jeudi 30 octobre 2008

RETOUR EN MUSIQUE

Il y a longtemps.
Trop longtemps.
Le trop long temps du manque, de l'absence, de la nostalgie, de l'enfouissement sous le travail.
Le trop long temps du sable qui glisse entre vos doigts.
Trop longtemps et tant à dire.
Alors je commence par répondre à un défi impossible, celui de Lucie :


- Choisir 5 chansons qui vous ressemblent et dire pourquoi
- Faire une petite playlist avec
- Rajouter en sixième position "The Song", celle que vous aimez d’amour, plus jamais vous ne pourrez vivre sans
- Et taguer 5 personnes de votre choix.

Bien sûr, c'est un de ces jeux où tout le monde triche, où la tricherie est inscrite dans la règle du jeu.
Parce que personne ne peut se limiter à choisir cinq, ni six, chansons.
Parce que la musique est l'art volatil, l'art changeant, l'art du temps qui fuit entre nos doigts, justement.
Parce que l'autoportrait, même musical, même chinois, est toujours faussé.

J'ai donc choisi cinq chansons qui me parlent d'amour, qui parlent de mes amours.
Parce que c'est un des grands rôles, une des grandes magies de la musique. Pas un cliché, non, beaucoup plus que cela. Tous les amoureux se retrouvent en chansons.
Et parce que c'est, tout compte fait, une belle façon de se définir :
Je suis ceux que j'aime.
Qu'il en soit ainsi.
Même si pour chacun d'entre eux j'aurais pu choisir dix autres chansons.










Pour M., mon Amour, mon Fou, ma Joie, l'homme qui partage ma vie : "Good Fortune" de P.J. Harvey.
Au tout début, dans les remous et les ténèbres, dans le froid de l'éloignement, il m'envoyait des chansons, comme font tous les Amoureux, et nous nous raccrochions au fil de ces notes lancées à travers l'abîme.
Celle-ci, parce qu'il est vraiment ma "bonne fortune".
J'espère être la sienne.

Pour Dorian, et pour mille autres raisons, mon premier "Voyage" avec le Voyage de Noz, que je continue de suivre tant bien que mal. Ils sont depuis longtemps en lien sur ce blog, je les ai vus, écoutés, écrits… J'espère que cette histoire ne s'arrêtera pas là.
Et Dorian ? Un autre Fou bien-aimé avec lequel j'ai arpenté les rues d'un Vieux Port et maints lieux de perdition.

Pour V., "Bang Bang" de Nancy Sinatra, rappelé à tous les souvenirs par la BO de Kill Bill. Parce que V. est Bill, parmi maints autres rôles joués auprès de moi, que j'aurais pu décliner en maintes autres chansons. Parce que lui et ses ombres restent un part de moi, même à présent.

Pour quel aimé, "Into the West" ? Pour quel roi qui n'en finit pas de revenir ?
Pour Aragorn, pour Arthur ?
Plus que cela.
Pour les Elfes. Pour les navires. Pour la Mer, la vraie, celle qui emporte nos coeurs avec elle. Pour les Iles à l'Ouest du monde.
Pour l'Exilée en moi, et pour tous les "vrais marins".

Cela fait quatre seulement.

Voici pour C.


Encore un voyage, n'est-ce pas ?
C'est dans la nature de la musique.
Vers Avalon, vers tous les autres mondes, et le coeur de ce Prince-là.

J'ai triché.
Mais je suis revenue à ce blog.
Merci, Lucie.

mercredi 4 juin 2008

ELENA ANDREEVNA : HOMMAGE

Elle a vingt-sept ans. Elle est belle, instruite, élégante, mariée à un vieillard presque célèbre.
Elle irradie. Elle est la passante aérienne qu'on n'en peut plus de désirer.

Elle n'en peut plus de porter ce poids-là.
Que les hommes la désirent forcément (sauf celui qu'il faudrait), que les femmes la craignent, qu'on la change en icône.
Ce n'est pas une "pauvre petite fille riche". Ce n'est pas du tout une petite fille.
C'est une femme, une vraie, riche d'une intense vie intérieure.
C'est une femme, mais elle n'est pas entière. Elle ne le sera jamais. Cette intégrité, c'est le monde lui-même qui la lui dénie.
Le monde, et pas seulement les conventions sociales. Elena Andreevna, qui a la grâce suprême de l'humilité, se prétend et se croit terne, petite bourgeoise, canari encagé trop faible pour fuir.

