plus savoir où est le sol, et sombrer enfin dans mon propre abîme, soustrait à l’espace et au temps.
Ils renaissent, gravité de l’espace, ton corps, aube du temps, froid sur ma peau —et tu es toujours celui-là, ce nom, ce lien, cet homme— je peux le dire enfin, ma langue à ton oreille. Voici la dixième Sphère.
Porthos Fitz Empress
(Mage l'Ascension™)
vendredi 2 septembre 2005
10 PERSONNAGES... (9)
Ou comment faire mine d'oublier la rentrée.
Pour ceux qui voudraient lire la version intégrale de ce texte, qu'ils n'hésitent pas à me la demander.
Au creux de la nuit, l’heure des possibles, les fêtes basculent, les gestes dérapent, le risque est le plus grand. Du jardin, exil volontaire, je reconnais son pas. Une épreuve que je n’ai pas envie d’affronter.
— Moi aussi j’avais du mal au début, dit-il. A en sortir, à revenir au monde, et pire, aux mondanités.
Maudit soit le destin pour avoir mis cette âme grave et subtile dans ce corps trop séduisant, et l’avoir placé sur mon chemin.
— Je m’emportais contre l’aveuglement de mes proches. J’allais bouder dans un coin, comme toi.
— Je ne boude pas.
— D’accord: tu t’éloignes et nous observes sans concession. Mais ça passera. Tu as l’instinct de la comédie, humaine ou pas.
— Un compliment à double tranchant.
— Non. Un don que je n’ai pas et que j’envie. Tu renvoies au monde un miroir amusé, tu n’es pas dupe d’un milieu. Le don de Lizzy Bennet.
Et je sais qu’il va poursuivre, comme une part de moi le désire.
— … pas celui de Darcy.
Jamais il n’était allé si loin. En me donnant ce nom d’emblée il a structuré notre relation. Mais jamais il n’avait formulé le reste: s’il me voit en Elizabeth Bennet, c’est que lui se voit en Darcy.
Si je lève les yeux vers lui et dis son nom, il m’embrassera, quoi qu’il puisse arriver. Il m’embrassera. Je ne le fais pas.
Si je dis C’est aussi le don d’Helen ou Darcy n’était pas marié, je le renverrai à ses devoirs, ce sera la fin. Mais je ne le fais pas.
Moment enfui. Et pour un instant j’ai désespérément envie de lui, je suis désespérément amoureuse de lui.
Thomas Lynley
(Elizabeth George, les enquêtes de Lynley et Havers)
Pour ceux qui voudraient lire la version intégrale de ce texte, qu'ils n'hésitent pas à me la demander.
Au creux de la nuit, l’heure des possibles, les fêtes basculent, les gestes dérapent, le risque est le plus grand. Du jardin, exil volontaire, je reconnais son pas. Une épreuve que je n’ai pas envie d’affronter.
— Moi aussi j’avais du mal au début, dit-il. A en sortir, à revenir au monde, et pire, aux mondanités.
Maudit soit le destin pour avoir mis cette âme grave et subtile dans ce corps trop séduisant, et l’avoir placé sur mon chemin.
— Je m’emportais contre l’aveuglement de mes proches. J’allais bouder dans un coin, comme toi.
— Je ne boude pas.
— D’accord: tu t’éloignes et nous observes sans concession. Mais ça passera. Tu as l’instinct de la comédie, humaine ou pas.
— Un compliment à double tranchant.
— Non. Un don que je n’ai pas et que j’envie. Tu renvoies au monde un miroir amusé, tu n’es pas dupe d’un milieu. Le don de Lizzy Bennet.
Et je sais qu’il va poursuivre, comme une part de moi le désire.
— … pas celui de Darcy.
Jamais il n’était allé si loin. En me donnant ce nom d’emblée il a structuré notre relation. Mais jamais il n’avait formulé le reste: s’il me voit en Elizabeth Bennet, c’est que lui se voit en Darcy.
Si je lève les yeux vers lui et dis son nom, il m’embrassera, quoi qu’il puisse arriver. Il m’embrassera. Je ne le fais pas.
Si je dis C’est aussi le don d’Helen ou Darcy n’était pas marié, je le renverrai à ses devoirs, ce sera la fin. Mais je ne le fais pas.
Moment enfui. Et pour un instant j’ai désespérément envie de lui, je suis désespérément amoureuse de lui.