Mais ce n'est pas la faiblesse qui rogne ses ailes, ralentit ses gestes, assoupit son pas. Ce n'est pas le manque d'envergure qui l'emprisonne. Ce n'est pas même seulement le sens du devoir.
C'est le monde, et la science qu'elle en a. Une science innée et infinie, celle de la Russie et de son passé, un savoir qui la condamne à la lassitude et à l'acceptation.
Elena Andreevna est condamnée à comprendre.
Et celle qui comprend ne peut haïr, ni se rebeller, ni fuir.
Elle n'a pas le choix.
A peine peut-elle, parfois, se réfugier dans un livre ou dans un jardin, à l'abri des regards et des passions.
Elle n'a pas le choix, il ne lui reste qu'à regarder les hommes errer et se détruire, et ne rien pouvoir faire, sa volonté émoussée par son âme trop vaste, sa conscience trop ancienne.
Elle ne recevra en viatique que l'absolution de sa beauté, une amère consécration.
Elle regardera la jeune fille impétueuse épouser l'idéaliste qu'elle ne comprend pas, que seule Elena elle-même aurait pu comprendre et accompagner, s'il avait voulu, s'il avait su davantage, si elle-même avait su moins.
Elle regardera ces couples mal assortis, impossibles, condamnés — comme le sien — et rêvera parfois de ce qui aurait pu être, dans un monde plus jeune.

Elle n'a pas le choix, et c'est sublime.

Elle s'éloignera de nous, et de tous, de plus en plus lentement, une silhouette diaphane que son fardeau ne courbe pas.
Et finira par se dissoudre, on entendra à peine un soupir,car elle est modeste et polie, elle ne sait pas qu'elle est la mélancolie même, que sa beauté nous serre le coeur, ni que cette beauté est celle de son âme.
Elle ne sait pas qu'elle est l'un des plus beaux personnages de femme jamais créés.
Elena Andreevna ne se prend pas au sérieux. Comme tous les enfants des mondes finissants, elle a l'élégance discrète de l'auto-dérision.
Elle sourit, hausse les épaules.
Elle quitte la scène.
Et voilà que son fardeau pèse sur nos propres épaules.

Tcheckhov, L'Homme des Bois, Comédie de Genève

dimanche 1 juin 2008

BEYOND THE DEBATABLE HILLS

Croyez-vous aux Fées? En la réincarnation? Croyez-vous au génie? Croyez-vous aux êtres bénis, aux êtres maudits? Croyez-vous aux autres mondes? Aux absolus dont on ne revient pas, comme dans les contes? Croyez-vous aux contes?
Si vous croyez en quelque chose, vous croierez en elle, n'en doutez pas.
Vous l'aimerez.

Elle était parée de tous les dons, comme la jeune princesse de la Belle au Bois Dormant. De bien des façons elle deviendra l'héroïne du conte.
Elle avait la beauté, et aussi le charme qui peut-être importe davantage. Les yeux les plus bleus du monde — ou les plus gris? ou les plus verts? — les yeux les plus clairs et changeants et fascinants du monde, céruléens, des yeux portes vers un ciel différent. La voix la plus captivante, la plus mélodieuse. Aucun de ceux qui l'ont entendue ne l'a oubliée.
Elle savait que l'élégance des parures n'est pas une simple affeterie mondaine, que ce n'est pas un hasard si les princesses, les fées, les dames élues des chevaliers, ne sont pas seulement belles mais aussi bien vêtues. Elle avait cet art-là, le choix des coupes, l'harmonie des couleurs.
Elle portait l'un des prénoms les plus magiques au monde, l'un de ceux qui font sens, qui sont immenses, un nom de pouvoir capable de réduire un démon au silence.
Elle avait la richesse, et l'éducation, et l'intelligence, et le talent.
Elle avait des amis, et ceux-là étaient les esprits les plus riches, les plus subtils, les plus brillants, de son temps. Elle était membre d'un de ces cercles dont nous rêvons à présent, que nous contemplons avec une envie incrédule. Comment se peut-il qu'en un certain lieu, à un certain moment, se rassemblent de tels êtres? Cela se peut. C'est dans la nature du cercle, la nature de tous les cercles, avant même la Table Ronde.
Elle avait la chance. Ne méprisez pas ce don-là. De tous il est celui qui marque le mieux l'élection.

Elle écrivait. Elle parlait. Cinq langues, de l'anglais au zoulou. Elle savait que les langues recèlent l'une des plus anciennes et des plus pérennes magies de notre Terre.
Elle aimait. Elle jouait. Elle était assez secrète pour interdire au monde de voir la différence.

Elle savait où se trouvent les frontières : dans nos esprits. Elle savait, elle n'a pas cessé de le répéter, dans ses actes et dans ses livres. Nous sommes Grecs, Anglais, Zoulous, tout cela ensemble. L'amour aussi est tout cela ensemble, pour un homme ou une femme, pour une amante, une mère, une amie, quelle différence? Puisque le sang des Fées coule aussi dans les veines du marchand le plus terre à terre.

Elle savait où se trouve la plus importante des frontières, celle qui nous sépare du Peuple Silencieux des Morts. Cette frontière-là se passe à jamais.
Quand la Mort passe, et emporte votre Aimé, votre Aimée, le monde est changé à jamais.
Comme la Belle du conte, vous dormez, loin des hommes, séparée d'eux par les ronces épaisses du secret. Plus jamais vous ne serez des leurs, plus jamais vous ne marcherez parmi eux, ne parlerez leur langue.
Il y a bien des collines dont nous ne savons plus le nom ni la place, des collines qui peut-être n'existent pas en ce monde, mais que trouvent nos pas quand il le faut vraiment.

Et lorsque près de cent ans seront écoulés, elle laissera enfin son âme échapper, son corps se faner et s'éteindre.

Car sans doute était-elle bien une Fée, en fin de compte. C'est la seule explication possible. Ou la plus simple, de beaucoup. N'a-t-elle pas sans cesse répété cela? Que le sang des Fées coulait aussi dans les veines du marchand le plus terre à terre. Ses aïeux étaient des marchands.

Elle s'appelait Hope Mirrlees.
Et un jour, par jeu, avec un absolu sérieux, elle a publié Lud-in-the-Mist.

The Lady Who Wrote Lud-in-the-Mist
Hope Mirrlees sur Wikipedia
Lud-in-the-Mist sur Amazon

mercredi 20 février 2008

DISSERTATION (3 ET FIN)

Cependant les membres de cette Maison ne se bornent pas à un rôle de préservation et de transmission, si important soit-il. Les Serpentards ne sont pas tout entiers tournés vers le passé. Il nous faut à présent aborder l’ultime facette de cette Maison, sans doute la plus difficile à cerner et la plus précieuse.
Le Choixpeau magique la rappelle pourtant chaque année aux élèves de Poudlard : contrairement à l’opinion communément admise, le trait de caractère qui place les élèves dans cette maison n’est pas l’orgueil, mais la ruse. «Vous finirez à Serpentard / Si vous êtes plutôt malin / Car ceux-là sont de vrais roublards / Qui parviennent toujours à leurs fins.»(1) On peut même se demander s’il n’y a pas eu là une forme d’amalgame historique, de malentendu dans la transmission, tant les deux qualités exigées par Serpentard alternent : « Ainsi Serpentard voulait un sang pur / Chez les sorciers de son académie / Et qu'ils aient comme lui ruse et rouerie.» Laquelle de ces deux caractéristiques domine l’autre? En quoi peuvent-elles être liées? On regrette l’absence d’une autre statistique, jamais mesurée par le Ministère : le nombre d’élèves de Serpentard qui n’étaient pas issus de familles au «sang pur». Ceux-là auront bien été choisis pour cette autre qualité, la ruse, que le Choixpeau (encore de parti pris?) rebaptise parfois du terme péjoratif de rouerie, mais qui consiste, explique-t-il, à parvenir à ses fins.
La Maison Serpentard a-t-elle donc, depuis ses origines, un double visage ? Ou n’est-ce pas plutôt le regard que nous portons sur elle qui est double, comme en témoigne à nouveau le Choixpeau dans cette autre description : «Serpentard, assoiffé de pouvoir et d'action, / Recherchait en chacun le feu de l'ambition.» Le qualificatif assoiffé de pouvoir est non seulement peu flatteur mais aussi dangereux, évoquant la plus célèbre des tentations de la magie noire. Mais le feu de l’ambition n’est-il pas une noble passion, une de celles qui permettent au monde et aux êtres de progresser? N’est-ce pas la part essentielle que les Serpentard sont chargés d’apporter au monde des sorciers?
Ces caractéristiques ont fait des élèves de Serpentard, génération après génération, les meilleurs diplomates, les plus retors des négociateurs, doués de la plus charmeuse des langues, des diplomates capables de faire signer la paix à des Géants, de contraindre les Anciens Dragons par des pactes enchantés, de mettre au point patiemment les chartes de la Confédération Internationale des Mages et Sorciers malgré les susceptibilités et intérêts contradictoires de chaque Etat.(2)
On parle souvent du mage noir Clivedden et de son cercle, des Serpentards anglais qui se sont ralliés à Gellert Grindelwald. Mais on oublie que le groupe secret des Défenseurs de la Terre, qui ont lancé et maintenu pendant de longs mois le sortilège d’ancienne magie empêchant l’invasion de la Grande-Bretagne, était composé pour moitié d’anciens élèves de Serpentard. On parle des héroïques Brigades à Balais et de leurs capitaines, presque tous Gryffondors ; on parle d’Alan Rungit, le brillant sorcier de Serdaigle qui a mis au point le sortilège de Décryptage pour intercepter les messages ennemis ; on ne dit pas assez que le Ministre de la Magie de l’époque était un Serpentard, et que seul un Serpentard, sans doute, était à même d’accomplir ce qu’il a accompli. Il ne s’agit plus ici de rouerie ni d’ambition, mais bien d’être capable de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre une fin, même quand ces moyens sont durs, et sombres. Il s’agit d’être capable de sacrifier un village et ses douze familles de sorciers quand le sort de la guerre est en jeu. Ce n’est pas une décision facile à prendre. Ce n’est pas beau, ni noble. Ce n’est pas quelque chose qui attirera remerciements ni médailles, ni notre amour. Mais c’est nécessaire, quelquefois. Et seuls les Serpentards sont capables de répondre à cette nécessité.
Ils en payent le prix : l’opinion les regarde avec horreur, et sans doute en sera-t-il toujours ainsi. Mais ils atteignent le but, et c’est ce qu’il fallait.