Thomas Lynley
(Elizabeth George, les enquêtes de Lynley et Havers)
mercredi 31 août 2005
10 PERSONNAGES... (8)
De tous mes havres, c’est celui où je me réfugie le plus souvent. Un absolu de havre, la vallée d'un vert oublié de la terre, la rivière forte et claire, ancienne et joyeuse, et les bâtiments — plus qu’une demeure et moins qu’une cité — tous de pierre blanche et de bois clair, de sculptures délicates, de balcons et de tonnelles. Les arbres et les murs s’épousant, les fontaines jaillissant des bosquets et les escaliers enlaçant les falaises, prolongeant les sentiers. Un lieu si beau qu’il m’accueille toujours, mes peines fugitives chassées par la plus vieille mélancolie du monde.
Et dans ce val, il m’arrive parfois de croiser d’autres errants. Un surtout, un homme solitaire que je connais trop bien. Nous nous croisons, nos regards et nos mots, nos rêves et nos vies. Nous sommes trop vieux et trop sages pour l’ignorer. Dans un autre possible, il ressemble à mon bien-aimé, dans un autre, je suis sa plus jeune fille, ou nous combattons ensemble les ténèbres du monde, ou nos lèvres se joignent sous l’Etoile Polaire, ou nous régnons côte à côte sur le trône des Anciens Rois. Dans ce rêve-ci, à la croisée des mondes, nous pouvons seulement parler d’anciennes langues, regarder ensemble le crépuscule, déposer nos fardeaux pour nous appuyer l’un à l’autre, et demeurer ainsi, deux égarés et deux souverains, profondément unis par un accord qui est plus que de la compréhension, nos âmes partagées, nos exils jumeaux, et le souvenir du Chant qui a engendré le monde.
Aragorn
(J.R.R. Tolkien, The Lord of the Rings)
Et dans ce val, il m’arrive parfois de croiser d’autres errants. Un surtout, un homme solitaire que je connais trop bien. Nous nous croisons, nos regards et nos mots, nos rêves et nos vies. Nous sommes trop vieux et trop sages pour l’ignorer. Dans un autre possible, il ressemble à mon bien-aimé, dans un autre, je suis sa plus jeune fille, ou nous combattons ensemble les ténèbres du monde, ou nos lèvres se joignent sous l’Etoile Polaire, ou nous régnons côte à côte sur le trône des Anciens Rois. Dans ce rêve-ci, à la croisée des mondes, nous pouvons seulement parler d’anciennes langues, regarder ensemble le crépuscule, déposer nos fardeaux pour nous appuyer l’un à l’autre, et demeurer ainsi, deux égarés et deux souverains, profondément unis par un accord qui est plus que de la compréhension, nos âmes partagées, nos exils jumeaux, et le souvenir du Chant qui a engendré le monde.
Aragorn
(J.R.R. Tolkien, The Lord of the Rings)
lundi 29 août 2005
S’aimer dans le noir. Me faufiler dans les ténèbres de son cachot, le réchauffer à ma folie, mon corps en rempart contre le froid suintant du désespoir. Ou nous apprivoiser doucement dans la nuit à ses couleurs, au plus profond de la Forêt Interdite. Ou nous enlacer dans l’urgence à l’angle d’un couloir, dans la maison de sa mère, et profaner chaque pièce de nos étreintes. S’aimer sans savoir si l’aube se lèvera, si les prisons s’ouvriront, si nous serons vivants demain.
Décliner nos premiers baisers. Le sentir dans un rêve effleurer d’audace mes lèvres d’enfant, me battre pour qu’il saute le pas dans le dédale de ses craintes, voir tomber nos barrières et sa bouche écraser enfin nos différences, caresser son corps amaigri, aimer sa beauté enfuie, et lui jurer que c’est mieux ainsi, que je n’aurais pas aimé le bel adolescent arrogant d’autrefois.
Et mentir, car je sais trop que je l’aurais désiré aussi, aimé aussi. Revenir en arrière, élargir le temps et goûter ces plaisirs-là, rivaliser, se refuser jusqu’à n’en plus pouvoir, s’abandonner à cette fausse nonchalance, à cette ombre sauvage rôdant derrière son sourire, regarder la nuit ensemble et savoir qu’il sera toujours ma plus brillante étoile.