Souvent ils errent. Parfois ils cèdent à la tentation. Ils ne cherchent pas à être sympathiques. Parfois ils rêvent de vengeance, parfois ils s’agrippent désespérément au passé et nous tirent en arrière. La méfiance qu’ils inspirent est ancienne, comme est ancienne la division qu’ils incarnent dans le monde des sorciers.
Pourtant le Choixpeau de Poudlard sait lui aussi qu’en temps de guerre, quand tout nous pousse à la discorde, l’union est plus importante que jamais. Il n’a jamais manqué de le rappeler aux élèves, à chaque conflit : «Et depuis que les quatre fondateurs / Furent réduits à trois pour leur malheur / Jamais plus les maisons ne fur'nt unies / Commes elle's l'étaient au début de leur vie.»(1) Leur malheur, dit-il : notre malheur à tous, pour le passé, le présent et l’avenir. Ces dernières années, nous avons souffert plus que jamais peut-être, nos familles et nos vies ont été déchirées, et à présent tous cherchent des explications, des coupables, la justice ou la vengeance. Mais n’allons pas trop vite en besogne, n’abusons pas des simplifications. N’oublions pas le double rôle de la Maison Serpentard : elle veille sur notre passé, elle entretient la flamme de l’ambition future. Ne soyons pas trop prompts à proclamer que seuls les Serpentards et les faibles succombent à l’attrait des Arts Obscurs, car le prix à payer serait terrible. N’oublions pas que nous sommes tous responsables, et que pour la plupart, nous devons surtout bénir la chance qui nous a épargné la tentation.


A la surprise générale, lors du DésanonyMage des copies, ce devoir se révéla être écrit par une élève de Gryffondor…

1 : Histoire de Poudlard, Annexe II, Compendium des chansons de rentrée du Choixpeau Magique, op. cit.
2 : Histoire de la Magie Moderne et Les Grands Evénements de la Magie au XXe siècle


J'ai tellement aimé rédiger cette dissertation que je suis volontaire pour en composer d'autres. A vous donc de me proposer des sujets dans l'univers de Harry Potter, je choisirai celui qui m'inspire le plus.

mardi 19 février 2008

DISSERTATION (2)

L’association entre la Maison Serpentard et les Pratiques Obscures serait-elle entachée des mêmes préjugés ?
Force est de constater que le Choixpeau n’en fait jamais état dans ses descriptions des quatre Maisons, mais cela n’est pas probant : le Choixpeau est le garant des traditions de Poudlard et de sa ligne directrice, qui a toujours exclu l’enseignement de la magie noire à ses élèves. L’analyse des statistiques du Ministère de la Magie est à nouveau éclairante : sur les deux derniers siècles, 70 % des artefacts de magie noire ont été saisis chez des familles liées à la Maison Serpentard, mais seulement 37 % des condamnations pour pratiques de sortilèges de magie noire concernent ces familles. Cette disparité est aisée à expliquer : les artefacts en question sont pour la plupart très anciens, transmis de génération en génération, et se trouvent donc majoritairement en possession des vieilles lignées de sorciers.
Le même argument peut être appliqué, sous une forme atténuée, à la pratique des Maléfices. D’après les Sorts & enchantements anciens et oubliés (Olde & Forgotten Bewitchments & Charmes), nombre de ces sortilèges « oubliés » l’ont été par la volonté des sorciers ou de leurs autorités, parce qu’ils témoignaient d’une « vision obsolète du monde ». C’est à ces sources et à cette vision que s’abreuve la magie noire : un temps où les valeurs étaient différentes et où la voie des ténèbres était souvent considérée comme une réponse acceptable aux ténèbres du monde.(1) Les sorciers des anciennes familles ont plus facilement accès à ce savoir, soigneusement exclu des bibliothèques officielles ou protégé par de puissants enchantements restrictifs. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de cette facilité. La pratique de la magie noire repose sur une forme de tentation, comme le souligne l’excellent Affronter l'ennemi sans visage (Confronting the Faceless): «Certains, très rares, ont la force de volonté nécessaire pour résister à cette tentation. Mais heureusement pour notre monde, d’autres, beaucoup plus nombreux, n’y sont simplement jamais confrontés.» Ne s’agit-il pas là de la plus lucide analyse de l’affinité des Serpentards avec la magie noire? Ils ne sont ni plus faibles ni plus vicieux que les élèves des autres Maisons, ils sont seulement plus souvent confrontés à cette tentation.
Et la plus grande des tentations fut celle initiée par les deux grands mages noirs de notre siècle. On l’a dit, tous deux ont choisi de défendre une vision traditionaliste de la société et d’encourager les familles de «sang pur» à lutter contre l’influence croissante des Moldus. Sans doute faudra-t-il de longues années avant que quelqu’un ait le recul et la sérénité nécessaire pour écrire une histoire critique de ces périodes sombres, mais on peut déjà se demander si cette décision de Grindelwald et de Volde Vous-Savez-Qui n’a pas été motivée par l’intérêt autant que par l’idéologie. Il s’agissait d’un moyen sûr de recruter des partisans, parmi les plus riches en savoir, en terres et en or du monde sorcier, d’exploiter leur amertume nourrie par les événements des trois siècles précédents et d’utiliser leur désir de revanche. Parmi tous les suivants de Grindelwald, rares furent ceux qui ont pris son parti par affinité avec les pratiques obscures, bien plus nombreux ceux qui l’ont fait par conviction politique, par incompréhension face à l’évolution rapide du monde et à la place croissante prise par les Moldus, par peur d’un avenir inconnu.

Et s’il est une valeur qui peut-être réellement associée à la Maison Serpentard, c’est bien le traditionalisme. Au XIXe siècle, alors que l’agitation sociale commençait à se calmer, Victor Caspar Bulstrode fut le plus traditionaliste des Ministres de la Magie, Phinéas Nigellus le plus traditionaliste des directeurs de Poudlard(2). Tous deux avaient fait leurs études au sein de la Maison Serpentard. Ce traditionalisme n’est-il qu’une régression, un frein pour l’avancée de la société des sorciers? Ou peut-il lui apporter des forces positives?
Les Serpentards et leurs sympathisants sont aussi par essence des gardiens de la tradition, permettant la préservation du savoir et la transmission de la mémoire du monde sorcier. Ce sont là de nobles missions qui ne doivent pas être sous-estimées.
Ce rôle a pris de nombreuses formes au fil des siècles, la plus évidente étant celle de la conservation et de la garde d’artefacts magiques qui auraient certainement été perdus sans leurs soins. Certes il y avait parmi ces artefacts des objets liés aux Arts Sombres, mais aussi des trésors, tels que les Cœurlumières, rares et précieux objets de Défense contre les Forces du Mal(3). La famille McLaggen est célèbre pour le Cœurlumière qu’elle détient depuis quatre siècles et qui veille sur ses héritiers à chaque génération : si ce n’est plus le cas de son chef de clan actuel, elle a été longtemps affiliée à la Maison du Serpent. Le plus grand et le plus puissant des Cœurlumières a longtemps reposé au sommet d’un phare en Ecosse, sous la garde de la famille Stevenson, assurant la sauvegarde non seulement des sorciers des environs mais aussi des marins Moldus. Il est utile de rappeler que Septimus Stevenson, le dernier représentant de cette famille et lui-même ancien élève de Serpentard, est mort en essayant de défendre le phare contre les partisans de Grindelwald en 1943.
Les Serpentards ont aussi préservé de nombreux manuscrits et grimoires de magie et d’histoire. Nombreux furent ceux qui risquèrent leur vie pour soustraire de tels livres à l’Inquisition, tels que Bence Malefoy, décoré de l’Ordre de Merlin, première classe, pour s’être introduit au début du XIVe siècle dans une place-forte de l’Inquisition en Italie du Nord et y avoir soustrait cent six grimoires de sorcellerie, pour la plupart exemplaires uniques ou originaux de grand prix. Le sortilège de Gèle-Flamme, célèbre pour avoir trompé maints Inquisiteurs sur des bûchers de sorcières, a été conçu au départ pour sauver des bibliothèques par Isabella D’Arcy, une élève de Salazar Serpentard lui-même(4). Parmi les sorciers antiques honorés dans la Maison Serpentard, et dont le portrait figure dans leur Salle Commune, se trouvent Hipatia et Eratosthène, les mythiques sorciers qui ont transplané à soixante-sept reprises dans la bibliothèque d’Alexandrie en flammes pour en sortir des manuscrits, et n’ont pas survécu à la soixante-huitième…(5)
C’est encore à des Serpentards que l’on doit la conservation de sorts tels que Priori Incantatem ou le sortilège de Réclusion, tous deux «perdus» pendant les grandes guerres contre les Géants, et réintroduits en Angleterre par la famille Strange qui les a mis au service des enquêteurs (pour le premier) et des chambres-fortes (pour le second) du Ministère, à une époque où les soulèvements gobelins avaient conduit la plupart des sorciers à retirer leurs biens de Gringotts et à chercher d’autres protections.
Cette position de gardien des traditions et de garant de la mémoire a conduit les Serpentards à être souvent nommés à des postes clefs tels que Directeur des Archives du Ministère, chef du Département des Mystères, ou, dans des temps plus anciens, Sénéchal d’Angleterre(6).