Etreindre son fantôme. Danser dans mes larmes, chanter sa perte non moins déchirante d’être prévue, fermer mes bras sur son absence, attendant l’heure où je pourrai entreprendre le long voyage dans les brumes pour le rejoindre, de l’autre côté des voiles du monde. Lui demander pardon.
Sirius Black
(J.K. Rowling, Harry Potter)
Décliner nos premiers baisers. Le sentir dans un rêve effleurer d’audace mes lèvres d’enfant, me battre pour qu’il saute le pas dans le dédale de ses craintes, voir tomber nos barrières et sa bouche écraser enfin nos différences, caresser son corps amaigri, aimer sa beauté enfuie, et lui jurer que c’est mieux ainsi, que je n’aurais pas aimé le bel adolescent arrogant d’autrefois.
Et mentir, car je sais trop que je l’aurais désiré aussi, aimé aussi. Revenir en arrière, élargir le temps et goûter ces plaisirs-là, rivaliser, se refuser jusqu’à n’en plus pouvoir, s’abandonner à cette fausse nonchalance, à cette ombre sauvage rôdant derrière son sourire, regarder la nuit ensemble et savoir qu’il sera toujours ma plus brillante étoile.
Etreindre son fantôme. Danser dans mes larmes, chanter sa perte non moins déchirante d’être prévue, fermer mes bras sur son absence, attendant l’heure où je pourrai entreprendre le long voyage dans les brumes pour le rejoindre, de l’autre côté des voiles du monde. Lui demander pardon.
Sirius Black
(J.K. Rowling, Harry Potter)
dimanche 28 août 2005
10 PERSONNAGES... (6)
Cette relation-là est bien moins tendre, bien plus complexe, et il vaut mieux qu'elle n'aille jamais trop loin...
Je sors de l’église.
Un manteau noir ouvert sur un costume blanc.
— Tu ne te sens pas un peu…
Cigarette, flamme sur un visage juvénile, yeux verts, boucles dorées.
—… déplacée ?
— Pourquoi ? C’est un bel endroit. Et un beau rêve.
— Pas un rêve. Une folie.
— La folie est aussi de ma famille.
— Pas ce genre de folie. Ta place n’est pas dans les prisons. S’il y a un rêve il est dehors.
— Qu’est-ce que vous voulez, Morningstar?
Le vent soulève son manteau: des ailes noires.
— Le rêve je l’ai porté aussi. La rébellion contre la tyrannie qui modèle le monde. Ta cause était la mienne. Ta lumière…
Son souffle éparpille un ange dans sa main.
—… la Liberté.
Nos yeux, bleus, verts, clartés ; sa cigarette s’éteint, je souris.
— Le temps de l’Etoile du Matin est passé. Quand le monde était jeune, peut-être auriez-vous pu être celui-là, le briseur de chaînes… Mais vous avez échoué. Prouvé qu’en gagnant la liberté, les anges, comme les autres…
Son ombre sur le mur a les ailes du démon.
— Chutent.
Sa tête penchée, boucles voilant ses traits.
— Alors aide moi.
Et son visage levé, purifié, d’une beauté angélique.
— A redevenir ce que j’étais. Porteur de lumière.
— Pendant le temps d’un battement de cil, la vie et la mort d’une étoile filante… pendant un instant je vous ai presque cru.
— Pour cette parole tu vas payer. Longtemps.
— Par cet instant vous et moi sommes changés. Pour longtemps.
— Ne sois pas si confiante. Tu n’es pas une Infinie.
— Non. Dieu merci, je ne le suis pas.
Le ciel vide. Les étoiles.
Merci bel ange.
Lucifer Morningstar
(Neil Gaiman, The Sandman)
Je sors de l’église.
Un manteau noir ouvert sur un costume blanc.
— Tu ne te sens pas un peu…
Cigarette, flamme sur un visage juvénile, yeux verts, boucles dorées.
—… déplacée ?
— Pourquoi ? C’est un bel endroit. Et un beau rêve.
— Pas un rêve. Une folie.
— La folie est aussi de ma famille.
— Pas ce genre de folie. Ta place n’est pas dans les prisons. S’il y a un rêve il est dehors.
— Qu’est-ce que vous voulez, Morningstar?
Le vent soulève son manteau: des ailes noires.
— Le rêve je l’ai porté aussi. La rébellion contre la tyrannie qui modèle le monde. Ta cause était la mienne. Ta lumière…
Son souffle éparpille un ange dans sa main.
—… la Liberté.