Cependant les membres de cette Maison ne se bornent pas à un rôle de préservation et de transmission, si important soit-il. Les Serpentards ne sont pas tout entiers tournés vers le passé. Il nous faut à présent aborder l’ultime facette de cette Maison, sans doute la plus difficile à cerner et la plus précieuse... À SUIVRE



1 : Grandes Noirceurs de la magie (Magick Most Evile)
2 : Histoire de Poudlard, chapitre XXXII, «Le retour à l’austérité : Poudlard à l’ère victorienne»
3 : Les Forces du Mal surpassées (The Dark Arts Outsmarted), chapitre IV, « Artefacts et sortilèges de la Lumière »
4 : Guide de la Sorcellerie Médiévale, « Le temps de l’Inquisition »
5 : Les sites historiques de la sorcellerie, « L’Empire romain »
6 : Archives officielles du Ministère de la Magie, Postes officiels

lundi 18 février 2008

DISSERTATION À SUJET IMPOSÉ (1)

Pour ceux qui ne le savent pas, nous nous préparons à un jeu de rôles grandeur-nature des plus prometteurs, se déroulant dans le monde de Harry Potter en 1982, donc à la fin de la première guerre contre Voldemort.
Une autre joueuse ayant proposé un concours exigeant de chanter les louanges de la mal-aimée Maison Serpentard, j'ai trouvé amusant de présenter ma contribution sous la forme d'une copie d'élève...

Que ceux qui n'ont pas fini le tome 7 ne s'inquiètent pas, cette dissertation étant censée dater de 1982, elle ne contient aucun spoiler!



À l’heure où les horreurs de la guerre laissent place aux purges, aux tribunaux et aux règlements de compte, nombreux sont ceux qui remettent en cause les valeurs de la Maison fondée par Salazar Serpentard, dénoncent son implication aux côtés de Celui Dont Il Ne Faut Pas Prononcer le Nom, et vont jusqu’à réclamer son éradication.
Cependant le Choixpeau Magique et les traditions de Poudlard nous rappellent que l’Ecole n’est entière que si elle conserve ses quatre Maisons. Il semble donc nécessaire de nous interroger sur les valeurs réelles de la Maison Serpentard : est-elle historiquement et intrinsèquement liée à la magie noire et à l’obsession du sang pur? N’apporte-t-elle pas à la société des sorciers des éléments essentiels à sa survie?

Deux accusations reviennent dans les critiques formulées contre la Maison du Serpent : elle nourrirait de violents préjugés envers les Moldus et les sorciers d’ascendance moldue, et elle s’attacherait à des pratiques de magie noire condamnées par le Ministère de la Magie et le Code International.
De fait, il est impossible de nier que d’anciens élèves de la Maison Serpentard se rendent régulièrement coupables d’agressions contre les Moldus. Selon les dernières statistiques publiées par le Ministère, 56 % de ces agressions ont été commises par des ressortissants de Serpentard, et le pourcentage s’élève à 62 % si l’on prend en compte uniquement les agressions avec violence aboutissant à la mort ou un handicap permanent. Ce phénomène n’a rien de récent (ainsi le groupe de marins sorciers qui a créé en 1801 un nouveau poisson magique, le Sharak, entièrement couvert d'épines, destinées à déchirer les filets des Moldus, était déjà d’obédience Serpentard (1)), mais il s’est amplifié au cours du XXe siècle. Cette rancœur envers les Moldus est l’une des causes principales de l’adhésion des Serpentards aux thèses de certains mages noirs, au premier rang desquels Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-le-Nom et Gellert Grindelwald, qui ont tous deux développé des thèses prônant l’asservissement des Moldus ou l’interdiction d’enseigner la magie aux sorciers d’ascendance moldue.
Cette idéologie est-elle intrinsèque à la Maison ? On peut le penser, car de telles idées sont prêtées au Fondateur de la Maison lui-même: « Serpentard disait : Il faut enseigner / Aux descendants des plus nobles lignées », nous rappelle le Choixpeau. Cette conviction est même présentée comme la cause du départ de Serpentard, et donc de la rupture de l’harmonie entre les quatre Fondateurs de Poudlard, ce qui fournit un nouvel argument aux détracteurs de Salazar Serpentard.
Malgré tout, une étude objective prenant en compte la dimension historique permet de relativiser cette accusation. Il convient avant tout de rappeler que la Fondation de Poudlard date du Haut Moyen-Age, période à laquelle l’idée d’une noblesse de sang était considérée comme naturelle tant chez les Moldus que chez les sorciers. L’ensemble de la société était persuadée de l’existence d’une telle division, et Serpentard n’était en rien une exception, il représentait même le courant de pensée majoritaire à son époque : « Point ne devons mêler, écrit le chroniqueur des Annales Britanniae, le noble et le vilain, comme dans nos potions nous savons séparer ces substances, de même nous devons le faire dans le monde. » Randolphus Pittiman, l’auteur de la biographie d’Uric le Follingue, rappelle qu’à l’époque, on considérait même que la magie pratiquée par les sorciers de sang pur (appelée Sorcellerie) était intrinsèquement différente de la «magie vulgaire» qui se révélait chez certains Moldus et passait pour une forme de prestidigitation. A cette époque, plusieurs sorciers et sorcières ont été condamnés au bannissement par des cours de justice officielle pour le crime de mésalliance.
D’autre part, on oublie trop souvent que les anciennes familles de sorciers, dont sont majoritairement issus les Serpentards, ont elles-mêmes été la cible de nombreuses violences au cours des siècles. Si l’Inquisition de l’Eglise Moldue est souvent tournée en dérision par les ouvrages d’Histoire de la Magie, et si effectivement la plupart des véritables sorciers et sorcières arrêtés ont pu se soustraire à la mort, il n’en a pas été de même de leurs biens matériels. Maintes demeures ancestrales ont été brûlées, maintes fortunes dispersées : la famille Goyle, qui possédait la moitié du Northumberland, a été réduite à la misère et contrainte à demander l’asile à d’autres sorciers, refusant par fierté d’envoyer ses enfants à Poudlard pour dissimuler sa pauvreté. Jusqu’alors, les sympathisants de Serpentard tournaient plutôt leurs foudres contre les sorciers d’origine «impure», mais à cette époque, ils ont commencé à considérer les Moldus eux-mêmes comme une menace, et à chercher des moyens de les combattre ou de les contrôler. Plus tard, dans les années de désordre et de terreur qui ont accompagné les révoltes gobelines et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les mêmes familles ont été la cible de violentes campagnes de propagande de la part des autres sorciers. Pendant cette période, de nouveaux biens ont été confisqués au nom de prétextes plus ou moins convaincants, des titres de noblesses ont été abandonnés sous la pression générale (Ambrosius de Logres qui affirmait descendre d’Arthur et de Morgane a dû renoncer à ses prétentions et changer son nom en «Sorgel»), et certains sorciers ont même été bannis ou exécutés. Ces pages de l’histoire des sorciers d’Angleterre sont tellement sujettes à polémique qu’elles ont été édulcorées dans les récits officiels (notamment dans le manuel d’Histoire de la magie en usage à Poudlard), et seuls les sorciers des familles concernées continuent à les transmettre de bouche à oreille à leurs héritiers, entretenant ainsi un sentiment d’injustice et un désir de vengeance certes regrettable mais aussi compréhensible, compte tenu de la position «amnésique» adoptée par le Ministère.
Il semble que ce soit cette même rancœur latente vis à vis des Serpentard qui resurgit à présent, réveillée par l’horreur de la guerre et les tragédies hélas bien réelles auxquelles de nombreuses familles viennent d’être confrontées. On pointe du doigt la discrimination réclamée par Salazar Serpentard, en oubliant que deux autres Maisons pratiquaient aussi des formes de discrimination (Rowena Serdaigle par l’intelligence, Godric Gryffondor par le courage) et que seule Helga Poufsouffle prônait l’égalité entre les élèves. On cite les propos du Choixpeau magique, en oubliant qu’il coiffait jadis la tête de Gryffondor, et que malgré sa sagesse et son expérience, il est nécessairement prisonnier du point de vue de son ancien possesseur. Ne cite-t-il pas neuf fois sur dix la Maison Gryffondor comme premier choix? (2)

L’association entre la Maison Serpentard et les Pratiques Obscures serait-elle entachée des mêmes préjugés ? ... Vous le saurez en lisant demain la suite de cette dissertation.