Nos yeux, bleus, verts, clartés ; sa cigarette s’éteint, je souris.
— Le temps de l’Etoile du Matin est passé. Quand le monde était jeune, peut-être auriez-vous pu être celui-là, le briseur de chaînes… Mais vous avez échoué. Prouvé qu’en gagnant la liberté, les anges, comme les autres…
Son ombre sur le mur a les ailes du démon.
— Chutent.
Sa tête penchée, boucles voilant ses traits.
— Alors aide moi.
Et son visage levé, purifié, d’une beauté angélique.
— A redevenir ce que j’étais. Porteur de lumière.
— Pendant le temps d’un battement de cil, la vie et la mort d’une étoile filante… pendant un instant je vous ai presque cru.
— Pour cette parole tu vas payer. Longtemps.
— Par cet instant vous et moi sommes changés. Pour longtemps.
— Ne sois pas si confiante. Tu n’es pas une Infinie.
— Non. Dieu merci, je ne le suis pas.
Le ciel vide. Les étoiles.
Merci bel ange.
Lucifer Morningstar
(Neil Gaiman, The Sandman)
samedi 27 août 2005
10 PERSONNAGES... (5)
Les plus déchirantes larmes et les plus douces joies. Qui ne l'aime pas, celui-là dont le royaume n'aura jamais de fin ?
Quand tout s’achève, qu’il n’y a plus rien à espérer. Du moins, plus rien avant demain.
Il reste une porte, et un être.
Route périlleuse, forêt obscure hantée de cavaliers sans tête. Les rêves parfois marchent au côté de la mort dans les chemins creux. Mais elle n’est pas une ennemie, et je passe.
Le sel du risque, le vague dégoût des plaisirs faciles, les pièges écarlates du désir: lui/elle est parfois l’ennemi. Contre cet amour, il ne peut rien. Il enrage, mais je passe.
Avec elle qui danse pour les papillons, le seul risque est d’oublier la route, se perdre au tourbillon du délire. Cartes à jouer! Je passe.
A la croisée des chemins, l’épée brandie du destin, on peut s’égarer aussi, croire que sa voie est la seule qui vaille. Trop tard? Jamais! Je passe.
Un galion part en fumée, nous laisse enfant au désespoir. Jamais mes rêves n’ont les couleurs de celle-là. Au contraire: je passe.
Un sourire d’étoiles: ses yeux, guide où naviguer. Il est là.
Douceur pâle de sa peau, bras minces qui m’enveloppent, légereté de son pas, s’envoler, me bercer à sa poitrine, yeux fermés dans ses ténèbres, être à nous deux la nuit étoilée, d’un pas traverser les mondes, d’un souffle les recréer à notre fantaisie…
Sentir le froid de son baiser, le monde fondre autour de nous. Enlacer son fantôme. Eprouver la déchirante mélancolie qui nous sépare à l’aube. Savoir que je serai là encore, contre lui encore, et que ce sera plus présent que le songe, plus vivant que l’oubli.
Car il est, de tous, le plus fidèle.
Dream/Morpheus
(Neil Gaiman, The Sandman)
Et puis... bon anniversaire, breda.
Quand tout s’achève, qu’il n’y a plus rien à espérer. Du moins, plus rien avant demain.
Il reste une porte, et un être.
Route périlleuse, forêt obscure hantée de cavaliers sans tête. Les rêves parfois marchent au côté de la mort dans les chemins creux. Mais elle n’est pas une ennemie, et je passe.
Le sel du risque, le vague dégoût des plaisirs faciles, les pièges écarlates du désir: lui/elle est parfois l’ennemi. Contre cet amour, il ne peut rien. Il enrage, mais je passe.
Avec elle qui danse pour les papillons, le seul risque est d’oublier la route, se perdre au tourbillon du délire. Cartes à jouer! Je passe.
A la croisée des chemins, l’épée brandie du destin, on peut s’égarer aussi, croire que sa voie est la seule qui vaille. Trop tard? Jamais! Je passe.
Un galion part en fumée, nous laisse enfant au désespoir. Jamais mes rêves n’ont les couleurs de celle-là. Au contraire: je passe.
Un sourire d’étoiles: ses yeux, guide où naviguer. Il est là.