1 : Et sans doute est-il bon de préciser, sans les excuser, que les sorciers en question ont agi en réponse à des insultes répétées de pêcheurs Moldus. Comme on le verra plus tard, cette précision n’est pas indifférente pour comprendre les fondements du comportement Serpentard envers les Moldus.
2 : Comme le confirme l’Histoire de Poudlard, Annexe II, Compendium des chansons de rentrée du Choixpeau Magique

vendredi 15 février 2008

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Il y a des gens bizarres dans le pâté de maisons voisins. On ne sait pas trop de quoi ils vivent. Parfois, quand on les regarde avec beaucoup d'attention, on s'aperçoit que leur aspect et leur comportement aussi sont bizarres: celui-ci gobe des mouches avec sa langue, comme une grenouille — cet autre a quelque chose d'un loup, dans sa démarche, dans le regard qu'il pose sur vous derrière la fumée de ses cigarettes — celui-là est un enfant qui ne semble jamais grandir... Alors vous faites des recherches: ces bâtiments ont les mêmes mystérieux propriétaires depuis des années, depuis des siècles, depuis la fondation de la ville en fait. Vous retrouvez de vieilles photographies, et vous reconnaissez, sur ce cliché de 1890, la même jeune femme à la peau blanche comme la neige, à la chevelure noire comme la nuit, que vous avez croisée hier soir dans la rue — sur cet instantané de 1935, le même adolescent vêtu de bleu qui joue de la trompette le samedi soir sur une petite scène de blues...
Bien sûr vous connaissez la chanson, on ne vous la fait plus, vous avez lu Anne Rice, vous savez bien ce que sont ces gens-là: des Vampires, tissant leurs toiles millénaires et manipulant les pauvres humains !
...
Ou bien pas.
Ou bien, peut-être, sont-ils un tout autre peuple, avec de tout autres fins.
Rencontrez les dans les comics Fables, écrits par Bill Willingham, et publiés chez DC. En anglais.

Vous avez lu Frankenstein, celui de Mary Shelley. Vous faites partie de ceux qui se souviennent que ce nom est celui du savant, non de sa créature. Vous connaissez même son prénom: Victor Frankenstein, un jeune scientifique suisse qui voulait vaincre la mort elle-même par l'infini pouvoir qui avait été celui de Zeus et de sa foudre, l'Electricité. Pourtant l'oeuvre vous a laissé vaguement insatisfait, comme s'il manquait quelque chose, comme si on vous cachait quelque chose. Comment Victor Frankenstein a-t-il pu en arriver là? D'où lui venaient son savoir et sa sapience? quel rapport entre cette histoire et le cauchemar de Mary Shelley, où se cache donc l'enfant mort-né qui a engendré ce roman? Qui était vraiment Elisabeth Lavenza, l'enfant trouvée, la soeur adoptive puis la fiancée de Victor? N'existe-t-elle que pour trouver la mort des mains de la Créature?
Vous avez raison. On ne vous avait pas tout dit. Vous pouvez lire à présent les Mémoires d'Elizabeth Frankenstein rassemblées par Theodore Roszak, et traduites au Cherche-Midi.

Vous vous êtes peut-être lamentés, comme moi, sur la baisse du nombre de lecteurs, sur ces générations qui petit à petit se détournent des livres et passent de longues heures devant un jeu vidéo, ou, pire, un inepte reality-show. Vous avez secoué la tête d'un air résigné et admis le constat. Les gens veulent des satisfactions plus immédiates que celles qu'offrent les livres. La pensée à long ou moyen terme se dissout, et avec elle la capacité de concentration. Si vous êtes pessimiste, vous avez même dénombré les conséquences de ce phénomène, les manipulations auxquelles les gens devenaient vulnérables... Ou bien vous vous êtes dit que vous deveniez vieux, à idéaliser ainsi le Bon Vieux Temps...
Mais pas du tout ! Le phénomène existe. Il a même une cause. Et, peut-être, une solution.
Elles sont révélées dans First Among Sequels, le cinquième tome des inventives et délirantes aventures de Thursday Next, par Jasper Fforde. Les quatre premiers tomes, L'Affaire Jane Eyre, Délivrez-moi !, Le Puits des Histoires Perdues et Sauvez Hamlet !, sont traduits et publiés chez Fleuve Noir.