Douceur pâle de sa peau, bras minces qui m’enveloppent, légereté de son pas, s’envoler, me bercer à sa poitrine, yeux fermés dans ses ténèbres, être à nous deux la nuit étoilée, d’un pas traverser les mondes, d’un souffle les recréer à notre fantaisie…
Sentir le froid de son baiser, le monde fondre autour de nous. Enlacer son fantôme. Eprouver la déchirante mélancolie qui nous sépare à l’aube. Savoir que je serai là encore, contre lui encore, et que ce sera plus présent que le songe, plus vivant que l’oubli.
Car il est, de tous, le plus fidèle.
Dream/Morpheus
(Neil Gaiman, The Sandman)
Et puis... bon anniversaire, breda.
jeudi 25 août 2005
10 PERSONNAGES... (4)
Encore un très vieux souvenir, exhumer un texte vieux de onze ans. C'est une (autre) des retombées positives de ce défi, retrouver de vieux amis (de vieux amants ?)
— J'ai faim.
Il ouvre son manteau, dégage le col de sa chemise, m'attire à lui.
— Bois.
— Ici ? Sur le pont ?
Son sang. Un fluide embrasé qui se répand en moi, veine par veine, trop lentement. Frais et brûlant, infiniment riche, tramé par les siècles, et si pur qu'il pourrait s'évaporer dans ma gorge. Son sang, l’extase toujours renouvelée, les mondes s'étendant devant moi… Son sang incandescent se propageant éblouissant éclatant — irradiant dans mon corps. Plus lentement maintenant, pulsant doucement… Le yacht a levé l'ancre et je vois les lumières de Miami s'éloigner à travers ses cheveux.
— Crois-tu qu'il y ait des requins ? Et puis s'attaqueraient-ils à moi ? Je pourrais plonger du bateau…
Il me dévisage comme si j'étais folle et reporte son regard sur les flots. A travers ses yeux, j'y vois maintenant des abîmes insondables et ténébreux, peuplés de créatures pâles et luisantes, aux flancs écailleux, s'enfonçant sans fin dans les profondeurs, sombrant, sans jamais toucher de fond… Il regarde la mer, le ciel, et je lis la peur dans son esprit.
— Qu'est-ce qui t'effraie ?
Il formule la réponse mentalement, sans desserrer les lèvres. Ou je la lui dérobe:
La mort.
Je le prends dans mes bras: il est froid et raide.
… Immortel infiniment plus sage, infiniment plus fragile que moi — adolescent divin fasciné et terrifié par la mort — immortel au visage radieux dont nous sommes presque tous éperdument épris… L'éclair de lucidité m'abandonne très vite. Je t'aime. Surtout ne va pas mourir.
Armand
(Anne Rice, Chroniques des Vampires)
— J'ai faim.
Il ouvre son manteau, dégage le col de sa chemise, m'attire à lui.
— Bois.
— Ici ? Sur le pont ?
Son sang. Un fluide embrasé qui se répand en moi, veine par veine, trop lentement. Frais et brûlant, infiniment riche, tramé par les siècles, et si pur qu'il pourrait s'évaporer dans ma gorge. Son sang, l’extase toujours renouvelée, les mondes s'étendant devant moi… Son sang incandescent se propageant éblouissant éclatant — irradiant dans mon corps. Plus lentement maintenant, pulsant doucement… Le yacht a levé l'ancre et je vois les lumières de Miami s'éloigner à travers ses cheveux.
— Crois-tu qu'il y ait des requins ? Et puis s'attaqueraient-ils à moi ? Je pourrais plonger du bateau…
Il me dévisage comme si j'étais folle et reporte son regard sur les flots. A travers ses yeux, j'y vois maintenant des abîmes insondables et ténébreux, peuplés de créatures pâles et luisantes, aux flancs écailleux, s'enfonçant sans fin dans les profondeurs, sombrant, sans jamais toucher de fond… Il regarde la mer, le ciel, et je lis la peur dans son esprit.
— Qu'est-ce qui t'effraie ?
Il formule la réponse mentalement, sans desserrer les lèvres. Ou je la lui dérobe:
La mort.
Je le prends dans mes bras: il est froid et raide.
… Immortel infiniment plus sage, infiniment plus fragile que moi — adolescent divin fasciné et terrifié par la mort — immortel au visage radieux dont nous sommes presque tous éperdument épris… L'éclair de lucidité m'abandonne très vite. Je t'aime. Surtout ne va pas mourir.
Armand
(Anne Rice, Chroniques des Vampires)
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